Dans la guerre russe contre l’Ukraine, trouver des sources sûres 

Nous nous sommes tous posés cette question des sources que nous pouvions utiliser pour nous informer sur la guerre russe contre l’Ukraine. Loin de pouvoir apporter des réponses définitives, je vais me contenter de partager quelques observations. 

  • Croiser ses sources

C’est le seul moyen de ne pas se retrouver dans une impasse. Une information qui n’est pas concordante pour au moins deux, voire trois sources différentes (et indépendantes) présente le risque d’être une erreur d’interprétation, de compréhension, voire une erreur tout court. Croiser ses sources est la base de l’information, nous ne le faisons jamais assez. 

Personnellement, je vérifie systématiquement les informations et je teste les raisonnements que j’aurais élaborés en les soumettant à des esprits dont je connais l’indépendance d’esprit et la capacité à regarder au-delà du bout de leur nez… Des militaires pas seulement français, des spécialistes en stratégie et en relations internationales, des ambassadeurs mais aussi des reporters, des universitaires et de solides historiens, quelques voyageurs et beaucoup d’esprits libres qui ne se vivent pas comme des experts, mais qui n’oublient jamais de raisonner.

Un œil particulier sur les creux et les silences qui sont parfois aussi intéressants que les déclarations elles-mêmes. L’exemple type est l’appellation « opération militaire spéciale » qu’a voulu imposer Poutine pour parler de cette guerre, un biais qui en dit long sur ses intentions initiales et ses déboires actuels. A défaut de confirmation, surtout des sources confidentielles, j’obtiens parfois certaines informations par l’absence de démenti ou de réactions.

  • Des sources sûres, mais spécialisées 

Sans hésitation, la source « générale » la plus sérieuse et réactive en France est actuellement le Live du journal Le Monde
Il est accessible sur abonnement, remarquable par la qualité des sources et le tri des informations, la rédaction du Monde est exemplaire par les moyens qu’elle consacre à la couverture de cette crise, même si de nombreux autres médias français publient d’excellents articles sur le sujet. C’est leur suivi dans la durée qui fait du Monde une source d’une qualité exceptionnelle. 

L’analyse militaire ouverte la plus sérieuse est à mon avis celle du colonel et historien Michel Goya, @Michel_Goya sur Twitter et son blog, la voie de l’épée
! Les analyses de Michel Goya sont très militaires et il faut une certaine culture du même nom pour les suivre. Ses références historiques sont importantes et surtout, elles sont étayées par une réelle connaissance des opérations militaires. Cela fait la différence avec ces trop nombreux « professeurs à Sciences Po » qui ont des avis très tranchés sur tous les sujets militaires mais en omettant de préciser qu’ils n’ont jamais entendu un coup de feu. Notons au passage que l’inverse n’est pas vrai, tous ceux qui se sont battus les armes à la main n’ont pas forcément un avis sur ces questions, ni d’analyses à partager…

L’analyse technique, en particulier des armements, s’appuie sur des réseaux dont un des plus intéressants est celui animé par Xavier Tytelman, d’Air&Cosmos.
Son adresse Twitter est inquiétante @PeurAvion, ses analyses de l’information ouverte absolument remarquables : même dans les domaines que je croyais bien connaître, je suis bluffé par l’intelligence collective des réseaux qu’il fédère. Il publie régulièrement un récapitulatif sur sa chaîne YouTube 

Pour la cartographie actualisée de ce conflit en Ukraine, complexe et sensible, je recommande le site de l’Institute for Study of War (ISW) qui publie en particulier une situation actualisée au fil de l’eau tout à fait remarquable.
Elle n’est pas très simple à lire, outre le fait que toutes les descriptions sont en américain, mais elle est précise et bien informée. Elle est fiable. 

[Il existe de très nombreuses autres sources, intéressantes et pertinentes, mais le but de cet article n’est pas de les recenser, qu’elles n’en prennent pas ombrage pour autant]

  • Des chaînes d’info qui font de leur mieux

Je craignais que la guerre contre l’Ukraine ne devienne rapidement un sujet de troisième zone pour des chaînes qui dépendent largement de l’intérêt du public. En réalité, les chaînes « d’info continue » ont fait un sacré travail, en alimentant cet intérêt avec des émissions spéciales, des reportages et des confrontations de réactions qui permettent d’avoir des avis différents (cf le croisement des sources). 

