Rwanda, Rapport Duclert, et ensuite ?

Je suis stupéfait parce que nous avons enfin de la lumière après un tunnel de 27 années de déni et de mensonges.

Je suis ému parce que le titre de mon livre, « Rwanda, la fin du silence » est devenu une réalité.

Une réalité grâce à la détermination de journalistes, de chercheurs, d’historiens, de juristes et de simples citoyens qui se sont pas laissés imposer une raison d’Etat quand l’Etat a failli.

Je salue aussi la détermination du président Emmanuel Macron qui a eu le courage de faire révéler la vérité.

La vérité, c’est que le génocide contre les Tutsi en 1994 a fait un million de morts au Rwanda, qu’il a été commis par nos alliés et avec le soutien de l’Etat français.

La vérité, c’est qu’il s’agit sans doute du seul génocide que nous aurions pu empêcher et ce n’est pas ce que nous avons fait.

La vérité, c’est que toute cette affaire du soutien aux génocidaires a été décidée et pilotée par François Mitterrand et son cercle élyséen, dont Hubert Védrine était le secrétaire général et le responsable de son fonctionnement.

Une étape décisive

Le travail de la commission Duclert marque une étape décisive dans la connaissance publique de ce désastre français, qu’aucun de mes concitoyens n’a souhaité, mais qu’il n’était pas possible d’enterrer.

Ce rapport Duclert établit principalement la responsabilité accablante du pouvoir élyséen de François Mitterrand.

Ils ont soutenu les génocidaires du Rwanda avant et pendant les massacres (et sans doute après), ils leurs ont livré des armes, ils les ont protégés et ils les ont laissés fuir pour qu’ils puissent continuer à nuire.

Ce cercle élyséen n’a jamais reconnu qu’il s’était trompé et, pire encore, il a inventé des « faits alternatifs » – en français des mensonges –, comme l’invention du deuxième génocide dans le seul but d’atténuer leur responsabilité sur le premier.

Depuis 27 ans, Hubert Védrine ose ainsi nous raconter avec sa morgue sans limite que, de l’Elysée, ils ont parfaitement agi et que ce fut une bonne politique. Et, face au rapport Duclert, l’ancien secrétaire général de l’Elysée ne voit toujours pas quelle est sa responsabilité…

J’ai honte de cette indécence, qu’il n’ait même pas le courage de reconnaître qu’ils se sont trompés, et qu’ils aient préféré nous tromper.

Alors, je me réjouis de cette démarche du chef de l’Etat, je me réjouis de ce rapport Duclert qui est une étape décisive dans ce processus indispensable de reconnaissance de la réalité.

Des questions qui doivent nous interroger pour l’avenir

Nous avons passé un cap, il faut maintenant continuer sur cette volonté politique de recherche de la vérité, c’est un chemin sans fin, c’est celui de la démocratie.

Les étapes suivantes semblent évidentes, faut-il encore les suivre et les respecter pour rétablir l’honneur de notre société devant ce désastre commis en notre nom par une poignée de décideurs français.

Rétablir la dignité de la France dans cette affaire désastreuse

Nous nous devons d’abord d’un geste politique, reconnaître officiellement que nous nous sommes trompés sur le Rwanda et que nous le regrettons.

Ceci pour honorer la mémoire du million de victimes, la souffrance des rescapés et aussi pour retrouver notre dignité face à des nations africaines qui nous regardent avec dégoût depuis ce désastre, et des partenaires européens qui nous considèrent avec dépit.

Ce serait l’équivalent du discours de Jacques Chirac au Vel d’Hiv en 1995 sur la responsabilité de la France dans la déportation vers l’Allemagne des Juifs de France au cours de l’occupation du pays par les nazis : en finir avec les mensonges et les dénis, construire l’avenir en étant soulagés de ne plus avoir à mentir et honorer la mémoire du million de victimes que nous n’avons pas su empêcher.

