Dans la guerre déclenchée par la Russie de Poutine, la France annonce qu’elle va fournir à l’Ukraine des chars AMX10-RC, les Etats-Unis des blindés M2 Bradley et les Allemands des Marder.

Ces engins blindés ont une capacité offensive que n’avaient pas les matériels fournis jusqu’ici. En effet, la plupart des équipements livrés par les Occidentaux étaient plutôt de nature défensive, c’est en particulier le cas des missiles anti chars et anti aériens fournis en grand nombre. Ils permettaient de casser une attaque terrestre et aérienne, mais pas réellement de mener une attaque offensive et de pouvoir enfoncer les « lignes » ennemies.
Pour l’artillerie – des canons Caesar aux Lance-roquettes multiples Himars –, leur utilisation est duale, elle sert autant pour se défendre que pour attaquer. L’artillerie est « nécessaire mais pas suffisante » dans une offensive.
Lire aussi : les armements utilisés dans la guerre de Poutine contre l’Ukraine
En effet, pour mener une offensive contre un ennemi lourdement armé comme les Russes, il est nécessaire de disposer de matériels blindés avec une capacité d’attaque, ceux qu’on appelle communément « chars » et qui sont en réalité des véhicules blindés de combat.
Le VAB français – déjà livré aux Ukrainiens – n’en fait pas partie. Il est plutôt un camion blindé de transport sans capacité d’attaque.

A l’inverse, le M2 Bradley américain ou le Marder allemand sont des blindés destinés au combat, qui emportent 6 à 8 soldats au cœur de la « mêlée » et qui sont équipés de canon léger et de missiles pour les appuyer.


Ils accompagnent normalement des chars de combat, qui constituent dans les blindés, la catégorie « supérieure ». Les « chars de combat » sont des engins équipés d’armement lourd pour le combat de mêlée, c’est-à-dire un engagement direct des forces.
Les chars de combat emblématiques sont le M1 Abrams, le Leclerc français et le Léopard 2 allemand, du côté russe les T72 et T80 (le T voulant dire Tank, le chiffre étant l’année du modèle dans l’appellation OTAN).
Lire l’article de Michel Goya sur ces chars : Amx-Men
Ce que propose la France est une solution intermédiaire par rapport à ces chars de combat « lourds », l’AMX10 RC étant en effet un engin nettement plus léger (20 t contre 60), moins puissant (il tire à moins de 2 km contre 4) et tous chemins plus que tout-terrain (6 roues contre des chenilles).
L’AMX10 RC est aussi beaucoup moins sophistiqué et compliqué à maintenir qu’un char Leclerc.


Un tournant dans l’équipement militaire des Ukrainiens
La livraison de matériels offensifs est un tournant dans l’appui apporté jusqu’ici à la résistance ukrainienne. Outres des armements défensifs, les pays occidentaux avaient fourni aussi des chars russes anciens (T72) du même type que ceux dont disposait déjà l’armée ukrainienne.

