
Le débat actuel sur la livraison d’avions de combat modernes à l’Ukraine présente beaucoup de similitudes avec celui qui a précédé sur les chars de combat.
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L’Ukraine dispose en effet d’avions de combat anciens, hérités de l’époque soviétique, aux performances et en nombre réduit, de type Mig 29, Su 25 et Su 27. Quelques exemplaires et des pièces détachées ont été fournies par des pays voisins, mais ils ne constituent pas une flotte moderne et performante, ce sont l’équivalent des chars T72 dans l’aviation.



Notons aussi que pratiquement plus aucun avion de combat russe ne s’aventure au-dessus du territoire ukrainien au-delà de la ligne de front, les Russes n’utilisent plus que des « vecteurs non pilotés », des drones et des missiles de croisière, pour frapper l’Ukraine par les airs.
En effet, les défenses sol-air (anti-aériennes) ukrainiennes sont devenues performantes, en particulier avec la livraison de systèmes occidentaux modernes, et elles sont remarquablement informées des trajectoires des aéronefs russes. Mais le pire ennemi de l’aviation russe est peut-être sa propre artillerie sol-air dont les problèmes de coordination sont tels que plusieurs appareils russes ont été abattus par leurs forces…
L’appui feu rapproché, une mission contrariée
Dans cette guerre, les avions sont d’abord utilisés pour frapper sur la ligne de front, comme une très puissante artillerie aérienne, on parle de Close Air Support (appui feu rapproché), une mission difficile à mener pour deux raisons :
Dans la zone de combat, l’emploi massif de missiles portables anti aériens réduit considérablement les possibilités de survol, sauf à disposer pour les avions d’un armement guidé de plus de 4 km de portée, et de rester ainsi hors d’atteinte des missiles portables. C’est sans doute pour cette raison que les Ukrainiens ne demandent pas d’hélicoptères d’attaque dont l’allonge des armes est insuffisante dans ces conditions. Par contre, grâce aux livraisons de missiles portables particulièrement performants, les forces ukrainiennes ont fini par rebuter les vols russes sur le front, avions ou hélicos de combat qui ont subi des pertes considérables en s’approchant de trop.

Par ailleurs, un « appui feu rapproché » nécessite une excellente coordination des avions d’attaque avec les unités au sol pour éviter bien sûr de prendre ces dernières pour cible au lieu de les aider, et éviter aussi aux avions de traverser par mégarde des tirs d’artillerie, obus ou roquettes. Ce niveau de coordination est aujourd’hui aussi performant chez les Ukrainiens qu’il est devenu faible chez les Russes, faute d’équipes suffisamment entraînées.
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Pour ce type de missions, les avions évoqués par les alliés, Mirage 2000 français et F16 américains sont bien adaptés. Les Etats-Unis pourraient aussi livrer un avion spécialisé dans ce rôle d’appui-feu, le A10 Thunderbolt, une espèce de char volant blindé et puissamment armé, lent mais très manœuvrant. Les Américains hésitent depuis plusieurs années à le retirer du service parce que le A10 n’est pas en mesure de remplir les autres missions dévolues aux avions de combat (pilotés), mais son successeur désigné, le très sophistiqué F35, peine à convaincre dans ce rôle.

Frapper dans la profondeur, mais sans survol de la Russie…
En l’absence de missiles (ou de drones) de portée suffisante, engager une cible à plus de 150 km ne peut être envisagé par les Ukrainiens qu’en utilisant des avions de combat. Mais dans cette guerre, « au-delà de 150 km » signifie frapper le territoire russe, qui plus est en le survolant. Un acte de guerre que les alliés ne souhaitent pas risquer, même si les Russes n’ont pas la même prévenance vis-à-vis de l’Ukraine qu’ils ne cessent d’attaquer.
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Cette mission de frappe dans la profondeur n’a donc pas trop de sens dans ce contexte, elle se justifierait cependant si les missiles GLSDB promis par les Américains (des bombes guidées propulsées par des roquettes de HIMARS avec une portée de 150 km) présentaient des retards de livraison, car ces missiles sont seulement en cours de production et les Américains n’en auraient pas de stocks disponibles immédiatement.

