Rwanda : Védrine contre Védrine

Le tribunal de Paris m’a condamné pour diffamation à la demande d’Hubert Védrine sur l’affaire du Rwanda en mai 2022. J’ai décidé de ne pas faire appel de cette décision. Il m’est en effet reproché d’avoir fait porter des responsabilités pénalement répréhensibles, comme celles de complicité de crime de génocide, à l’ancien secrétaire général de l’Elysée alors qu’il n’a jamais été condamné pour de tels faits. Je me conformerai donc à cette décision de droit.

Décision du tribunal de Paris


Le tribunal a aussi jugé que j’étais « légitime de prendre part au débat portant sur le rôle de la France dans les tragiques événements survenus au Rwanda » (i.e. le génocide contre les Tutsi) et « d’évoquer la personne d’Hubert VÉDRINE au regard du rôle de secrétaire général occupé par celui-ci à l’époque ».

[extrait de la décision du Tribunal judiciaire de Paris, page 28/37]
« La parole de Guillaume Ancel est, en particulier, précieuse dans ce débat dès lors qu’il est au nombre des officiers qui ont été déployés au Rwanda, dans le cadre de l’opération Turquoise et a ainsi directement vécu les événements en cause à un poste de commandement.
Témoignant de son expérience personnelle et professionnelle, il est donc tout à fait légitime de prendre part au débat portant sur le rôle de la France dans les tragiques événements survenus au Rwanda à cette période.
Il est tout aussi légitime, dans ce débat, d’évoquer la personne d’Hubert VÉDRINE au regard du rôle de secrétaire général occupé par celui-ci à l’époque, rôle lui conférant une proximité avec le Président de la République et les membres du gouvernement dont les décisions sont questionnées à travers les recherches effectuées sur la base des archives nationales et auxquelles il est, peu à peu, permis d’accéder au gré des autorisations désormais délivrées. »

Hubert Védrine défendant la politique de l’Elysée au Rwanda, alors qu’il en était le secrétaire général

Questionner le rôle d’Hubert Védrine dans la politique désastreuse de l’Elysée au Rwanda

Alors donc, en évitant de diffamer ce cher monsieur Védrine qui a toujours montré son attachement au débat démocratique, je vais questionner cet ex-secrétaire général de l’Elysée.
En effet, le rapport Duclert sur le rôle de la France dans le génocide contre les Tutsi au Rwanda, tout comme le président Emmanuel Macron, concluaient en mai 2021 à une « responsabilité lourde et accablante » de la politique menée par l’Elysée, qui mena tout droit à un « désastre français » en rendant « possible un génocide prévisible ».

Cette dernière citation est tirée du rapport Muse demandé par le gouvernement rwandais et me semble bien résumer ce qui peut être reproché à l’Elysée. Il n’y a jamais eu d’accusation de complicité au sens d’avoir participé au génocide, mais des faits particulièrement graves de soutien à ceux qui le commettaient.

A ce jour de 2022, personne en France n’a pourtant été jugé responsable de cette « politique désastreuse » qui rendit possible ce million de morts : en 1994, eut lieu l’avant-dernier génocide du vingtième siècle (avant Srebrenica en Bosnie), sans doute le seul que la France aurait pu empêcher et ce n’est pas ce que nous avons fait parce que l’Elysée en avait décidé autrement.

Cette absence de toute responsabilité individuelle constitue désormais une nouvelle controverse sur cette affaire du Rwanda, tandis que le président Macron a lui-même reconnu dans un discours à Kigali la responsabilité politique et donc collective de la France dans cette désastreuse affaire, dont les Français n’avaient pas vraiment été informés jusqu’ici.

Maria Malagardis, une des grandes connaisseuses du sujet, résume en quelques paragraphes les principales questions qui continuent d’interroger la société française sur le soutien apporté à ceux qui commettaient le génocide.