En outre, les Ukrainiens ont récupéré un grand nombre de chars russes dans les combats, si bien que la Russie est actuellement le premier fournisseur de l’armée ukrainienne. Les anciens pays de l’Est qui disposent encore d’une capacité industrielle sur ces équipements de l’ère soviétique fournissent à l’Ukraine un soutien matériel important en réparant et en entretenant ces engins, en général rustiques et de mauvaise qualité.
Le fait que, après avoir fourni du Patriot – le plus sophistiqué système anti aérien –, du matériel offensif soit maintenant livré est un col que les Occidentaux avaient hésité à franchir jusqu’ici.
Ils donnent en effet les moyens aux Ukrainiens non plus seulement de résister mais bien de défaire les unités militaires russes, à quelques limitations près : les Occidentaux ne fournissent toujours pas de chars lourds modernes, ni de missiles de longue portée (150 km) qui permettraient aux Ukrainiens d’attaquer dans la profondeur.
Lire aussi : Zelensky à Washington, un moment historique et Patriotique
Le conflit va se déplacer aux frontières de l’empire russe
Alors que Poutine se voyait prendre le contrôle de l’Ukraine en quelques semaines – dans son « opération militaire spéciale » –, la guerre qu’il a déclenchée contre son voisin se retourne contre lui. Après 10 mois de combat, non seulement son armée et ses supplétifs (milices et mercenaires) sont incapables de lancer une offensive victorieuse – Bakhmout qui concentrait tous leurs efforts est un échec sanglant –, mais les « armées » russes peinent désormais à résister aux contre-offensives ukrainiennes.
Ces dernières, fortes du soutien renouvelé des Occidentaux et de la livraison de matériels offensifs, vont profiter du gel du terrain pour lancer leurs unités et tenter de disloquer le front russe. Ils en ont désormais les moyens et ils arriveront en quelques mois à la frontière de la Russie. Poutine devra alors choisir entre accepter sa défaite et renoncer à cette guerre qu’il a lancée… ou continuer à se battre en déplaçant le conflit jusqu’à son propre territoire, en particulier par des tirs d’artillerie.
Pour éviter de perdre le pouvoir, et sans doute la vie, Poutine peut encore élargir la mobilisation de la Russie pour ralentir les Ukrainiens en sacrifiant de nouvelles vies. Jusqu’à quand sa société pourra le supporter ?
bonjour, les futures livraisons britanniques ne sont qu’un début: allez-y Mr Scholtz autorisez vos voisins à céder leurs Léopards 2.
une autre possibilité (irréaliste je me doute): déployer une unité mécanisée française au nord de Kiev, double avantage libérer des unités UKR pour une offensive ailleurs et contrer toute velléité d’assaut russe vers Kiev.
heureusement que Caroline Roux (c dans l’air) vous invite pour son émission, vos explications sont précises et pertinentes (C dans l’air du 18/01) comme à l’accoutumée
J’aimeJ’aime
il ne me semble pas possible, dans le contexte actuel, de déployer une unité militaire non ukrainienne sur le théâtre sans rentrer de fait en guerre avec la Russie…
J’aimeJ’aime
bonsoir, à nouveau un éclairage précis de vulgarisation militaire sur cette nouvelle étape de cette guerre d’invasion (idem que votre intervention dans l’émission C dans l’air de ce Jeudi)
J’aimeAimé par 1 personne
Bonjour Monsieur.
Article assez bon dans tout ce qui concerne le matériel que nous allons livrer aux occidentaux (la partie technique).
Cependant plusieurs points sur lesquels je suis en desaccord :
« la Russie est actuellement le premier fournisseur de l’armée ukrainienne. » : c’est discutable. Si c’est simplement tout le matériel que les Ukrainiens ont pris aux russes oui. Si on prend en compte le matériel ukrainien EN MÊME TEMPS détruit par la Russie c’est (beaucoup) plus incertain.
« Après 10 mois de combat, non seulement son armée et ses supplétifs (milices et mercenaires) sont incapables de lancer une offensive victorieuse – Bakhmout qui concentrait tous leurs efforts est un échec sanglant –, mais les « armées » russes peinent désormais à résister aux contre-offensives ukrainiennes. » : la bataille de Bakhmout n’est pas finie. On ne peut donc pas la qualifier d’echec. Les Russes avancent tous les jours à Bakhmout. Je vous ferai remarquer que ca fait depuis debut octobre qu’il n’y a plus d’offensive ukrainienne (celle au nord de l’Oblast de Kherson est la dernière). Le retrait de Kherson n’est pas une offensive c’est un retrait.
« Ces dernières, fortes du soutien renouvelé des Occidentaux et de la livraison de matériels offensifs, vont profiter du gel du terrain pour lancer leurs unités et tenter de disloquer le front russe. » : Je pense que les Ukrainens ne pourront pas faire d’offensive hivernale. Les offensives de septembre-octobre (Lyman, Balakleia et Nord de Kherson) étaient surtout du au fait qu’il y avaient plus de soldats ukrainens que de soldats russes dans ces offensives
Or avec les 300 000 mobilisés russes, l’un des plus grands tournants de cette guerre, les effectifs se réequilibrent de part et d’autre. Il y aussi des fortifications que sont en train de construire les Russes.
Cordialement
J’aimeJ’aime
@Gabriel, bonjour.
La vérification des matériels détruits ne rend pas compte de la totalité des pertes dans chaque camp, mais le ratio 1/3 en faveur des ukrainiens est un indicateur intéressant qui s’ajoute aux chiffres bruts vérifiés. Bien que le Kremlin mobilise un nombre très supérieur de blindés, le rapport de force s’équilibre lorsque 1 perte ukrainienne apparaît toutes les 3 pertes russes.
Dans son dernier rapport de guerre sur YouTube, Xavier Tytelman évoque la mise en œuvre de chars modernes russes dernièrement, qui n’ont rien changé au rapport de force sur le terrain. Ça s’ajoute aux destructions fratricides dues au déficit de communication entre des unités russes, images à l’appui.
