

La bataille de Kherson s’est enfin terminée, par une victoire des Ukrainiens.
Elle avait commencé pendant l’été 2022, les forces ukrainiennes avaient lancé plusieurs contre-offensives, sur la région de Kharkiv dans la partie Nord du front et pour la reconquête de Kherson dans le Sud.
Les Russes avaient concentré autour de Kherson entre 20 et 30,000 hommes, notamment ce qui restait de leurs meilleures unités en état de combattre. Et ils avaient accumulé des stocks logistiques importants pour leur permettre de tenir faces aux actions rapides et remarquablement renseignées des forces ukrainiennes.

Les combats étaient tellement disputés que la bataille de Kherson était encore qualifiée la semaine dernière de « contre-offensive laborieuse face à une armée russe retranchée ». Les Ukrainiens ne donnaient quasiment aucune information opérationnelle sur leur progression réelle et laissaient planer le doute sur un embourbement dans une « région sillonnée de canaux » et où les Russes avaient eu tout le temps de creuser des tranchées, tandis que le « général hiver » pointait le bout de son nez.
Maigres explications pour habiller un front qui semblait s’enliser alors qu’il se fracturait de toutes parts.
La surprenante annonce du repli russe
A la surprise générale, mercredi 09 novembre l’état-major russe et le ministre de la défense ont annoncé que leur armée allait se replier de la région de Kherson pour se réinstaller de l’autre côté du Dniepr, un fleuve difficile à franchir dans cette zone.
Lors d’une émission TV, après un long briefing sur la situation générale du front, le général Sourovikine (commandant de l’opération militaire spéciale) a déclaré pour la région de Kherson : « Nous allons préserver la vie de nos soldats et la capacité de combat de nos unités. Les maintenir sur la rive droite ne sert à rien. ».
« Je suis d’accord avec vos conclusions et vos propositions, lui a répondu le ministre de la défense, Sergueï Choïgou. Procédez au retrait des troupes. » [Le Monde, 09 nov]


