Tir de missiles ukrainiens contre des bases militaires en Russie, riposte ou provocation ? 

Lundi 5 et mardi 6 décembre, tandis que la Russie continue à tirer des salves de missiles contre des objectifs civils en Ukraine, cette dernière lance pour la première fois des attaques contre des bases militaires russes distantes de plusieurs centaines de km de sa frontière. 

Une performance inattendue

Jusqu’ici, les Ukrainiens n’étaient censés disposer que de lanceurs de portée réduite, en particulier de roquettes guidées depuis leur Himars (ou Lance roquette multiple) d’une capacité de 80 km, qu’il faut réduire en réalité de 20 km pour éviter de les exposer à l’artillerie russe en les éloignant de la ligne de front. 

Jusqu’ici, les Américains se sont refusés à fournir des missiles ATACMS qui portent à 300 km, parce que ces armes auraient permis aux Ukrainiens de frapper sur le sol russe et en Crimée, un territoire très contesté. 

La première surprise est donc que les Ukrainiens disposent de lanceurs capables d’atteindre des cibles situées à plus de 600 km de leurs frontières, au cœur de la Russie. 

Lire aussi : les armements utilisés dans la guerre de Poutine contre l’Ukraine

A ce stade, il semble que ce soit d’anciens drones soviétiques, des années 1970, qui ont été modifiés par les Ukrainiens pour se transformer en missile (un missile ne revient pas sur sa base de lancement contrairement à un drone).

Guidage par GPS, profil de vol modifié et peut-être leurrage pour éviter les défenses sol-air russes (v le commentaire de tookoor en fin d’article), emport d’une charge explosive qui n’était pas prévue initialement, les Ukrainiens ont démontré encore une fois leur capacité d’adaptation et leur imagination, en transformant une Simca pour « faire la course » plutôt qu’en achetant une Tesla.

Si le Tu 141 a été identifié pour au moins une attaque, les deux autres pourraient être le fait d’un drone beaucoup plus modeste construit par les Ukrainiens avec une charge militaire de l’ordre de 80 kg, l’équivalent de « seulement » deux obus d’artillerie, ce qui signifie une capacité de destruction limitée mais avec une portée du même ordre, d’environ 1,000 km. 

Des dégâts matériels limités 

Les destructions infligées par ces attaques semblent limitées. Elles visaient des aérodromes militaires occupées par des bombardiers lourds, ceux-là même qui tirent (une partie) des missiles de croisière avec lesquels la Russie agresse jour après jour les principales villes d’Ukraine. 

Sur les rares images disponibles, on peut constater que les dégâts sont limités, tout au plus quelques appareils endommagés tandis que l’aviation russe en dispose d’un grand nombre et que ces bombardiers sont dispersés sur ces bases aériennes pour éviter un effet domino si l’un d’entre eux prenait feu ou – comme ici – était attaqué.

L’attaque ukrainienne contre ces bases aériennes russes ne changera donc pas le cours de la guerre, ni n’empêchera les bombardements russes contre son territoire, mais elle signe la défaillance du système sol-air russe et une attaque symbolique à plus d’un titre dans cette guerre.

Défaillance de la défense aérienne russe

C’est une autre surprise de taille alors que l’on croyait la défense aérienne russe très moderne et complète. 

Avec notamment des missiles de longue portée S300 et S400, complétés par des systèmes de courte portée, cette défense anti-aérienne russe était considérée comme une des plus performantes du monde, d’autant qu’avec la guerre contre l’Ukraine, elle était forcément activée au maximum de son potentiel. 

Le fait que plusieurs lanceurs ukrainiens aient pu atteindre leur cible en Russie est une contre-performance terrible pour le « bouclier anti-aérien » dont prétendait disposer le Kremlin. 

Ces lanceurs ukrainiens ont parcouru plusieurs centaines de km en Russie sans être interceptés. Ils ont visé des installations strictement militaires, mais ils auraient pu tout aussi bien atteindre Moscou du fait de leur portée. 

Cette attaque ukrainienne aurait pu atteindre Moscou

On imagine sans peine, malgré les dénégations d’un pouvoir qui va d’échec en échec, l’émotion de la société russe à l’idée qu’elle puisse être bombardée, alors que jusqu’ici elle s’était peu émue des vagues d’attaques contre l’Ukraine, qui visent pourtant uniquement des cibles civiles. 

Le régime de Poutine va s’efforcer de démontrer qu’il dispose d’une défense très élaborée, mais la démonstration du contraire est faite, comme lorsque la Crimée a fait l’objet de plusieurs attaques, visant notamment le pont de Kertch, aussi appelé « pont Poutine ». 

Lire aussi : l’attaque contre le pont Poutine 

Cependant, sur la performance du système de défense aérienne russe, il faut noter deux points importants :

Le bouclier anti-aérien russe a été surestimé, comme a été surestimé l’ensemble des capacités des forces militaires de Poutine. Leurs performances en Ukraine, certes face à une résistance acharnée, relèvent d’une grande médiocrité, aussi bien en niveau d’équipement, de formation, de renseignement comme de commandement. 

