Ukraine : batailles à venir et devenir de Poutine

Le calme avant la tempête ?

C’est un fait que nous parlons un peu moins de l’Ukraine, tandis que le premier « anniversaire » de cette guerre déclenchée par la Russie de Poutine se profile pour le 24 février 2023. 

La situation actuelle en Ukraine peut sembler figée à ce stade, sans évolution majeure. Il ne s’agit pas pour autant d’une période de calme – avec des bombardements quotidiens et des combats sur la ligne de front – mais d’un moment qui précède un épisode crucial dans cette crise : les forces ukrainiennes préparent en effet des offensives majeures pour reconquérir leur territoire envahi par les armées russes de Poutine, qui occupent encore près de 15% de leur pays. 

Le changement essentiel est évidemment la décision des alliés de l’Ukraine (50 pays et pas seulement des Occidentaux) de lui livrer les armements nécessaires pour reconquérir son territoire : ils ne fournissent plus seulement des systèmes défensifs aux Ukrainiens  – comme le système de missile anti aérien Patriot – mais bien désormais une force blindée dont le fer de lance est le char de combat, principalement le Leopard 2.

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Cette force sera composée de chars et de tout ce qu’il faut pour constituer une capacité de reconquête. Il faut pour cela un dispositif complet avec une protection sol-air, une artillerie puissante et précise pour dévaster ce qui s’opposerait à leur avancée, des véhicules de reconnaissance (l’AMX 10 RC français notamment), des engins blindés de combat d’infanterie pour protéger sur le front cette infanterie indispensable, ainsi que des drones de reconnaissance, une bonne coordination et surtout une logistique à la hauteur de l’enjeu… cette dernière représente globalement 70% de l’effort nécessaire pour que 30% de combattants soient réellement engagés sur le front. 

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Et pour compléter ce dispositif, les Américains viennent d’annoncer officiellement son renforcement massif avec la livraison des armement et des munitions indispensables à cette offensive, qui sera exclusivement menée par des soldats ukrainiens, hommes et femmes. 

Enfin des missiles de longue portée, le chaînon manquant pour une offensive efficace

Il manquait dans cet arsenal fourni aux Ukrainiens un missile capable de frapper avec précision au-delà des 80 km actuels, pour pouvoir atteindre – dans la profondeur mais sans menacer le territoire russe – les cibles à très haute valeur ajoutée que constituent les postes de commandement (indispensables pour coordonner les combats) et les dépôts logistiques (en particulier de munitions et de carburant qui sont consommés en milliers de tonnes par une armée blindée). 

Les Etats-Unis viennent en effet d’annoncer qu’ils vont livrer des missiles dits GLDSB (Ground Launched Small Diameter Bomb) de plus de 150 km de portée. 

Missile GLSDB de 150 km de portée

Ces missiles sont en fait des « bombes planantes » lancés par des roquettes du type Himars (les lance-roquettes multiples déjà livrés par les alliés) . Elles sont très précises, 10 fois moins chers que les missiles ATACMS que les Américains ne voulaient pas livrer (notamment parce que leur portée de 300 km permettait de tirer sur la Crimée, nous en reparlerons…) et relativement faciles à utiliser. 

Missile GLSDB = bombe planante propulsée par une roquette

Ce missile GLSDB est constitué par une bombe guidée construite initialement pour être emportée par un avion de combat, et qui a été remontée sur un propulseur de roquette, permettant ainsi de se passer du chasseur, un armement que les alliés ne souhaitent pas fournir à ce stade.

Sur le front, les avions et hélicos russes ne volent quasiment plus, empêchés par l’importance de l’artillerie sol-air déployée par les Ukrainiens. Les avions ukrainiens apparaissent donc moins importants pour les combats au sol dès lors que leurs forces peuvent frapper dans la profondeur et que ces dernières sont nettement moins menacées par l’aviation russe.