En réalité, le repli des forces russes avait commencé depuis une dizaine de jours, camouflé sous « l’évacuation » de dizaine de milliers de civils, et il s’est achevé ce vendredi 11 novembre seulement deux jours après son « annonce ».
Cette annonce était en effet des plus surprenantes. Surprenante d’abord parce qu’une opération militaire n’est jamais annoncée, sauf pour créer de la déception ou s’assurer qu’elle ne pourra pas être menée à bien une fois claironnée. Surprenante aussi parce que le président Vladimir Poutine s’était politiquement engagé en annexant ces territoires, devenant par sa seule volonté partie intégrante de la fédération de Russie, l’obligeant à les défendre à tout prix.
Tellement surprenante que cette annonce a été reçue dans un mélange de scepticisme et de prudence tant ce repli semblait improbable. Les cartes ont même eu du mal à être mises à jour aussi rapidement, comme le montre ce timelapse.
A timelapse of the rapid Ukrainian advance to liberate Kherson city and secure the areas of Kherson Oblast north of the Dnipro river.
Originally tweeted by War Mapper (@War_Mapper) on 12 novembre 2022.
Pourquoi l’armée russe a renoncé ?
D’abord ce n’est pas l’armée russe qui en a décidé, même si la mise en scène est trompeuse. Seul le président Vladimir Poutine pouvait prendre une telle décision, mais selon son schéma habituel, il a laissé à d’autres le soin d’annoncer cet échec patent.
Le débat a dû être particulièrement difficile entre un « chef des armées », Vladimir Poutine, qui n’a aucune compétence militaire et qui joue son sort dans cette guerre qu’il a lui-même déclenché, un ministre de la défense qui s’expose à sa place et des militaires connus pour leur brutalité mais qui n’ont plus les moyens de résister aux offensives ukrainiennes.
Les Ukrainiens avaient habilement endommagé les possibilités de franchissement du Dniepr, ciblé les dépôts logistiques sur cette zone de plus en plus difficile à approvisionner, acculant les forces russes dans un immense piège. Leur attaque contre le pont de Kertch qui relie la Crimée à la Russie procédait de cette stratégie d’étouffement des militaires russes à Kherson.
Lire aussi : L’attaque du pont « Poutine » en Crimée, destructions et illusions
Le précédent de la débâcle de Lyman
Un mois auparavant, dans la région de Kharkiv, Poutine avait ordonné à son armée de résister coûte que coûte pour garder la ville de Lyman, mais les militaires russes avaient fini par s’enfuir dans le plus grand désordre quand ils réalisèrent qu’ils n’avaient plus aucune chance de s’en sortir.
Dans leur fuite, les unités russes avaient perdu plusieurs milliers d’hommes et des centaines d’armes lourdes, devenant ainsi le premier fournisseur en armement des forces ukrainiennes…
C’est pour prévenir d’une telle débâcle que le commandement russe a pu convaincre le président Poutine d’un tel retrait, et absolument pas pour préserver des vies de soldats ou de civils comme le ministre de la défense l’a affirmé, même si ce sujet est loin d’être anodin.
La débâcle des soldats mobilisés
Depuis plusieurs jours, les réseaux sociaux diffusent en Russie des informations sur la mobilisation… des mères et des femmes des soldats mobilisés depuis le 30 septembre qui sont envoyés sur le front comme de la chair à canon.
Ces fameux « mobilisés » sont en effet démunis de tout et même de quoi combattre, par une organisation militaire en débâcle incapable de les former et de les équiper. Ces soldats inexpérimentés et quasiment désarmés sont pourtant envoyés au combat par des chefs militaires russes dénués de tout scrupule, et ils sont décimés dans des opérations chaotiques et sans issue, provoquant dans leurs rangs des centaines de morts au quotidien.
Lire aussi : Poutine, entre le marteau et la faucille ?
La protestation de ces mères constitue une menace contre Poutine, même si formellement ce sont les gouverneurs de région qui sont critiqués pour leur gestion de la mobilisation, comme si ces derniers en avaient réellement décidé, encore un dernier rempart qui vacille autour du Kremlin.
Un repli « stratégique » qui camoufle mal un échec critique
Certes, l’armée russe aura beaucoup détruit avant de se retirer, notamment un pont stratégique qui reliait la ville de Kherson à la rive gauche du Dniepr. Elle aura aussi laissé son lot de dévastations, de pillages et de pièges qui feront de nouvelles victimes et de nouveaux dommages, mais cela ne changera rien à cette victoire. Plus encore pour les forces ukrainiennes, le retrait russe leur évite d’avoir à assiéger la ville, qui les aurait obligés à détruire une partie de cette capitale régionale. La bataille se termine ainsi, sans combat dévastateur autour de la ville, mais par un repli russe qui n’est pas éloigné d’une fuite.
« La bataille de Kherson est terminée, c’est une grande victoire pour les Ukrainiens »
Une victoire qui conclut des mois d’actions militaires acharnées et récompense la détermination des Ukrainiens malgré la taille de leur adversaire. Mais qu’en est-il maintenant de la suite ?
La Crimée est-elle menacée par cette victoire sur Kherson ?
Il est assez étonnant que ce débat resurgisse, alors que c’est la victoire ukrainienne qui devrait être célébrée. Cette question résonne comme si une menace planait contre la Russie, comme si un risque naissait d’une Ukraine déchaînée. Le débat revient une fois encore sur la volonté des Ukrainiens de reconquérir à tout prix la Crimée, objet d’un contentieux historique entre les deux nations, faisant craindre au bout du compte un recours à l’arme ultime, le nucléaire, par la Russie.
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Pourtant ce débat est déplacé à ce stade, car si les Ukrainiens ont libéré Kherson, ils sont désormais coupés dans leur poursuite par le fleuve Dniepr qui les stoppe à plus de 100 km de la frontière de la Crimée. Cette dernière reste hors d’atteinte des armes ukrainiennes, dont la portée la plus grande est de 80 km (les HIMARS ou LRM), systèmes précieux qui ne se rapprocheront pas à moins de 20 km de la ligne de front pour éviter d’être détruits à leur tour, ramenant leur porte réelle à moins de 60 km donc.