Il n’existe à l’heure actuelle aucun système fiable de « parapluie » anti-aérien 

Par ailleurs, tous les fabriquant de systèmes de défense aérienne surestiment la performance de leur dispositifs. Il n’existe à l’heure actuelle aucun système fiable de « parapluie » pour protéger une large zone, qui plus est une nation entière. En fait, leur performance réelle se situe plutôt dans la proportion de projectiles interceptés (nonobstant les retombées), une capacité qui n’a jamais dépassé localement 80% face à une menace homogène et qui dégringole dès lors que l’attaque est complexe : missiles de types différents combinés à des drone difficilement détectables, volant parfois en « essaim ».

Une attaque ukrainienne d’une portée symbolique considérable

Cette attaque ukrainienne sur le territoire russe a une triple portée. En premier lieu, elle renverse le sentiment de « domination » dont croyait bénéficier la Russie jusqu’ici. C’est Poutine qui bombardait et l’Ukraine qui ramassait les coups, pour l’essentiel. 

Avec cette frappe, comme pour le croiseur russe Moskva détruit en mai dernier par les Ukrainiens, c’est un autre fleuron de l’armée russe – sa flotte de bombardiers – qui a été attaquée (à défaut d’être détruite) et ce en plein territoire russe. 

Explications sur LCI par Xavier Tytelman, Air & Cosmos

Cette attaque montre par ailleurs la dissymétrie de ciblage, les Ukrainiens ont visé exclusivement des objectifs militaires jusqu’ici, tandis que les Russes ne détruisent quasiment plus que des objectifs civils. Cela ne peut qu’interroger ceux qui soutiennent encore Poutine, alors que la population russe doit s’inquiéter désormais que l’Ukraine puisse décider de la bombarder, comme le fait Poutine depuis presque dix mois. Ce ne sont plus seulement des citoyens russes mobilisés qui risqueraient leur vie dans ce conflit, mais bien la population russe qui serait directement menacée par cette guerre. 

Riposte ou provocation… une escalade de fait

En troisième lieu, cette attaque en territoire russe signifie aussi un accord tacite des Etats-Unis qui estiment désormais « normal » que l’Ukraine puisse mener des opérations au cœur du pays qui l’agresse. C’est une forme d’escalade contrôlée dont il ne faut pas sous-estimer l’importance.

Ces bombardements ukrainiens en Russie posent à nouveau la question de l’extension du conflit. Ce que la Russie de Poutine voulait être « une opération militaire spéciale » strictement limitée au territoire ukrainien devient une guerre qui s’étend au territoire russe. Poutine a mis en danger son propre territoire, cet empire qu’il croyait reconstituer. 

Dans ce contexte, il sera difficile au président russe de qualifier l’attaque ukrainienne de « provocation », car c’est bien lui qui a provoqué cette guerre contre un « pays frère ». Il a cru qu’il pourrait le dominer en quelques jours du fait d’une supériorité qui n’est plus avérée, bien au contraire. 

Poutine a mis en danger son propre territoire, cet empire qu’il croyait reconstituer

La Russie de Poutine est désormais vulnérable, autant du fait de son armée qui expose sa réelle faiblesse que par la stratégie désastreuse de son président qui prétendait sécuriser la Russie et qui ne l’a jamais autant fragilisée. 

Cette riposte ukrainienne, conjuguée aux échecs de l’armée russe sur le terrain, rapproche inexorablement Vladimir Poutine du gouffre…


Lire aussi : Ukraine, la diagonale du fou ?

4 commentaires sur “Tir de missiles ukrainiens contre des bases militaires en Russie, riposte ou provocation ? 

  1. Une hypothèse avancée par un analyste sur un média français parle de transpondeur. L’hypothèse stipule que si des techniciens ukrainiens avaient pu intégrer un transpondeur à un drone, puis émettre un ancien code d’identification de chasseur russe abattu avant, la détection de menace adverse serait amoindrie à court terme.

    Quand un drone vole plusieurs centaines de kilomètres en territoire russe, sans signe d’alerte des zones de défense, on peut se poser des questions sur l’efficacité des drones pas vraiment furtifs sur de telles distances, à des horaires aux faibles transits aériens. La méthode hypothétique suggérée pourrait-elle fonctionner à moyen terme, jusqu’à la mise à jour des fichiers d’identification russes ?

    Concernant les effets mitigés des frappes sur des tarmacs de bombardiers (Tu-22M Backfire, Tu-95 Bear ou Tu-160 Blackjack), on est certains qu’à très courte échéance, l’organisation logistique+positionnement des forces russes avant propre frappe est modifiée et handicapée temporairement. On peut émettre ici l’hypothèse de repli, ou éloignement sur zone d’éléments de préparation de vol, qui ralentissent les actions habituelles des unités à l’origine des bombardements en Ukraine. Sans perte sèche de x matériels, l’incapacitation de y matériels à T+1 a un intérêt non négligeable pendant quelques jours.

    J’émets l’hypothèse profane que si les russes avaient détecté des franchissements de frontière par mobiles à réaction (vitesse d’évolution), ils auraient peut-être activé leurs brouilleurs de GPS sur leurs grosses bases, bien avant l’arrivée finale des plots classifiés hostiles, 10 minutes avant ciblages des tarmacs.

    Frappes de limitation après bombardements massifs subis ? Limitation de l’organisation adverse avant mise à jour de leurs procédures d’identification ? Je ne sais pas. Je sais par contre que les défenseurs ukrainiens connaissent le langage des attaquants russes… mieux qu’eux.

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