Le missile GLSDB permet aussi de se passer d’avion de chasse pour frapper dans la profondeur



Une force de reconquête ukrainienne prête pour le printemps

Avec l’accord trouvé au sein du groupe d’alliés, autour de 300 chars lourds modernes seront livrés aux Ukrainiens dans les semaines qui viennent avec tout leur environnement pour qu’ils forment une puissante force de reconquête. D’ici le mois de mars, les Ukrainiens pourront ainsi lancer des offensives très efficaces en concentrant ces unités blindés sur un ou deux axes – pas plus – pour fracturer les armées russes de Poutine qui ont figé le front depuis leur échec et leur repli de Kherson. 

Lire aussi : libération de Kherson par les Ukrainiens

Kherson, le 11 novembre 2022, a marqué un tournant dans cette guerre, mais pas seulement comme je l’avais décrit dans l’article de référence. En effet, après cet échec de l’armée russe, il aurait été logique que les Ukrainiens « exploitent » leur succès en lançant dans la foulée de nouvelles offensives face à une armée russe affaiblie. 

Pourquoi n’ont-ils pas procédé ainsi durant cet hiver ? Très probablement parce qu’ils n’en avaient pas les moyens faute d’un soutien renouvelé de leurs alliés. En effet, ceux-ci (et les Etats-Unis en premier lieu) se sont demandés s’il ne fallait pas rechercher une paix négociée avec un Vladimir Poutine affaibli et conscient qu’il n’avait plus les moyens de gagner cette guerre après son échec de Kherson. 

Mais la réaction du maître du Kremlin, qui n’est pas vraiment le stratège que certains se complaisent encore à nous décrire, a été désastreuse. 

Lire aussi : les réseaux de Poutine en France

Alors que le repli de Kherson a sans doute sauvé l’armée russe d’une débâcle, le général Sourovikine (nommé à la tête de l’opération) a lancé en parallèle une vague de bombardements par missiles et drones ciblant exclusivement des cibles civiles et provoquant de nombreuses victimes. Ces bombardements – qui sont autant de crimes de guerre – ont désespéré les alliés de l’Ukraine de pouvoir trouver une solution négociée avec Vladimir Poutine. Bien au contraire, ils ont eu la démonstration avec les offensives « boucherie » menées par l’entreprise de racket Wagner que Poutine était un jusqu’au-boutiste incapable de rechercher un compromis autre que d’imposer sa volonté par la brutalité. 

Face à cette politique de dévastation, les alliés de l’Ukraine se sont ralliés en décembre à l’idée qu’aucune paix durable n’était envisageable sans la chute de Poutine et ils ont donc pris cette décision – importante – de donner les moyens aux Ukrainiens de le faire chuter. 

Lire aussi : la chute de Poutine préalable à toute paix durable en Ukraine 

Faire chuter Poutine par la défaite de son armée en Ukraine

L’accord trouvé entre les alliés consiste à ce que les forces ukrainiennes puissent reconquérir par elles-mêmes le territoire envahi par la Russie de Poutine, avec un objectif clair et deux limites. 

L’objectif consiste bien à défaire les armées russes sur le sol ukrainien pour faire chuter Poutine. Ces alliés estiment en effet que l’armée de Poutine est suffisamment affaiblie pour être vaincue et que Poutine vacillera dès lors que ses échecs ne pourront plus être camouflés par des « replis stratégiques ». Comment celui-ci pourrait-il continuer à justifier de son « opération militaire spéciale » dès lors que son armée reculerait, démontrant au passage qu’il aura sacrifié pour rien des milliers de vies et le peu de prospérité de la Russie ? 

Il est alors probable que le régime russe remplacera Poutine (un mot poli pour dire éliminer…) et qu’il implosera dans une course à sa succession, en engloutissant les proches du président déchu. 

Deux limites s’imposent aussi dans cet accord : la première est que la contre-attaque ukrainienne ne doit pas menacer le territoire russe lui-même, ce qui explique en particulier le choix des missiles GLBSD, leur portée de 150 km étant globalement la distance qui sépare la ligne de front de la frontière russe. 