Je vais citer en premier BFM TV qui a la plus forte audience et pour qui je commente régulièrement cette actualité. Elle brille par le dynamisme de ses équipes qui cherchent, commentent et analysent avec une énergie époustouflante.
France Info TV mise sur le travail en profondeur de sa rédaction, des sujets qu’elle prend le temps de fouiller et sa synergie avec les reporters de la radio du même nom.
Enfin, je nommerai LCI, notamment pour ses émissions dédiées à l’Ukraine, comme celle de Darius Rochebin, qui permettent des tours d’horizon de la situation avec des plateaux très complets.
Là aussi, la pertinence et la complémentarité des invités comptent, c’est tout le travail des rédactions, des chroniqueurs et des programmateurs de ces chaînes qui travaillent tous les jours (et la nuit) pour produire de l’information de qualité.

Pour ceux qui pensent que mes observations sont trop positives, je pourrais aussi citer les commentateurs que je recommande de laisser de côté, mais la liste n’est pas longue. Vous pouvez éviter les interventions d’Hubert Védrine qui a longtemps prôné le rapprochement avec la Russie de Poutine – qui l’a probablement financé pendant un temps –, son amie Ségolène Royal pour la « conneritude » de ses déclarations sur le sujet, et enfin vous pouvez fuir une catégorie qui se reconnaît assez facilement, les faux-semblants : ceux qui ressemblent à des militaires mais qui ne l’ont jamais été, ceux qui se prennent pour des historiens mais qui n’ont jamais étudié, ceux qui veulent faire les journalistes sans prendre le temps de s’informer ni de connaître ce (rude) métier. 
Ce sont heureusement des espèces que les rédactions finissent par écarter, mais elles fleurissent encore dans des milieux peu scrupuleux et propices aux polémiques inutiles, comme CNews que je recommande vivement d’éviter. 

  • Des débats indispensables 

Le débat est l’aspect qui me semble le plus important dans les analyses menées au sujet de cette guerre contre l’Ukraine. Lorsque j’écris seul mes articles, – 35 pour ces dix premiers mois de conflit –, je suis toujours inquiet de m’enfermer dans mes propres certitudes, « d’avoir raison » faute de contradiction. Tandis que lorsque je suis invité dans un débat, le doute naît de la confrontation et je suis heureux que des voix dissonantes puissent s’entendre, en particulier sur ces plateaux des chaînes d’info continue. 

La contradiction pour éviter la propagande, le débat pour lutter contre la myopie. Ici, le rôle du journaliste animateur est essentiel, il fait toute la différence dans sa capacité à pousser les intervenants dans leurs retranchements. Une grande palme de l’animation à Yves Calvi et Axel de Tarlé qui tendent les discussions avec une pression continue sur l’enchaînement des arguments : pourquoi avoir avancé cela ? Qu’est-ce vous voulez dire quand vous affirmez ceci ? Quelles conséquences si l’on suit votre raisonnement ?

Citons en complément, dans un registre différent, C dans l’air sur France 5 qui cherche l’approfondissement, un exercice difficile qui nécessite de réunir des experts, d’ailleurs j’y suis rarement… Rappelons enfin la qualité première des journalistes qui animent ces émissions, leur capacité à rendre compréhensibles des situations caractérisées par leur absence de clarté et leur complexité. C’est tout le talent de Patricia Loison et Sorya Khaldoun, de Maxime Switek et Alice Darfeuille, de Jean-Baptiste Boursier et Pauline Simonet, d’Alain Marshall et Olivier Truchot, de Philippe Gaudin et Éric Brunet pour ne citer qu’eux. Mention spéciale pour les chroniqueurs qui éclairent un aspect particulier avec un travail de fond qui nécessite des années de connaissance, je pense en particulier à Ulysse Gosset et Thierry Arnaud, Anne Nivat et Laurence Haïm, Samantha de Bendern et Christian Makarian.
Et je regrette déjà de ne pas en mentionner plus tellement ils le mériteraient, ces professionnels de l’information qui arrivent dans un temps très contraint à rendre accessible et clair ce qui ne l’est pas.

Alors, souhaitons que cette année 2023 permettra d’y voir plus clair dans ce conflit crucial et – qui sait ? – d’en apercevoir son issue. 

8 commentaires sur “Dans la guerre russe contre l’Ukraine, trouver des sources sûres 

  1. Le fil du Monde, France Info et France 24, les différentes interprétations sur des médias mainstream et quelques pages spécialisées comme la Voie de l’épée, Ate Chuet, X. Tytelman, Opex360, 7 jours sur Terre, P. Boniface,…, m’aident à obtenir des données contradictoires pour essayer d’avoir un avis personnel. Je m’autorise parfois le suivi de pensées contraires, permettant si possible une vue d’ensemble transversale, même si je reconnais souvent des partis pris et mes propres biais cognitifs: croiser un rare compte-rendu de stratpol ne changera pas mon opinion, mais me permet de préparer ma contre-argumentation personnelle (par biais cognitif assumé).