«#Védrine», «#Rwanda» : que peut-on dire sur les réseaux sociaux du rôle de la France pendant le génocide des Tutsis ?

Maria Malagardis dans Libération

Une politique qui a rendu possible un génocide prévisible

Lors de ce procès, que M. Védrine a gagné sur le seul point de la diffamation et non sur son rôle dans cette affaire qui n’a effectivement encore jamais été jugé, l’ancien secrétaire général de la présidence de la République a refusé une fois de plus les conclusions du rapport Duclert. Cette commission d’historiens a pourtant étudié pendant deux ans une partie des archives et son travail a été salué par l’ensemble de la société française en dehors des habituels forcenés du Rassemblement national. M. Védrine rejette ainsi ces conclusions, qui sont accablantes pour l’Elysée, parce qu’elles sont à ses yeux « sans lien avec les analyses du rapport lui-même ».

Pour ma part, puisque la Justice juge « légitime » que je prenne part à ce débat, je voudrais mettre en lumière quelques éléments qui interrogent plus que jamais sur le rôle d’Hubert Védrine.
Malgré son air impassible, voire détaché, dans cette affaire du Rwanda, Hubert Védrine se bat d’abord contre… Hubert Védrine.

Védrine contre Védrine

En effet, d’un côté il y a le proche conseiller et l’admirateur du président François Mitterrand qui ne peut pas admettre la moindre faille, la moindre erreur de son maître à penser, devenu au fil des années l’icône d’un Parti socialiste qui sombre avec lui.

François Mitterrand, sans doute une des figures politiques françaises les plus importantes de la deuxième moitié du vingtième siècle, est devenu « infaillible » dans son esprit, une sorte de divinité que François Mitterrand lui-même n’aurait pas forcément appréciée.

Pourtant remarquablement conseillé par Hubert Védrine, le président Mitterrand s’était d’abord opposé à la réunification allemande, avant de protéger « l’allié serbe » dans une guerre des Balkans que ce dernier avait déclenchée et qui massacrait allègrement les autres populations avec une brutalité qui n’est pas sans rappeler celle de l’armée russe de Poutine en Ukraine.

Le président François Mitterrand, Alain Juppé ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine secrétaire général de l’Elysée

Dans cette même période, François Mitterrand s’était attaché sans mesure – entiché diront certains – à un régime rwandais que l’extrémisme minait, sans pour autant que cela ne remette en cause le soutien de la France, tout du moins celui de son président.

Pendant toute la préparation du génocide des Tutsi – plusieurs années –, l’Elysée n’a rien vu des informations inquiétantes que lui remontaient des militaires, comme le général Jean Varret horrifié par les intentions destructrices de ses homologues rwandais, ou de la DGSE qui informait méthodiquement des dérives extrémistes du Hutu Power, ceux qui programmaient l’élimination des Tutsi.

La politique de paix, proclamée par Hubert Védrine, correspond mal à la réalité, en particulier lorsque les extrémistes s’emparèrent du pouvoir en avril 1994, après avoir fait assassiner leur propre président, en bafouant les « accords d’Arusha » sous les auspices de l’ambassadeur de France lui-même.

Le fil des contradictions s’accélère alors que le génocide est désormais enclenché

Recevoir les émissaires des génocidaires à Paris suscite des versions alternatives de M. Védrine qui en vient parfois même à nier ce qui est pourtant parfaitement documenté.

27 avril 1994 : Paris reçoit les organisateurs du génocide (Rwanda)

L’opération Turquoise, l’intervention militaire pilotée par l’Elysée, a commencé par une tentative de remise au pouvoir des génocidaires bousculés par les soldats de Kagame – ces derniers étant malheureusement les seuls à avoir pourchassé ces génocidaires –, mais dans la légende défendue par l’Elysée, cette opération n’était que purement humanitaire.

