Cette sale histoire russe de « bombe sale »

Depuis fin octobre, des officiels russes et des chaînes d’info aux ordres du Kremlin accusent l’Ukraine de préparer une attaque à la bombe sale. Le ministre de la défense russe a même appelé ses homologues américain, français et turque pour « dénoncer cette menace terroriste ».


Une bombe sale ?


Commençons par rappeler qu’il n’existe pas de « bombe propre », et que la notion de « bombe sale » fait référence au fait de combiner une bombe classique – un explosif – avec des déchets toxiques qui seraient pulvérisés lors de l’explosion. Ces derniers ont pour objet de polluer plus ou moins gravement et durablement la zone de l’explosion. 

Une bombe sale est la combinaison d’un explosif classique et de déchets toxiques, destinés à contaminer la zone de l’attaque

Avec des déchets nucléaires, la contamination de la zone serait radioactive. Il ne s’agit pourtant en aucun cas d’une explosion nucléaire, qui elle serait d’une ampleur des milliers de fois plus importante, mais bien d’une pollution superficielle ou plus profonde selon le type de déchets pulvérisés lors de l’explosion. 

Dans un premier temps, l’effet d’une bombe sale est surtout indirect. Il va gêner le travail des secouristes, les obligeant à se protéger eux-mêmes des toxiques répandus lors de l’attaque. Les radiations ne sont pas visibles, mais les dispositifs de mesure permettent de les estimer rapidement et les contraintes sont alors importantes. 

Il faut porter des équipements de protection (filtration de l’air et combinaison) et se décontaminer en sortant de la zone polluée, ainsi que tous les matériels utilisés (par aspersion et récupération des liquides potentiellement contaminés). Le contrôle en sortie se fait de nouveau avec des détecteurs de radioactivité ou de toxiques. Ces opérations sont longues et fastidieuses surtout si elles sont bien faites.

Des conséquences difficiles à mesurer, si ce n’est de contaminer un territoire

Les intoxications des personnes contaminées ne sont pas mortelles immédiatement, mais elles vont provoquer des syndromes propres à la pollution nucléaire, notamment des brûlures et des cancers. 

L’effet psychologique est de taille car une bombe sale va laisser planer un spectre de risques accrus pour les survivants contaminés, qui vont guetter l’arrivée de symptômes alors que ces derniers seront peut être liés à d’autres facteurs, leur pourrissant la vie au même titre qu’une bombe sale est présumée pourrir une zone. La zone, elle, sera plus ou moins difficile à décontaminer et deviendra un territoire fantôme, que l’on traverse avec appréhension comme celui de Tchernobyl. En cela, l’accusation russe n’a aucune crédibilité : pourquoi les Ukrainiens contamineraient un territoire qu’ils cherchent à reconquérir ?

En fait, si on compare une bombe sale à une bombe classique qui provoque essentiellement des traumatismes, des brûlures et des projections d’éclats, les « effets supplémentaires » ne sont pas considérables et ils ne présentent guère plus d’intérêt que de ralentir les secours, de polluer la zone et de stresser un peu plus les survivants.

C’est sans doute pour cela que ce « type » d’arme n’a jamais été utilisé jusqu’à présent. Il a plutôt servi de menace terroriste, faisant craindre une attaque aux effets décuplés sur une population civile non protégée. 
Le cas de la Syrie est assez différent car les sbires de Bachar al-Assad, soutenus par les militaires russes, ont utilisé ouvertement des armes chimiques sans craindre de riposte occidentale. Il ne s’agissait pas à proprement parler de « bombe sale » mais bien d’armes chimiques même si elles étaient souvent bricolées, avec des barils notamment.

Alors pourquoi le régime russe de Poutine brandit ce sujet de bombe sale ? 

Probablement pour dresser une menace supplémentaire qui justifierait de s’en débarrasser… par une attaque ou une frappe préventive.