La deuxième limite, non écrite, mais qui découle de la première est la question de la Crimée qui est tout sauf une évidence. Les Ukrainiens la réclament autant que les Russes la proclament… le pari des alliés est donc que la Crimée soit encore suffisamment éloignée du front pour qu’elle ne soit plus un enjeu quand l’armée russe aura été défaite dans les zones d’invasion actuelles de l’Est et du Sud de l’Ukraine. La Crimée pourrait alors faire l’objet d’un arbitrage international la neutralisant le temps nécessaire pour qu’elle ne soit plus une source de conflit. 

La capacité de réaction de l’armée russe est très réduite. Certes, elle aura massivement mobilisé, mais pour envoyer des soldats inexpérimentés et désespérément mal équipés et commandés sur un front où les Ukrainiens aligneront au contraire un matériel moderne, puissant et servi avec une énergie qui confine à la rage. Contrairement au mythe de la bataille de Stalingrad que Poutine évoque sans scrupules, ce ne sont pas des poitrines qui pourront s’opposer aux chars ukrainiens dans la reconquête de leur propre pays.
Les Russes pourront difficilement faire plus qu’animer le front avec des combats violents mais limités pour fixer un maximum de forces ukrainiennes, ce qu’ils font actuellement. Quant au grand élan patriotique invoqué par le maître du Kremlin, il ne pourra pas fonctionner tant que les Russes ne se sentiront pas menacés, d’où la première limite imposée à l’offensive ukrainienne. 

Un affrontement dangereux mais inévitable

Le risque d’escalade, souvent évoqué mais rarement sans arrière-pensée, n’est plus réellement la question dans le contexte décrit. L’affrontement est inévitable sauf à laisser Poutine à la tête d’un État disposant d’un arsenal nucléaire et dont l’acharnement à briser la résistance ukrainienne alimentera une crise sans fin pour toute l’Europe et une grande partie du Monde. 

Cet affrontement pour mener Poutine à sa chute sera dangereux : pas réellement parce que la Russie dispose d’un arsenal nucléaire considérable qui en l’occurrence ne lui sera d’aucune utilité, mais plutôt parce que ce pays risque d’être déstabilisé par la chute de celui qui se croyait tout puissant et qui régnait sur une société devenue mafieuse. 

La transition sera longue, complexe, difficile pour les Russes et marquée d’incertitudes pour le reste du monde. Mais comment éviter cette remise en cause dès lors que Poutine ne peut plus sortir de l’impasse dans laquelle il s’est lui-même enfoncé et dont il est désormais prisonnier ?

A la résistance doit désormais succéder la reconquête

Contrairement à ce qu’avaient espéré les « diplomates », Poutine ne recherche plus aucun compromis, car il a compromis son pouvoir et sa vie dans cette guerre contre l’Ukraine. L’issue du conflit passe par la défaite de son armée et la chute de Poutine, c’est la conclusion des alliés de l’Ukraine : à la résistance doit désormais succéder la reconquête.


Pour approfondir : Le tombeau de Poutine – Trois scenarios pour la suite de la guerre en Ukraine,
par Michel Goya

12 commentaires sur “Ukraine : batailles à venir et devenir de Poutine

  1. Cette analyse est intéressante cependant il me semble qu’elle est à contre courant de ce que j’estime être la situation sur la ligne de front depuis la mi-janvier. Avec les prises déjà effectives ou à venir avant la fin du mois de février de Soledad, Bakhmut, Ugledar, Seversk et les nombreuses petites localités environnantes telles le village de Sacco et Vanzetti, ce sont à nouveau 20℅ du territoire ukrainien qui sera occupé. Certaines de ces zones étaient fortifiées depuis 2014, elles étaient de surcroît défendues par les troupes ukrainiennes les plus aguerries lesquelles ont été gâchées faute d’un repli tactique pour des raisons politiques. Vous nous parlez de reconquêtes ukrainiennes alors qu’une offensive russe est attendue par tous les observateurs, vous faites allusion à 100 ou 200 chars lourds livrés par l’occident en faisant abstraction que la Russie en possède, selon certaines sources, 12 000 dont certains sont de forces équivalentes comme le T90 qui peuvent être appuyés contrairement à l’Ukraine par une force aérienne. Avoir de nouvelles armes plus performantes en nombre suffisantes, c’est bien, encore faut-il du personnel pour les servir. Des sources provenant du Mossad et des fuites américaines admettent que les pertes ukrainiennes sont catastrophiques en comparaison de celles subies par les Russes malgré les annonces tonitruantes du Ministre de la Défense Reznikov dont la démission semble actée au moment où j’écris ces lignes. Quand à la motivation des Russes dans ce conflit, elle est aujourd’hui maximale, car ils ont compris que la victoire était une question de survie face à un axe avec en tête de pont la Pologne, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie qui appelle au démembrement de la Fédération de la Russie. Une issue comme celle avec l’Afghanistan est inenvisageable pour la Russie du vivant de Poutine.

