Zelensky à Washington, un moment historique et Patriotique

Le 21 décembre 2022, au moment du solstice d’hiver, au 300° jour d’une guerre impitoyable lancée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine, le président Zelensky a été accueilli avec tous les honneurs aux Etats-Unis. 

Un voyage risqué 

Le président ukrainien a été l’objet de nombreuses tentatives d’assassinat, car c’est bien comme cela que Poutine entendait conduire son « opération militaire spéciale », en décapitant le pouvoir du pays qu’il convoitait. Zelensky reste donc en permanence menacé par un régime russe qui n’aura aucun scrupule à le faire assassiner. 

Quitter le sol ukrainien n’était pas sans risques, Zelensky a décollé de Pologne, dans un avion de l’US Air Force protégé par un dispositif à la hauteur de l’enjeu, escorté en vol par des F15, puissants avions de chasse américains. Il ne fallait pas non plus, qu’atterrissant aux Etats-Unis, le président ukrainien ne puisse être « flingué » par un conspirationniste surarmé et habilement manipulé. 

Protection maximale, aucun bain de foule une fois arrivé à Washington, réception millimétrée à la Maison Blanche et au Congrès. Les Etats-Unis apportent leur puissance protectrice au dirigeant de l’Ukraine.

Le chef d’un pays en guerre et un communicant hors pair

Le président Zelensky revenait juste d’une visite sur le front, à Bakhmout où les Russes sacrifient au quotidien des centaines de soldats pour arracher aux ukrainiens une victoire sans intérêt dans des combats d’une effroyable intensité. Là aussi, Zelensky n’a pas hésité à s’exposer – c’est actuellement la zone la plus bombardée du front – pour aller décorer quelques-uns de ses combattants. Il affiche sa simplicité et son respect pour les soldats, quand Poutine affiche sa froideur et sa distance en faisant la leçon à une assemblée de généraux glacés. 

Le premier dirige une nation en guerre et repose sur les militaires pour la conduite des opérations, quand le second veut tout diriger d’une main de fer. Pourtant, Poutine n’a aucune connaissance militaire et s’impose uniquement par sa brutalité, il est désormais dans une impasse. 

À Washington, Zelensky est vêtu de couleur militaire, mais sans jamais se déguiser dans un uniforme qui ne serait pas le sien. Avec un sens avancé du geste qui tient lieu de message, il offre à Joe Biden la médaille d’un capitaine ukrainien qu’il voulait décorer sur le front et qui lui a demandé de la remettre plutôt au président des Etats-Unis. Émotion d’une nation qui montrait pourtant des signes de réticence et même de lassitude face à un conflit qui ne les affecte pas directement et qui leur coûte des dizaines de milliards de dollars. 

Zelensky, en parfait communicant, a emporté le soutien du peuple américain pour l’Ukraine en guerre, pour une nation en résistance face à l’agression russe.

Dans ce conflit qui est aussi une guerre de la communication, Zelensky l’emporte haut la main, tandis que le maître du Kremlin négocie avec peine le soutien inutile d’une Biélorussie qui brille par sa fragilité tant elle souffre d’être tyrannisée par un allié de Moscou. 

D’un côté, un président humble et représentatif de l’esprit de résistance qui anime son peuple, de l’autre un monstre glacial qui a définitivement perdu toute trace d’humanité et des réalités. 


Une batterie de Patriot en cadeau de Noël ?

Le président américain Joe Biden a annoncé officiellement que les Etats-Unis offraient notamment à l’Ukraine une batterie de missiles Patriot. 

Le Patriot est un système de défense contre les avions et les missiles, c’est aujourd’hui le plus sophistiqué au monde. En plus de son prix de l’ordre du milliard de $, il est d’une grande sensibilité puisqu’il s’agit de « l’état de l’art » américain dans leur capacité à intercepter des lanceurs redoutés comme les missiles qu’utilisent par vague entière les Russes pour dévaster les réseaux énergétiques ukrainiens, faisant au quotidien des morts supplémentaires, des civils uniquement. 

Le Patriot n’est cependant pas un bouclier parfait, c’est la troisième couche d’un système de défense anti-aérienne qui se superpose à celles des canons et missiles portables (très courte portée, quelques km) et aux systèmes dits de courte portée (autour de 10 km, comme le Crotale ou le Nasams). 

Lire aussi : les armements utilisés dans la guerre de Poutine contre l’Ukraine

Le Patriot complète et allonge la portée de ces dispositifs au-delà de 100 km, mais il ne constitue ni un « dôme d’acier » – qui n’a jamais existé –, ni une protection contre les drones de type Shahed136 iraniens trop petits pour être détectés et qui ne valent d’ailleurs que quelques dizaines de milliers de dollars quand un missile Patriot coûte en millions… 

Lire aussi : l’attaque des drones iraniens, fantasmes et réalités

Un début de zone d’interdiction aérienne 

Qu’est-ce que le Patriot va changer dans cette guerre ?