Lorsque les soldats français, mes compagnons d’arme, reçurent l’ordre d’escorter les organisateurs du génocide au lieu de les arrêter, c’était – à n’en pas douter – une « initiative » de leur part…
Et quand nous avons dû livrer des armes à ces génocidaires en déroute, c’était là aussi dans une optique de paix, des armes purement défensives qui « n’avaient rien à voir avec le génocide », selon les mots mêmes de l’ancien secrétaire général.

Dans mon expérience militaire, qui est limitée mais bien supérieure à celle de M. Védrine, il était impossible de livrer ces armes sans un ordre express de l’Elysée, car JAMAIS mes compagnons d’arme n’auraient pu prendre de telles décisions. L’Elysée en a donc vraisemblablement décidé, mais sans aucun rôle particulier de son secrétaire général, qui d’ailleurs m’a expliqué avec une forme étonnante de désinvolture « qu’il n’était pas au courant des détails ».

Soutien de l’Elysée aux génocidaires du Rwanda, Hubert Védrine n’est pas au courant « des détails »

Apparaît alors le deuxième Hubert Védrine, celui qui ne souhaite pas répondre à ces questions et qui voudrait tellement que nous n’en parlions plus.

Pourtant, il alimente lui-même cette polémique en poursuivant tour à tour un vétéran de l’opération Turquoise (moi-même), une médecin remarquable qui s’est consacrée à la défense des victimes de viol pendant ce génocide atroce – Annie Faure –, et ensuite le grand reporter Patrick de Saint-Exupéry qui fut l’un des premiers à poser publiquement la question du rôle du pouvoir français de l’époque dans ce drame du Rwanda.


Mais est-ce bien nous qu’Hubert Védrine poursuit en justice ou l’ombre des questions auxquelles il ne peut pas répondre sans se mettre en cause ?

J’invite donc tous ceux que le sujet intéresse à poser cette question : quel rôle a joué Hubert Védrine dans cette politique au Rwanda qui a mené à un « désastre français » et au génocide des Tutsi ?

En effet, Hubert Védrine aura un jour rendez-vous avec l’Histoire, il serait dommage qu’il n’ait pas eu le temps de s’interroger. Alors un grand merci si vous voulez bien à votre tour le questionner et relayer ce questionnement.

13 commentaires sur “Rwanda : Védrine contre Védrine

  1. Bjr,
    Je viens de vous écouter à la radio et je découvre votre site. Veuillez donc excuser ma méconnaissance. Je suis une simple citoyenne en quête de compréhension du monde et d’éclairage sur « le dessous des cartes ». Naïvement, j’ai une question toute simple: quels étaient les intérêts précis de la France à soutenir le régime Hutu au point de « laisser faire » ce génocide ?

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    1. Malheureusement nous avons fait plus que laisser faire, sur ordre de l’Elysee nous avons continué à soutenir le gouvernement qui organisait et menait le génocide.
      Pourquoi ? Probablement par aveuglement, par cupidité (le fils du président Mitterrand y faisait des affaires), par anti américanisme primaire (Kagame représentant « l’influence anglo-saxonne »), mais aussi par bêtise en particulier de l’entourage d’un Mitterrand agonisant qui gouvernait sans en assumer la responsabilité (Védrine).

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  2. Bonjour Monsieur Ancel,
    J’ai lu avec intérêt les trois livres que vous avez écrits et dans lesquels vous relatez vos trois missions militaires comme officier français en mission pour la France ou pour le compte de l’ONU. Ces livres écrits à partir de votre journal de campagne et de vos souvenirs offrent chacun un éclairage sur les engagements de notre armée donc de notre pays sur différents théâtre d’opérations donc en tant que citoyens d’une grande démocratie et d’un Etat d e droit nous avons à connaître.
    Vous apportez donc une contribution utile à ce que nous sommes.

