14 juillet 2022, défilé de sujets à régler dans le génocide des Tutsi au Rwanda

Avec le rapport Duclert et le discours du président Macron (I) au Rwanda en mai 2021, j’ai cru – peut-être même espéré – ne plus rien avoir à écrire sur l’affaire du soutien apporté par l’Elysée au génocidaires des Tutsi. Et puis le procès intenté par Hubert Védrine devait me rappeler au printemps 2022 que des zones d’ombre restaient à éclairer, maintenant que le débat historique et politique était réglé par la « responsabilité accablante […] dans un désastre français […] qui a rendu possible un génocide prévisible ».

Procès Bucyibaruta, un Maurice Papon rwandais « réfugié » en France

Enfin ! Un procès d’ampleur sur le génocide des Tutsi s’est tenu en France, condamnant à 20 ans de réclusion criminelle un ancien préfet rwandais pour sa complicité. Jean-François Dupaquier en fait une brillante synthèse et rappelle une fois encore le travail de fond d’Alain et Dafroza Gauthier, que la Justice a fini par emprunter après quasiment deux décennies de somnambulisme.
Procès du préfet Bucyirbaruta

Notez que ce Maurice Papon du génocide contre les Tutsi avait été remarquablement accueilli en France et qu’il a fallu beaucoup d’énergie et de détermination pour que ce sinistre criminel soit enfin condamné, 28 ans après les faits, lui qui espérait sans doute finir ses jours sereinement dans une France amnésique.

La Justice, lente mais inexorable, a enfin fait son travail… Cependant il reste au moins une soixantaine de responsables de ce génocide à juger en France sur les plus de trois cents qui avaient été généreusement protégés sur le sol français.
Il ne reste sans doute qu’une dizaine d’années pour juger ceux qui devraient l’être, mais saluons cette condamnation exemplaire où le prévenu a tout essayé pour échapper à ses responsabilités, y compris en invoquant le « devoir d’obéissance », comme Papon.

Le retour de Bisesero

Alors même que le verdict était attendu dans le jugement du préfet Bucyibaruta, une autre affaire ressurgit des méandres de l’oubli : le drame des collines de Bisesero.
Article de Fabrice Arfi dans Mediapart

Comme signalé par Fabrice Arfi dans Mediapart, le juge en charge de cette affaire, que l’on croyait enterrée, a décidé de relancer les investigations, en particulier du fait des travaux effectués par la commission Duclert, ces historiens qui ont accédé à une partie des archives françaises et qui ont pu établir cette « responsabilité lourde et accablante » du pouvoir de l’époque. Le centre de gravité se trouvait à l’Elysée où finissait de régner un président Mitterrand agonisant et manifestement mal conseillé…

Bisesero est d’abord une affaire militaire, de chefs militaires aveuglés par la mission confiée et pilotée par l’Elysée : lutter à tout prix contre l’avancée des soldats de Paul Kagamé alors même que ces derniers s’attaquaient seuls aux génocidaires du Rwanda.
Tandis que les équipes des forces spéciales françaises remontaient sur le terrain l’horreur du génocide perpétré sous leurs yeux a Bisesero, le commandement refermait le sujet pour se conformer à la politique démentielle de l’Elysée, continuer à soutenir les alliés de la France quand bien même ils étaient des génocidaires…

Lire aussi : Bisesero est emblématique de l’intervention française au Rwanda

La justice avait pourtant renoncé, malgré l’énormité des faits, à enquêter sur ces centaines de survivants abandonnés à leurs bourreaux parce que l’opération Turquoise – soi-disant « humanitaire » – devait d’abord continuer à soutenir ces criminels que l’Elysée avait décidé être les alliés de la France. Il ne restera qu’environ 700 rescapés sur les 2,000 qui espéraient être sauvés par l’armée française dans les collines de Bisesero.

La justice avait renoncé sur Bisesero pour ne pas franchir le Rubicon d’investiguer sur la responsabilité militaire en opération : comment juger des décisions prises par des chefs militaires aux prises d’une situation de guerre ?
Mais le travail du rapport Duclert a établi – notamment – la responsabilité de l’Elysée dans le pilotage de cette politique au Rwanda et la poursuite des investigations permettra peut-être d’établir enfin la chaîne de commandement qui conduisit à ce désastre politique : laisser liquider les rescapés que nous étions pourtant sensés venir secourir.

Un désastre politique et militaire

Le drame de Bisesero fut militaire aussi, car ce sont les équipes sur le terrain qui ont désobéi pour obliger le commandement à intervenir enfin au profit des rescapés. Sans (presque) jamais le reconnaître, mes compagnons d’armes, excédés par cette catastrophe qui se déroulait sous leurs yeux, ont emmené des journalistes la voir de leurs propres yeux, en prétextant se perdre dans la zone où il leur avait été interdit de revenir.

Pire encore, la compagnie de Légion étrangère dans laquelle j’étais détaché au Rwanda et qui se trouvait à proximité de Bisesero, une unité d’élite parfaitement dimensionnée et entraînée pour sécuriser une zone permettant aux rescapés de se réfugier, a été mobilisée pendant cette affaire : la compagnie a alors été missionnée pour faire la guerre aux soldats de Kagamé, nous avons été envoyés nous battre contre les ennemis de l’Elysée plutôt que de sauver ces rescapés.

Qui a la responsabilité de cette erreur dramatique, le colonel qui commandait les opérations spéciales au Rwanda et qui recevait ses ordres de l’Elysée ? Le général qui « dirigeait » l’opération Turquoise et qui devait fermer les yeux sur la réalité de cette « mission humanitaire » ? Les conseillers du président Mitterrand qui pilotaient depuis Paris cette opération sans en assumer la responsabilité ?

Bisesero est la représentation même de la duplicité de la politique française au Rwanda qui a conduit à un désastre et qui a obligé des soldats français à désobéir pour sauver leur honneur.
Je ne sais pas si la Justice pourra déterminer et juger ceux qui ont mené à ce désastre de Bisesero, un désastre emblématique de cette politique de l’Elysee au Rwanda.


Un an plus tard, sans doute dans cette logique de soutien aveugle à des alliés « historiques », des soldats français assistaient impuissants aux massacres de Srebrenica pendant la guerre des Balkans : nous avions de fait l’interdiction d’intervenir contre les Serbes de Bosnie qui commettaient le dernier génocide du vingtième siècle. L’impunité d’un crime ne peut que susciter d’autres crimes. Le taire est aussi un crime.


[PS : je n’ai pas cité le secrétaire général de l’Elysée de cette époque, Hubert Védrine, dont on ignore toujours le rôle => Rwanda : Védrine contre Védrine]


5 commentaires sur “14 juillet 2022, défilé de sujets à régler dans le génocide des Tutsi au Rwanda

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