Au nord-est, les russes sont figés dans l’est des quartiers de Bakhmout, comme le montrent plusieurs vidéos de soldats ukrainiens qui circulent à l’ouest de la rivière. Pour ne pas perdre plus de mobilisés, les russes sont en train de tenter de percer plus au nord. Leur objectif de contournement n’entame pas pour l’instant les circuits logistiques des défenseurs. Beaucoup de pertes des deux bords, mais pas de percée russe garantie.
Vous avez raison à propos de l’absence de nouvelle percée ukrainienne. Le climat doux des cinq dernières semaines ne favorise pas les mouvements de troupes mécanisées dans la boue, si la logistique ne peut pas suivre ensuite. Néanmoins, les températures négatives en cours depuis 24 heures n’interdisent pas tout mouvement ukrainien en janvier. Rien n’est écrit.
La prochaine arrivée d’une seconde vague de mobilisés russes va sûrement enthousiasmer les experts moscovites des plateaux TV russes, mais quand on ne sait pas équiper et former 100000 bleus, passer à 300000 six mois plus tard ne garantit rien. Je peux vous rejoindre sur l’idée d’une percée ukrainienne plus efficace après seconde vague contenue, pas dans la boue mais sur glace ou bien plus tard. J’observe que les propos de ce blog abordent la notion d’offensive en général, pas après-demain.
Merci pour votre vision contradictoire intéressante et meilleurs vœux pour 2023.
J’aimeJ’aime
Evidemment que l’armée russe (ou plutôt sa partie « dissuasion », puisque ce qu’on peut voir du conflit montre une armée avec de la masse potentielle, mais vraiment délabrée) est une menace directe et sur plusieurs dimensions.
Ce que je pointe, ce n’est pas tant que l’armée ukrainienne serait une menace d’attaque – quand ils auront libérés leur territoire, je pense qu’ils penseront à tout sauf se battre – mais plutôt un problème de stratégie géopolitique pour la France, compte tenu de ses liens qui semblent très étroits avec les USA.
On a vu par exemple les Etats-Unis torpiller le contrat sur les sous-marins en Australie, ce qui a fait perdre un très gros contrat, mais surtout une stratégie pour la position Française sur l’indo-Pacifique. Et la France cherche, par exemple, à pousser depuis longtemps sa défense européenne (dont personne ne veut, j’en suis conscient).
C’est plutôt en ce sens là que je posais la question de l’intérêt pour la France d’avoir une armée si puissante et si dotée en matériel occidental, et surtout américain, dans l’Europe (et ça peut s’étendre à la question de l’OTAN et de l’UE)
En tous cas merci pour la réponse, et bravo pour les articles ! Ils sont vraiment passionnants ! (j’ai vraiment appris des choses sur le Rwanda et le rôle de la France avec vos articles.)
J’aimeJ’aime
Merci pour cet article positif encourageant.
Bien que le blindage de l’AMX10 soit limité, sa mobilité et la complémentarité des obus différents peuvent en faire un atout lors des mouvements d’infanterie. Un AMX10 accompagnant des VAB peut les couvrir sur un rayon de 2km face à un char à découvert, ou un point d’intérêt renforcé. Il pourrait apporter une plus-value pour interdire des accès aux attaquants adverses, en se combinant à l’infanterie motorisée dont l’Ukraine dispose. Attaquer pourquoi pas, défendre sûrement…
A l’heure où le Kremlin joue la montre, dans l’attente de renforts et de nouvelles munitions, les ukrainiens vont devoir assurer leurs acquis au nord-est et le long du Dniepr, fleuve stratégique. Comme indiqué dans cet article et précédemment, Poutine compte sur un gros réservoir humain et le temps long pour imposer son appétit carnassier. Les défenseurs ukrainiens, pendant ce temps, pourraient envisager de récupérer des zones grâce aux nouveaux matériels fournis, -mais- il leur faudrait peut-être d’abord contenir avant de percer ensuite.
La mentalité agressive majoritaire en Russie doit inviter au pragmatisme ailleurs. Les opposants russes à la guerre rasent les murs ou payent cher. Les opposant russes au pouvoir sont… La propagande offensive à Moscou devrait inciter les ukrainiens à envisager une arrivée rapide de la seconde vague de mobilisés. Même sans sous-officiers compétents, même sans militaires efficaces déjà incapacités, on peut croire à une tentative d’enfoncement des lignes dès que plusieurs dizaines de milliers de mobilisés seront arrivés dans la région, d’ici peu.
Dans cet esprit (hypothèse), l’AMX10 peut appuyer lourdement les troupes d’infanterie en première ligne qui défendent et interdisent les accès. Dans un second temps, les 6 roues pourront se combiner à d’autres équipements fournis pour reprendre les terres volées. D’abord, le char léger peut s’avérer redoutable pour défendre et interdire, en premier lieu. Une fois la seconde vague de mobilisés russes contenue, chose largement possible à moyen-terme, ça devrait vraiment sentir le sapin chez les envahisseurs trop sûrs d’eux-même. Là oui, un retour vers les frontières d’avant-hier devient envisageable.
MERCI pour votre blog. Meilleurs vœux pour 2023!
J’aimeAimé par 1 personne
Bonjour,
Question tout à fait naïve mais j’avoue que je l’ai entendue souvent : en quoi est-ce l’intérêt de la France de voir se créer en Europe une armée aussi puissante et liée de façon étroite aux Etats-Unis ?
Rien de cynique dans ma remarque, je souhaite aux ukrainiens de gagner, mais si je m’imagine en tant que CEMA français, je me poserai la question tout de même !
J’aimeJ’aime
La question n’est pas naïve, l’armée ukrainienne est désormais à un très haut niveau, mais parce qu’elle est soutenue et approvisionnée par les occidentaux. Néanmoins les Ukrainiens résisteraient sans cette aide, même s’ils devaient se battre avec des cailloux…
Je ne pense pas que l’armée Ukrainienne puisse être perçue comme une menace, contrairement à celle de Poutine…
J’aimeJ’aime