Néanmoins la livraison d’avions ne s’envisage pas non plus dans l’instant, nous en reparlerons plus loin.
Contribuer à la défense aérienne contre les missiles et les drones
La défense aérienne est une troisième mission pour ces avions de combat, négligeable à ce stade contre les avions russes puisqu’ils ne se risquent plus au dessus du territoire ukrainien.
Mais ces missions d’interception – qui sont à l’origine du mot « avion de chasse » – seraient sans doute utiles en complément des missiles sol-air déployés en Ukraine pour aider à détruire les drones et les missiles de croisière russes, sous la condition encore une fois d’une parfaite coordination des vols et des tirs d’interception, ce qui est le cas des Ukrainiens à ce stade grâce au soutien des alliés.

La complexité de la « composante aérienne pilotée » rend perplexe les alliés
Un avion de combat est moins un avion qu’un système d’armes sophistiqué et complexe, dont « l’aéronef » n’est que la partie la plus visible, tel le sommet émergé d’un impressionnant iceberg.
Comme pour les pilotes de chars, les Ukrainiens disposent de pilotes de combat « aguerris » et particulièrement motivés. Sans offenser la technicité de mes camarades aviateurs, ces pilotes ukrainiens seraient capables d’utiliser assez vite des avions occidentaux modernes. Les former sur ces nouveaux avions est l’affaire de quelques mois, tandis que certains pilotes auraient même déjà commencé leur « transformation ».

Écouter Xavier Tytelman sur les avions de combat pour l’Ukraine
La partie la plus complexe est en réalité de mettre en place le système global, un environnement et un outil industriel de très haut niveau qui demandent des techniciens avec une compétence qui s’acquiert sur des années.
Il est probable que la livraison de tels avions aux Ukrainiens dans un délai de quelques mois seulement imposerait de déployer en partie des équipes alliées sur leurs bases aériennes. Certes, elles ne seraient pas engagées en première ligne, mais elles prendraient le risque d’être ciblées par une frappe russe. Cela explique une partie de la précaution que prennent ces alliés pour décider d’une telle livraison.
Notons au passage que les aviateurs des pays alliés sont partagés sur ce sujet entre leur conviction que leur « composante aérienne pilotée » est indispensable pour gagner ce conflit (en ne cédant surtout par leurs précieuses places aux drones non pilotés) et la complexité de livrer en Ukraine non pas des avions, mais bien un système d’armes avec tout son environnement. Un défi industriel et organisationnel.
Le F16 présente dans les airs le même intérêt que le char Leopard 2 sur terre
Construit en milliers d’exemplaires par l’américain Lockheed Martin (ex General Dynamics), achetés par de nombreux pays notamment européens (comme les Pays-Bas, la Belgique, la Grèce, le Portugal, la Slovaquie, la Roumanie et la Pologne), le F16 avec sa silhouette de requin est emblématique de l’avion de combat multi-rôle (capable de remplir toutes les missions décrites plus haut) et dont l’environnement industriel est maîtrisé, en Europe même.

Les versions récentes du F16 sont équivalentes au Mirage 2000 français, mais ce dernier n’a été construit qu’à quelques centaines d’exemplaires et seule la France en maîtrise l’outil industriel.