Cette accusation contre l’Ukraine s’inscrit dans la propagande russe qui consiste à criminaliser la nation victime de cette guerre pour justifier l’opération militaire spéciale déclenchée par Poutine depuis plus de huit mois maintenant.
La diffusion quasi immédiate par les relais poutiniens en France est édifiante :

La mention « information vérifiée à 100% » est importante, car elle révèle l’absence indigente de preuves : il faut l’affirmer à défaut de le démontrer. On retrouve aussi dans cette publication l’argument préféré de Poutine, la Russie serait menacée par les Occidentaux et en particulier par les Anglo-Saxons.

Le scénario bien rodé d’une nouvelle vague de violence se déroule sous nos yeux, manifestation d’une rationalité aussi cynique que sinistre. L’annonce d’une menace relayée par des proches de Poutine dont on comprend qu’ils ne parleraient jamais de cela s’ils n’avaient pas un projet organisé.

La même description d’une menace fantôme qui rappelle celles que dénonçait le Kremlin avant d’envahir l’Ukraine : la « nazification » du pays ou sa prétendue volonté de déclencher un génocide contre les populations pro-russes, comme si les Ukrainiens pouvaient constituer une menace pour un pays trois à quatre fois plus puissant et incroyablement belliqueux…

La question n’est donc pas la bombe sale, pas plus qu’un soi-disant laboratoire de production d’armes biologiques qui n’impressionnera que quelques conspirationnistes en mal d’alternatives à la réalité. La question, lorsqu’une telle « menace » est brandie par le Kremlin, est plutôt de savoir quelle frappe ou offensive sera menée en conséquence par la Russie. 

Compte tenu de la totale absence de scrupules du pouvoir poutinien jusqu’ici, tout peut être craint même si beaucoup a déjà été fait : bombardements contre des cibles civiles, destruction d’infrastructures qui feront souffrir celles-ci (eau, électricité) et évidemment la menace nucléaire régulièrement brandie par le Kremlin.

Est-ce l’annonce d’une nouvelle tentative du Kremlin d’empêcher sa défaite inexorable sur le terrain militaire ? 

En effet, ce qui reste de l’armée russe finit de se fracturer, notamment autour de Kherson, sous les assauts ukrainiens qui ne leur laisseront aucun répit tant qu’ils ne les auront pas chassés de leur pays. 

Ce scénario autour d’une bombe sale peut aussi être « seulement » une énième tentative d’intimidation pour forcer les pays occidentaux à accepter une négociation entérinant une partie des conquêtes de Poutine et lui éviter un échec cinglant, alors qu’il est déjà sanglant. En fait, le Kremlin expérimente régulièrement de nouveaux champs de nuisance comme s’il était à la recherche de ceux qui pourraient enfin atteindre la résistance des Ukrainiens et le soutien des Occidentaux : gazoducs, électricité, céréales…

Lire aussi : Ukraine : l’attaque des drones iraniens, fantasmes et réalités

Cette histoire de « bombe sale » est d’abord la sale histoire d’un président dictateur que nos nations ont trop longtemps respecté voire admiré, alors qu’il portait en lui la violence et la haine des autres.

Cette sale histoire est aussi celle d’un régime qui peut utiliser le mensonge comme une arme de guerre, en l’absence de toute opposition dans son pays qui permettrait de démentir les « faits alternatifs » qui sont affirmés par le pouvoir. On se souvient encore des dégâts commis par Donald Trump avec ces pratiques de diffusion de fake news.

Cette sale histoire pose enfin la question de l’issue de ce conflit, tandis que l’aspect militaire ne fait plus vraiment de doutes, mais une guerre n’est pas seulement militaire…

3 commentaires sur “Cette sale histoire russe de « bombe sale »

  1. Comment l’occident a t’il pû conserver de très bonnes relations avec poutine?
    Quels intérêts économiques lui a fait fermer les yeux?
    Rappelons-nous les deux guerres de tchétchènie et le massacre de sa population civile alors qu’il était premier ministre de Boris Elstine puis président de la fédération de Russie.L’europe à fermé les yeux lors de cette opération soit disant  »anti terroristes  »
    Ne nous étonnons pas qu’il réitère en Ukraine avec les mêmes méthodes.Bombardements intensifs des civils.
    Mais,pour du pétrole ou du gaz,merci Mme Merkel,sommes-nous prêts à supporter l’insupportable ?

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