Rendre justice

En premier lieu, nous avons des comptes à demander à ceux dont la responsabilité est engagée, qu’ils ne s’avisent pas de tenter le « responsable mais pas coupable » car nous avons changé d’ère, et notre société ne peut plus accepter les faux fuyants judiciaires… A l’instar d’Olivier Duhamel, même si la Justice n’était pas capable de les poursuivre, rien ne nous empêche de les condamner moralement et de les bannir de la vie publique. Je pense en premier lieu au secrétaire général de cette époque, Hubert Védrine, car il incarne, pire que quiconque, cette arrogance proportionnelle au manque de courage et à la déloyauté vis à vis de la société qu’il prétendait servir. Ces personnages méritent notre mépris, à la hauteur des pressions qu’ils ont exercées pour étouffer ce désastre français et des mensonges qu’ils ont inventés.

Pour rendre justice, il serait temps aussi de poursuivre « avec célérité » les responsables du génocide, à qui nous avons laissé penser que la France serait leur refuge et qui ont été plutôt bien accueillis jusqu’ici. Certains d’entre eux ont même obtenu le statut de « réfugié politique ». Ils sont probablement plus de 300 à s’être cachés sur le territoire français et pendant cette trentaine d’années, seuls 30 dossiers ont été instruits… essentiellement par un collectif de bénévoles, le CPCR, plus que par des enquêteurs et des juges débordés par d’autres affaires.

Le résultat est accablant, en trois décennies seuls trois d’entre eux ont été condamnés et Agathe Habyarimana n’a jamais été importunée, symbolisant l’impunité sur notre sol des extrémistes qui ont conduit au dernier génocide du XX° siècle.

Alors gageons que le ministère de la Justice et le ministre de l’Intérieur vont désormais mobiliser les équipes nécessaires pour rendre justice, en consacrant un pôle dédié à ce sujet, et empêcher que notre pays ne serve plus longtemps de refuges aux nazis de l’Afrique des Grands Lacs, comme l’Argentine le fut à une époque pour une autre génération de nazis.

Écrire l’histoire après 30 ans de mensonges

C’est un travail considérable qu’il est nécessaire de mener, sans attendre que tous les protagonistes soient décédés, comme nous ne l’avons pas fait pour la guerre d’Algérie. La commission Duclert, avec un an de travail effectif sur des archives incomplètes et sans auditionner aucun témoin, n’a pu qu’ouvrir la porte aux travaux qui restent à mener.

Cela nécessite des moyens humains et financiers de recherche, des équipes de jeunes chercheurs à qui nous pourrons confier de comprendre et écrire la réalité de ce désastre que nous avions enterré.

Cela pose évidemment la question de l’accès aux archives, qui ne peut plus être réservé à un petit groupe piloté par l’Elysée et seulement pour un temps donné. Il est temps d’arrêter de « jouer » avec la classification de cette opération « humanitaire » et de déboucler définitivement les archives de cette affaire du soutien aux génocidaires du Rwanda. Une coopération internationale s’impose, mais nos jeunes chercheurs sauront trouver la méthode pour mener ces travaux sans frontières, nationales ou politiques.

Le travail est considérable, une partie des archives a d’ores et déjà été « nettoyée » lors de ces 30 années d’errance, et cela pose un problème qui dépasse l’affaire du Rwanda.


Contrôle démocratique des interventions extérieures de la France et exercice de l’autorité

Les opérations militaires n’ont pas été analysées par la commission Duclert, dans un accord tacite pour ne pas impliquer l’armée dans cette lamentable affaire.

Pourtant les opérations militaires menées au Rwanda, avant, pendant et après le génocide, posent de très nombreuses questions dont les officiers ne peuvent se défaire par un simple argument d’obéissance. Ils sont en effet juridiquement responsables de ce qu’ils font. La reconnaissance de la co-responsabilité dans les cas avérés de cette affaire deviendrait une référence concrète de la limite de l’obéissance lors d’une opération militaire et une forte incitation pour les décideurs politiques de ne pas outrepasser ces limites.