    Tout ne se sait pas immédiatement dans le fracas des infos à la vitesse de la fibre. Le doute m’est utile quand la com de guerre irrigue des bords polarisés. Des intervenants extérieurs qualifiés par leurs expériences professionnelles permettent, à petite échelle, de debunker rapidement des scoops officiels certifiés dans la guerre de l’information: images d’avion abattu ou de colonnes sulfatées issues de jeux ou films; non sens tactiques comme un char qui se rend au milieu d’un champ avec la chorégraphie nominale qui entoure; missile à détecteur EM qui accroche le métal d’un tracteur dans un champ polonais (photo cratère d’impact). Le doute est un atout pour focaliser le peu de données certaines et mitiger mon parti pris réfutable. L’absence de doute pourrait arriver après des retranchements vérifiés, pas par idéologie personnelle.

    Entre les verres d’eau pleins et les verres vides, la vérité se situe aussi parfois entre deux mensonges. Pas facile de revendiquer une solution perso sans prise d’infos de plusieurs bords. Peut-être faut-il aussi accepter d’enchaîner 90% de données sans valeur immense, pour tomber au milieu du lot sur 10% qui vont faciliter ma propre synthèse. Ça me rappelle un vieux blockbuster où un agent dit à son vieux binome:
     » Tu lis tous ces tabloïds tous les matins au bureau ?
    – oui. Tous les matins.
    – Qu’est-ce que tu peux trouver d’intéressant là dedans, en rapport avec notre activité ?
    – 99% de conneries.
    – Donc ?
    – donc les 1% qui restent sont nos missions. »
    (c’est une image, pas un argument)

    Il y a l’info en elle-même, la Donnée, le Fait. Il pourrait aussi y avoir la façon dont une même donnée est interprétée puis retranscrite, avec ses formes, par des bords différents. J’accorde une petite importance à l’observation du traitement des mêmes évènements, par des visions polarisées contraires, pour prendre une photo à instant T de tel ou tel camp. Néanmoins, mes biais cognitifs me dispensent souvent de Novosti après Maïdan, ou China Today pendant Covid. J’ai des carences…

    Avec plusieurs biais cognitifs qui s’ajoutent à un faible nombre d’abonnements pour approfondir – c’est clairement rédhibitoire -, je me soigne avec des analyses dont ici pour croiser, entrecroiser, des gens agréables à suivre dans leurs compétences dédiées, pédagogies et passions. Ces gens professionnels ou passionnés participent chaque semaine à la petite construction de mon lego des images, pour tenter un patchwork qui se rapproche un peu plus du mot vérité à instant T.

    La vérité à instant T est un amer au gisement mobile, quand les houles, vents contraires, déclinaisons et déviations sont fixés d’avance.

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  2. Merci une fois de plus pour le champ de réflexion que vous nous offrez. La diversité des sources où nous pouvons collecter des informations et nous confronter à des analyses et des interprétations différentes est en effet primordiale pour qui veut se faire une opinion et l’approfondir et devenir ainsi chaque jour davantage un citoyen in(formé) qui ne s’en laissera pas facilement conter.

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  3. En effet … les deux camps jouent de la désinformation …
    Et ne parlons pas de ces pseudos auto-proclamés experts …
    Dur dur de savoir ou est la vraie vérité …
    C’est vrai pour la guerre ne Ukraine … mais c’st aussi malheureusement vrai pour tous les autres sujets de l’actualité.
    Nous sommes constamment « sous influence » …
    Il fut une époque ou cela s’appelait « propagande » … mais les temps changent, cela s’appelle aujourd’hui « liberté d’expression ».
    Merci à Guillaume A. d’essayer de nous guider dans cet imbroglio…

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    1. Sans oublier les indispensables analystes militaires américains que je consulte tout particulièrement, ainsi que d’excellents journalistes ukrainiens. Pour se faire une idée du point de vue russe, nombre d’excellents journalistes d’opposition russes, et bien sûr les historiens d’Ukraine et de Russie, Nicolas Tenzer mention particulière géopolitologue.
      Analystes militaire de tous pays, Germany, Espagne, la liste est si longue….

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  4. Inventorier ces « sources » est très intéressant. Mais je dois dire que je suis très inquiet par l’optimisme forcené qui se matraque quotidiennement sur LCI ou sur BFMTV. Il va sans doute falloir garder cet optimisme longtemps ! J’apprécie plus FranceInfo et C’dans l’air, notamment l’émission d’hier soir 29/12/2022.

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    1. Le temps nous manque toujours même quand nous en disposons suffisamment…Je ne regarde que rarement LCI et BFM même si je suis convaincu qu’il faut toujours diversifier ses sources en recourant à des sites dont nous ne partageons pas les analyses ou la tonalité générale ne serait-ce que pour mieux appréhender les errements possibles et même les agissements
      de l’adversaire voir de l’ennemi.

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