Et avec le Dniepr à franchir, ce sont les forces ukrainiennes qui sont désormais confrontées à un obstacle de taille, il leur sera beaucoup plus simple et efficace de changer de front désormais.
Les combats vont maintenant se déplacer
La bataille de Kherson remportée, les Ukrainiens ne vont maintenir sur place que les forces nécessaires pour nettoyer la zone et pour dissuader toute nouvelle attaque russe sur ce front.
Il est possible que les Russes aient laissé sur place, dans la zone de Kherson, des soldats et des miliciens pour gêner les forces ukrainiennes, mais ils ne pourront guère faire plus que harceler et ralentir la reprise de contrôle de la région. Avec quasiment aucun espoir de fuite, leur ardeur au combat risque d’être réduite d’autant qu’ils savent désormais qu’ils seront mieux traités en tant que prisonniers des Ukrainiens que par leur propre armée…
Au contraire, les Ukrainiens n’ont aucun intérêt à mobiliser trop d’unités dans cette région de Kherson. Leurs forces deviendraient en effet la cible facile d’une artillerie russe qui reste très puissante, voire d’un scénario plus pervers encore de type bombe sale ou d’attaque nucléaire « réduite », comme les Russes l’ont évoqué à de multiples reprises.
Lire aussi : Cette sale histoire russe de « bombe sale »
Plutôt que de se faire bombarder sur le front de Kherson, ou de tenter une traversée périlleuse du Dniepr, les forces ukrainiennes vont vraisemblablement se déplacer pour se concentrer rapidement sur un ou deux autres fronts plus au Nord et à l’Est, afin de reconquérir les territoires occupés par les armées de Poutine. La « concentration des efforts » est un principe essentiel de la guerre.

Les forces ukrainiennes iront d’autant plus vite que les Russes feront de même, dégarnissant probablement une partie du Sud de Kherson pour renforcer comme ils le peuvent leurs unités militaires en grande difficulté sur tout le reste du front.
Les milices de la société de mercenaires Wagner continueront à communiquer, mais leur place est à la hauteur des lacunes béantes de l’armée russe et leur efficacité beaucoup plus réduite que leur communication. Ce n’est pas en creusant un fossé et en semant des plots de béton qu’elles empêcheront les forces ukrainiennes de progresser.

L’armée ukrainienne peut maintenant se lancer à la reconquête du reste du territoire occupé par les Russes, il est probable que l’objectif stratégique n’est pas la Crimée mais bien le pouvoir russe, le régime de Poutine, qui désormais se retrouve en première ligne après cette victoire des Ukrainiens sur Kherson.
Ce n’est pas la fin de la guerre, mais la victoire des Ukrainiens sur Kherson en constitue un tournant historique, le 11 novembre 2022.
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Pour aller plus loin, la vidéo de Xavier Tytelman, rédac chef d’Air&Cosmos
Le franchissement du Dniepr par les ukrainiens présente un intérêt s’ils peuvent encercler Zaporija au nord-est, plutôt que de planter le bivouac pour l-hiver au sud-est.
Winter IS coming. La rivière et l’énergie sont des clefs plus parlantes que toute tentative précipitée de se rapprocher de la Crimée.
En ayant initié l’offensive au nord-est puis biburqué sur Kherson, les ukrainiens démontrent un sens tactique qui a 1 coup d’avance à chaque fois sur les bourbiers défensifs russes, qu’eux seuls subissent à chaque fois.
Aux échecs, le cavalier rigole de la diagonale du fou…
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Attention à ce que ce repli ne cache pas un sale tour des Russes.On peut s’attendre à tout de leur part.
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analyse très intéressante et pertinente; le début (déjà enclenché) de la fin de Poutine
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