A proprement parler, le déploiement d’une batterie Patriot n’est pas un tournant dans cette guerre. Il va permettre d’intercepter plus de missiles lancés par la Russie et dissuader tout vol d’avions russes dans les 100 km de Kiev. Mais le Patriot est par nature un système défensif qui protègera mieux une partie de l’Ukraine sans toutefois donner à ses forces militaires une capacité offensive qui ferait la différence dans les combats à mener. 

Ce qui change réellement avec le Patriot, c’est l’engagement des Etats-Unis qui apportent désormais un soutien essentiel et solennel à l’Ukraine, en leur livrant leur système défensif le plus sophistiqué et le plus sensible. 

Mais plus encore, dans un contexte politique compliqué aux Etats-Unis, où le changement de majorité de la chambre des représentants et ce qui reste du clan trumpiste pouvaient affaiblir le soutien accordé jusqu’ici aux Ukrainiens, Zelensky a obtenu un réengagement des Etats-Unis qui change la donne sur le terrain, pour la poursuite de la guerre. C’est en effet un nouveau « paquet » de 45 milliards de $ (42 Mds €) que vient d’adopter le Congrès américain et qui réassure la capacité de résistance des Ukrainiens. 

Quand les Patriot seront-ils déployés sur Kiev ?

Il faut plusieurs mois pour préparer et entraîner les opérateurs d’une batterie Patriot, une centaine d’hommes qui serviront l’ensemble du système constitué principalement d’un centre de contrôle, d’un système radar très sophistiqué et d’unités de tir (les missiles). 

Il semble que ces opérateurs soient déjà formés ou près de terminer leur formation en Allemagne, ce qui permettrait un déploiement rapide tandis que Poutine sera tenté de tirer de nouvelles salves de missiles avant leur installation. Ce dernier a même fait annoncer que la batterie Patriot constituera une cible que l’armée russe essaiera de détruire à coup sûr. Ce sera aussi un test opérationnel dans les deux sens : la capacité du Patriot à intercepter des missiles qui lui sont destinés et la capacité russe à détruire une cible à haute valeur symbolique ajoutée…

Alors que les Américains avaient montré jusqu’ici leur réticence à livrer un tel matériel aux Ukrainiens, leur décision marque une étape cruciale dans l’importance de leur soutien et la confiance qu’ils leur accordent désormais. Quelques semaines auparavant, ils avaient permis aux Ukrainiens de frapper des bases stratégiques au cœur de la Russie, à la même portée que Moscou, avec du matériel russe détourné. 

Lire aussi : Tir de missiles ukrainiens contre des bases militaires en Russie, riposte ou provocation ?


La reprise des contre-offensives ukrainiennes

Depuis la victoire de Kherson le 11 novembre dernier, il était étonnant que les Ukrainiens n’exploitent pas leur succès en cherchant à créer une nouvelle brèche dans le front que les Russes cherchent désespérément à figer. 

Lire aussi : 11 novembre 2022, date de la libération de Kherson par les Ukrainiens

Plusieurs éléments les en ont empêchés de fait. La boue en premier lieu qui limitait tous les déplacements en dehors des routes et qui ne disparaîtra qu’avec le gel des sols. 

Par ailleurs, les Russes ont employé une partie des forces repliées de la région de Kherson pour mener une offensive contre une cible sans intérêt militaire, mais imposée par Poutine pour clamer enfin une « victoire militaire ». 

C’est la bataille de Bakhmout qui dure depuis des mois et qui consomme au quotidien des centaines de soldats et de mercenaires russes pour rien. Néanmoins, les Ukrainiens ont été obligés de mobiliser certaines de leurs unités pour contrer cet acharnement russe, en utilisant des moyens (et des hommes) qu’ils auraient volontiers dédiés à une contre-offensive. 

Depuis plusieurs semaines, les unités militaires ukrainiennes qui sont en mesure de lancer ces contre-offensives sont gardées en réserve. Elles attendaient de savoir si elles pourraient compter sur un approvisionnement massif et sur les renseignements cruciaux pour mener de telles opérations, ou s’il leur fallait craindre une tentation de négociation avec Poutine, qui aurait ménagé à ce dernier du temps pour réparer une partie de ses forces bien mal en point. 

Et c’est bien un soutien essentiel qu’apportent les Etats-Unis, officialisé par ce voyage, à l’exception d’un type d’armement qu’ils refusent toujours de livrer : des missiles de portée supérieure à 150 km qui permettraient aux Ukrainiens de frapper les bases arrières russes. Dans la liste connue, pas de missiles ATACMS de 300 km de portée ou d’autres lanceurs, mais beaucoup de munitions pour les systèmes déjà utilisés (HIMARS qui sont des Lance Roquette Multiple), sets pour fabriquer des bombes guidées, obus de précision, etc…

Les Américains, outre la batterie Patriot, se sont surtout engagés à fournir les équipements et les munitions nécessaires pour que les forces ukrainiennes puissent conduire de telles contre-offensives sans laisser le temps aux Russes de se renforcer.