L’opération Turquoise a d’abord sauvé les génocidaires

D’un point de vue militaro-politique, l’opération Turquoise pose un problème de fond : elle a été lancée juste au moment où les génocidaires perdaient pied face aux soldats du FPR, elle a concrètement apporté un « soutien substantiel et en conscience » à ces nazis. Le faux débat sur l’absence d’intention génocidaire de l’Elysée, – et qui plus est de l’armée française –, ne répond nullement à la question du « soutien de fait » apporté aux génocidaires, un soutien militaire qui relève de la complicité et évidemment pas de la participation au crime des crimes, ce qui n’a jamais été le sujet. L’opération Turquoise en elle-même a sauvé les génocidaires et leur a permis de continuer leurs massacres, en particulier dans l’Est du Zaïre devenu Congo.

Ce désastre du Rwanda met aussi en lumière une pratique du pouvoir inacceptable pour une grande démocratie comme la nôtre. Comment notre pays a-t-il pu lancer des interventions militaires en l’absence de tout contrôle démocratique ? La France a en effet été « en guerre contre les Tutsi » de 1990 à 1994 sans que les Français ne le sachent.

Cela a-t-il réellement changé aujourd’hui ? Une opération tourne mal au Mali et nous devons nous contenter des seules explications des militaires qui sont contraints par leur obéissance à l’Elysée.

Pouvons-nous laisser plus longtemps les militaires « juge et partie » de ces opérations ?
A ce titre, la ministre des Armées, Florence Parly, a montré dans cette affaire du Rwanda sa totale implication à l’étouffer. De la même manière, cette ministre, qui a une curieuse notion de la République, refuse toujours d’expliquer le financement des attaques en justice contre ceux qui, comme Patrick de Saint-Exupéry, ont osé questionner la société sur cette affaire du Rwanda, 32 procès à ce jour pour la même question…

Peut-on encore lui confier ce rôle politique d’exercer une direction sur les affaires militaires, alors qu’elle refuse jusqu’à l’évidence les conséquences du rapport Duclert et de ce désastre français ? Et qu’elle s’est battue pour empêcher l’accès aux archives militaires ?

En finir avec la culture du silence

De nombreuses mesures sont nécessaires pour rétablir un contrôle démocratique sur les interventions militaires : l’ouverture automatique des archives une fois les opérations terminées après un temps limité (5 ans ?), une capacité de contrôler aussi les opérations spéciales et les directives données en réalité aux forces armées durant ces opérations…

En finir aussi avec cette culture de la Grande Muette, soigneusement entretenue dans les armées françaises, et qui font que le silence devient amnésie, comme cela a été tenté pour cette affaire du Rwanda… Un officier britannique me faisait remarquer que plus de 300 témoignages de militaires ont été publiés après la guerre des Falklands. Pour le Rwanda, dix livres seulement de militaires français en 27 ans, dont trois que même le SIRPA n’aurait pas osé écrire.

Le général François Lecointre en est le parfait exemple, invitant les officiers à s’exprimer publiquement à condition qu’ils ne répètent que la doxa officielle.

Mes anciens compagnons d’armes sont aujourd’hui éberlués que d’autres officiers commencent enfin à témoigner de la réalité de ce désastre français, du général Patrice Sartre au colonel René Galinié, en passant par le général Jean Varret. Ceux-ci nous rappellent d’abord que, sans réflexion ni réelle expression, les militaires sont condamnés à répéter les mêmes erreurs dramatiques, au nom de dirigeants qu’ils dispensent, par leur silence, d’assumer leurs propres responsabilités.

Comment s’assurer que la discipline militaire ne serve pas à faire taire tout esprit critique et que le conformisme ne prime pas sur l’intelligence de ces soldats de la France ?

Comment sortir enfin de ce syndrome de la concentration du pouvoir et de l’exercice autoritaire du gouvernement de notre nation ?

Désormais l’affaire du Rwanda nous emmène au-delà du drame humain et historique, il nous interroge sur l’essence même de notre démocratie.

3 commentaires sur “Rwanda, Rapport Duclert, et ensuite ?

  1. Bravo, Guillaume, pour ce travail remarquable que tu accomplis afin d’éviter que le déni, le mensonge crasse ne s’installent. Bravo pour ton intégrité morale, ta dignité, ton humanité. Je ne le dirai jamais assez ! Bonnes fêtes de Pâques (si l’on peut encore dire cela par les temps qui courent !) Je t’embrasse.

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