Comme pour le Leopard 2, la logique opérationnelle consisterait à livrer aux Ukrainiens un parc relativement homogène de F16, sur la base des stocks existants dans plusieurs nations, avec bien sûr l’aval du pays d’origine, les Etats-Unis.
Peut-être que la France voudra annoncer de son côté la livraison de Mirage 2000, bien que limitée par ces questions de nombre d’avions disponibles (quelques dizaines), de logistique et d’environnement. Mais une telle annonce faciliterait un accord des alliés, au même titre que la décision de fournir des chars légers AMX10 RC français avait notablement accéléré le compromis allié sur la livraison de chars lourds à l’Ukraine.
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Un ciel dégagé par une arme dont on a peu parlé
Depuis l’été dernier, des missiles HARM ont été livrés par les Américains et largement utilisés par les Ukrainiens, notamment à partir de leur MiG 29. Ces missiles – très efficaces – se guident sur les radars des systèmes sol-air russes jusqu’à 150 km. Ils ont détruit de nombreuses batteries de missiles que les Russes avaient déployées sur les territoires envahis en Ukraine.


La destruction depuis plusieurs mois des systèmes sol-air russes (à l’exception notable des missiles portables qui eux n’émettent pas de rayonnement et sont très difficiles à détecter) a dégagé le ciel ukrainien et permet à des avions de combat de survoler l’essentiel de leur territoire sans être en permanence menacés par les missiles russes. C’était une condition importante pour rendre viable la constitution d’une force d’avions pour les ukrainiens.
Des limitations d’emploi conformes à la stratégie des alliés
Tandis que les 50 pays qui soutiennent l’Ukraine se sont accordés sur le fait que les forces ukrainiennes ne devaient en aucun cas menacer le territoire russe, une livraison d’avions de combat modernes imposera qu’ils ne soient jamais utilisés au-dessus du territoire russe, la Crimée restant une question controversée dans ce cadre…
Si un accord était trouvé entre les alliés, ces avions de combat livrés par les alliés contribueraient de manière importante à la puissance et à l’efficacité des futures contre-offensives ukrainiennes, nécessaires pour défaire militairement les armées russes (qui ont envahi l’Ukraine) et entraîner vraisemblablement la chute de Poutine dont le pouvoir ne résistera pas à un tel échec.
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La livraison de ces avions est-elle indispensable pour autant ?
C’est l’objet de la réflexion actuelle des alliés et il est probable qu’ils arrivent à une conclusion rapidement puisque cela serait assez cohérent avec leur stratégie de donner aux Ukrainiens les moyens d’en finir avec cette guerre qui ravage leur pays, une guerre déclenchée depuis un an maintenant par Poutine et son régime.

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Merci pour cet article, très instructif pour un néophyte de mon espèce.
Michel WALTER
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Toujours passionnant
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une très fine analyse, merci Mr Ancel
effectivement les Fairchild A-10 pourraient être utiles sur le terrain aujourd’hui
Poutine utilise des SMP (wagner) sur le terrain, pourquoi le gouvernement ukrainien n’agirait-il pas de même? Il doit y avoir des anciens pilotes et techniciens de A-10, ou autres avions, disponibles et volontaires? (cf escadrille La Fayette en 1916, AVG en Chine, Eagle Squadrons…) tout ça reste spéculatif et devra dépasser le manque de courage des autorités décisionnaires.
Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir…
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Les Ukrainiens « emploient » déjà des volontaires étrangers, mais dans des conditions assez limitées.
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Toujours intéressant de vous lire. Espérons qu’ils arrivent à temps pour finir cette guerre au plus vite du possible…
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Bonjour Guillaume. Merci d’avoir pris en compte le mirage 2000 dans cette analyse très juste. Au Sahel il y a peu, il a été possible d’utiliser des bombes sous le point d’emport ventral du 2000C (en complément des 2000D). Ça m’a motivé pour écrire une suggestion sur mon blog perso, il y a quelques jours. Si le temps et l’envie vous le permettent, j’ose y proposer un escadron -C sans guidage A2SM et sans trop de réservoirs de carburant pour l’armée ukrainienne:
https://tookoor.wordpress.com/2023/01/31/la-paix-rapide-est-un-mirage/
Désolé si le lien gêne, je ne serai pas navré si mon message est modéré, je comprendrai.
Amicalement o/
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