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  3. Bonjour Guillaume
    Tu as raison. « Ne pas subir » ! Mais que le chemin est long et sinueux pour arriver à la dire cette…. Vérité là !
    Voici donc le seul argument que nous oppose l’ex secrétaire général. Une…diffamation ? Et les génocidaires alors ?
    L’ex dilue sa responsabilité au travers des mots (des maux aussi). Il n’assume pas, comme tous les autres politiques d’ailleurs. Ils administrent mais ne gèrent pas. Facile ensuite de réfuter ses responsabilités. Quoi qu’il puisse dire c’est d’avoir raison; tort jamais. Je comprends ton amertume Guillaume. Difficile de lutter contre lui. Il niera sa responsabilité jusqu’au bout en mettant en avant la Nation seule; c’est à dire….Personne !
    En fin j’ai envie d’écrire « Force et honneur » et hop c’est fait. (mais ça C’est juste pour toi )
    Bien à toi Guillaume
    RG

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  4. Bonjour guillaume,
    il est très difficile de s’attaquer à un personnage comme Védrine‌ considéré par « certains » comme un super expert en géopolitique.
    Tu as eu le tort de faire des comparaisons -papon par ex- qui effectivement d’un point de vue juridique pouvaient ouvrir à la condamnation pour diffamation
    au delà du juridique il y a la responsabilité et l’irresponsabilité de Védrine
    je crois que c’est son texte de septembre 2021 sur le site Télos qui est le plus clair : refus de reconnaitre le rapport Duclerc et donc la responsabilité lourde et accablante de la France ; référence a des travaux (onana ,rever ,etc …) qui sont dans la grande majorité révisionnistes (il y manque mème la référence à Péan qu’il a pourtant souvent utilisé) ;aucune référence à des travaux d’historiens(chrétien ,piton,dumas ,etc…)
    Pour moi qui travaillait en psychiatrie,Védrine est l’exemple parfait du déni absolu.Il ne peut pas reconnaitre une quelconque responsabilité car c’est tout son égo démesuré qui pourrait s’effondrer « comment moi le super expert des relations internationales ai-je pu me tromper aussi lourdement ? »
    un individu lambda , au regard de tout ce qui a été publié depuis 25 ans, et vu la place qui a été la sienne, pourrait reconnaitre avoir commis des erreurs d’analyse,au moins a minima, comme par exemple un alain juppé pourtant moins impliqué .Pas Védrine.Il restera dans le déni jusque dans sa tombe
    Et en plus il va continuer à diffuser sa vérité (voir le communique publié sur le site de l’IFM(institut francois mitterrand)
    Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas continuer le combat de la recherche de la vérité sur la responsabilité de la France dans le génocide des tutsi.Des recherches sont en cours qui approfondiront le rapport Duclerc dans ses manques.Des livres paraitront et védrine apparaitra alors pour ce qu’il est :un médiocre personnage,imbu de lui même et piètre expert en géopolitique
    Ton combat est juste et je comprends et partage ton énervement par rapport à un tel personnage !
    amicalement
    yves

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  5. bonjour Guillaume ANCEL,
    La justice est bien souvent une parodie de justice, surtout à ce niveau, et vous en êtes la victime. Ce monsieur ne rendra des comptes qu’à titre posthume, car le temps passe, des témoins disparaissent et manifestement le peu d’intérêt porté par les médias « main stream » étouffe cette affaire d’état. Pourtant votre passage sur Thinkerview était un tremplin idéal pour décoincer ce dossier explosif (!) .Il faut absolument que le public vous voit et comprenne les agissements de nos gouvernants, qui mis à part le Général de Gaulle, sont dans l’intrigue. Dire qu’on en est à suivre les conseils de mac-kinsey pour gérer la boutique. ( c’est mon côté petit commerçant..).
    Des supports comme youtub ou Odyssee aideraient à la diffusion, des livres déjà, et des informations que vous détenez.
    Cher Guillaume j’espère sincèrement que votre démarche aboutisse, pour vous et pour le pays.
    bien cordialement
    Ph MONTAGNE

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