Les Ukrainiens, forts du soutien renouvelé des Américains, peuvent maintenant vaincre l’armée russe sur leur terrain. 


BFM TV, émission spéciale de Maxime Switek, 21 décembre 2022

10 commentaires sur “Zelensky à Washington, un moment historique et Patriotique

  1. merci pour cette analyse, je suit vos interventions médiatiques avec intérêt

    bien sûr que les démocraties doivent aider l’Ukraine; montrer aux despotes que c’est le droit qui doit primer. Je ne pense pas que la livraison de Patriot soit une ligne rouge pour Poutine (ou alors elles sont mouvantes); je ne suis pas spécialiste mais il s’agit d’un système de défense et pas offensif (les US imposeront des conditions draconiennes d’utilisation).

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    1. @Emmanuel, bonjour.

      Après 10 mois d’invasion de l’Ukraine par les forces du Kremlin, les milliers de chars incapacités, les centaines d’aéronefs détruits, les tonnes de TNT délivrées et les morts, que suggère l’objectivité ?

      Ne surtout pas avoir gagné un match avant le coup de sifflet final est une évidence dans toutes les sales guerres. Néanmoins, le parti pris optimiste de l’auteur équilibre les arguments, si on compare ses propos avec les déclarations offensives répétées de la sainte grande Russie. L’optimisme de Medvedev dans ses prémonitions pour 2023 et l’optimisme de Poutine pour rallier l’ensemble des nations non occidentales contre l’occident, sont sans commune mesure.

      Le premier maillon de la chaîne consistait à contrôler Kiev très rapidement pour renverser le pouvoir ukrainien et installer des hommes pro-Kremlin. Le maillon a croisé une saisine dans un aéroport, ainsi qu’une carence de suivi logistique entre la frontière et le nord de Kiev.

      Le deuxième maillon de la chaîne était l’interdiction de Mer Noire aux ukrainiens, via le contrôle de l’île aux serpents, puis la prise stratégique d’Odessa pour verrouiller le littoral. Ça a mis un peu de temps, mais malgré la perte du navire amiral de la zone sud, on peut féliciter la confiance: dans quelques dizaines de jours ça devrait passer crème. Si si…

      Le troisième maillon était la prise complète du Donbass et le repli global des forces ukrainiennes derrière la rive droite du Dniepr. Ça prend un peu de temps à Zaporija, parce que les glorieuses forces qui ont conquis Kherson vaillamment, doivent aider à Bakhmout la rebelle. Les matériels importés d’Iran et de Corée-du-Nord vont sûrement résoudre le petit désagrément.

      L’appui affiché clairement à Washington par Biden et le Congrès lors de l’unique déplacement extérieur de Zelenski, la livraison prochaine de munitions et d’équipements (USA+UE) et l’état d’esprit des citoyens ukrainiens qui viennent de fêter Noël le 25, sont des atouts maîtres dans le jeu de la guerre (sale). Les dés ne sont pas jetés, mais après 10 mois d’invasion par le grand Kremlin, l’optimisme paraît mesuré et tangible.

      Les prochaines inconnues sont la participation Biélorusse à la frontière nord, pour disperser la défense ukrainienne sur la longueur, ainsi que l’efficacité opérationnelle des renforts russes prochainement déployés (compétence, équipement, motivation). Vous avez raison d’avoir une approche pessimiste quand on aborde le sujet de la guerre (toujours sale) , ça limite la casse et ça sécurise ensuite. L’auteur a raison aussi d’être optimiste, parce que les faits vont dans son sens.

      Cordialement

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      1. Je ne sais pas pourquoi je serais pessimiste, parce que j’ai quelques doutes sur l’optimisme absolu affiché en Occident. J’ai l’impression qu’on sous-estime les capacités russes dans la durée, même si tout ce que vous écrivez est exact. Disons que je ne connais pas l’avenir et que je ne l’oublie pas.
        Je souhaite que l’Ukraine retrouve ses frontières initiales, celles d’avant l’invasion de la Crimée.
        Poutine se voit en chevalier blanc de la chrétienté et malgré cela il n’hésite pas à enfreindre le décalogue sur plusieurs points : « Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi », « tu ne tueras pas » et « Tu ne voleras pas ». Il met la « grande Russie » à la place de Dieu, voire lui-même, Il tue sans complexe en masse, il vole l’Ukraine. Bref il porte ses désobéissances chrétiennes à son paroxysme et montre par là qu’il ment en profondeur sur la qualité de ses intentions. Il plonge la Russie dans la plus grande dépravation possible, bien au-delà de celle dont il accuse l’Occident. Il n’a pas lu que dans l’évangile, Jésus ne parle jamais de l’homosexualité. Pourquoi ce silence ?
        Je sais bien que ces considérations ont peu de valeur pour les stratèges. Mais à mon avis elles doivent en avoir pour le peuple russe.

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