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    1. Vos sources et donc vos conclusions ne reflètent pas la réalité, les prochains mois nous diront quel est le sort de cette guerre inutilement déclenchée par Poutine.
      Mes sources, croisées, me confirment que l’armee russe n’a pas les moyens d’exploiter une offensive et qu’elle s’épuise pour prendre Bakhmut pendant que les forces ukrainiennes préparent leurs contre-offensives.

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  2. Je suis passionné par votre blog et en accord avec beaucoup de vos idées.Mais une question me tracasse.Peut on considérer la frappe des Ukrainiens,le 1er Janvier sur la base russe, éliminant au moins 300 soldats comme un acte normal de guerre?
    J’imagine la douleur de leurs parents lesquels venaient juste de recevoir leurs vœux du nouvel an.
    Ces vœux qui signaient leur arrêt de mort.

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  3. Avec Poutine le pire est toujours à craindre mais il faut se rendre à l’évidence que la seule issue est qu’il soit défait et que la Russie en soit débarrassée. Puis viendra l’absolue nécessité de renouer patiemment les fils avec ce grand pays et d’aider l’Ukraine à se construire comme une nouvelle démocratie ce qui passe par une reconstruction matérielle et économique du pays.

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  4. Bravo ! Cet article très intéressant confirme tout ce que je lis de sérieux sur le sujet depuis quelques semaines. Il ajoute deux informations clés : l’explication du choix des GLBSD versus es ATACMS, et la question de la Crimée dont la reconquête pourrait être entravée par la communauté internationale, si je lis entre les lignes.

    Ce serait injuste et dangereux, car finalement la validation d’une stratégie de conquête du Kremlin, et des idées pour ses successeurs. La seule manière de mettre un terme durable à cet impérialisme russe, c’est de faire vivre au pays ce qu’a vécu l’Allemagne après la guerre : la défaite totale et le déshonneur. Il ne doit y avoir aucun bénéfice tangible à cette violence froide et cette prédation systémique qui s’exerce sur tous les voisins de la Russie. Il en va de la sûreté internationale, comme au temps des nazi. Merci et à bientôt !

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    1. Poutine doit être défait. Défait militairement qui est la condition sine qua non à une défaite politique. Qu’est-ce que cela signifie en l’état ? Que l’Ukraine soit suffisamment donc efficacement soutenue par ses alliés pour que toute nouvelle agression soit vouée à l’échec, que l’armée russe et ses mercenaires Wagner soient chassés du Dombass et de Crimée.

      Cela doit se faire sans insulter l’avenir car demain la Russie doit pouvoir redevenir un partenaire pour ses voisins immédiats comme pour la CEE, car il ya toujours un lendemain.

      A ce stade il ne saurait être question de défaite totale de la Russie, de déshonneur ou d’humiliation et une comparaison avec l’Allemagne nazie n’est pas de mise et encore moins une comparaison avec l’issue de la Première guerre mondiale et du mortifère traité de Versailles que nous avons infligé aux vaincus.

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  5. Merci pour cette analyse limpide et qui me conforte dans un certain nombre d’interprétations. Ce que je lis ne va pas toutefois dans le sens d’un calendrier aussi immédiat pour les Ukrainiens. Entre temps, il y aura l’offensive russe et les livraisons semblent plus lentes que ce que vous décrivez. J’aurais bien aimé que votre article documente davantage le calendrier de livraisons.

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