Mais que se passe-t-il dans cette guerre en Ukraine qui a phagocyté notre actualité pendant des semaines et qui s’est installée dans nos vies quotidiennes ?
Elle devait durer trois jours, puis trois semaines mais la voilà dans son troisième mois.

Le non-évènement de la fête patriotique du 9 mai en Russie
Nous pensions que la fête patriotique du 9 mai en Russie serait l’occasion pour Vladimir Poutine d’annoncer au mieux l’arrêt des combats sur ses conquêtes en l’état, au pire la mobilisation générale de tous les moyens de la Russie pour une nouvelle « grande guerre patriotique ».
Rien de tout cela : le maître du Kremlin n’a rien annoncé et la grande fête patriotique n’a pas brillé. Avec un tiers de matériels militaires en moins que l’année dernière – à la hauteur des pertes russes en Ukraine ? –, ce défilé a été marqué par cette étonnante décision d’annuler au dernier moment la démonstration aérienne « pour raisons météorologiques », ce qui est assez peu crédible quand il s’agit d’avions de combat.
Il est possible que Poutine ait craint un tir de missiles portables par des commandos ukrainiens pendant le défilé, qui aurait été du plus mauvais effet devant les caméras du monde entier, tandis qu’un avion gros porteur ou un chasseur russe se serait abattu sur la ville.
En effet, un défilé aérien rend les avions particulièrement vulnérables à ce type d’attaque : ils sont obligés de voler bas, lentement, en formation et au-dessus d’un itinéraire obligé qui survole un milieu urbain permettant des centaines de possibilités de tir pour des équipes audacieuses (et un peu kamikazes), dont les Ukrainiens ont démontré leur capacité.

L’énorme Ilyouchine 80 qui devait montrer que le président russe pouvait diriger la guerre même dans un affrontement nucléaire est donc resté prudemment au sol, donnant l’image d’une armée russe réduite et inquiète. Tout comme le président Poutine durant ce défilé militaire qui n’avait pas de quoi pavoiser devant des généraux à sa botte certes, mais n’exprimant aucune sorte d’admiration ou de respect pour cet homme qui les mène à leur perte.
Le défilé du 9 mai 2022 a donc été un non-évènement dans une guerre dont le nom n’a même pas été prononcé, pas plus que celui du pays agressé…
Un engagement américain pour mettre en échec le régime de Poutine
Depuis fin avril, les Américains sont passés à un autre type de soutien de la résistance ukrainienne. Ce ne sont plus seulement des armes défensives qui sont livrées par les Etats-Unis, mais désormais des canons et des blindés qui, pour la première fois, donnent la capacité aux Ukrainiens de contre-attaquer.
Lire aussi : Ukraine, le temps joue désormais contre Poutine et son armée
L’engagement américain avait été mesuré et limité jusqu’ici, beaucoup de renseignements, la protection du gouvernement Zelensky qui sinon aurait été décimé dès les premiers jours par des commandos russes, de la guerre « cyber » pour contrer les tentatives de piratage russes et de nombreuses munitions « anti », comme les missiles portables anti-aériens et anti-chars qui permettaient de freiner l’avancée ennemie, mais pas de mener une offensive.
Aujourd’hui, le soutien apporté est multiplié par dix et le débat aux Etats-Unis porte sur les buts de guerre à poursuivre, car les Américains se sentent pleinement engagés dans ce conflit où les Ukrainiens leurs offrent sur un plateau la possibilité de renverser Poutine.
Un soutien mesuré et inquiet des nations européennes
Les Ukrainiens l’ont bien compris et ont intérêt à agir vite pour reconquérir un maximum de leur territoire perdu avant que la Realpolitik d’une Europe beaucoup plus mesurée ne leur impose des concessions. Celles-ci seraient difficilement acceptables de leur point de vue, mais suffisantes pour espérer stopper en l’état (et pour l’instant) la guerre de Poutine dont les conséquences touchent la terre entière.
La pression des nations européennes sera forte pour que cesse cette guerre, d’autant qu’elles sont aux premières loges d’une escalade éventuelle du conflit, contrairement aux Etats-Unis qui se battent via les Ukrainiens sur un continent qui leur est lointain.
La fourniture « d’armes lourdes » est aussi l’occasion pour les Européens de constater physiquement leur dénuement en la matière.
La France, qui dispose désormais en Europe de l’armée la plus puissante, peut difficilement offrir plus de 12 canons d’artillerie de 155 mm à l’Ukraine pour la raison qu’elle en possède moins de 100…
L’Allemagne, qui a littéralement mis en sommeil son armée cette dernière décennie, découvre qu’elle n’a même plus les munitions de 35 mm nécessaires pour les blindés Gepard qu’elle voulait généreusement déstocker pour les offrir aux Ukrainiens.
La Grande-Bretagne, qui aime faire des déclarations fracassantes, n’a en réalité quasiment plus d’armée de terre et ne peut guère offrir mieux aux Ukrainiens que les tournées bruyantes de leur premier ministre, Boris Johnson, qui ne sont pas forcément de nature à dissuader les attaques russes….
En réalité, il faudrait rassembler toutes les capacités militaires de l’Union européenne pour constituer une force armée suffisamment puissante pour dissuader un agresseur comme Poutine.
Cela explique aussi le soutien « mesuré » des nations européennes dans une guerre qu’elles n’ont aujourd’hui tout simplement pas les moyens de soutenir.
Une absence de déclarations parce que le front est désormais incertain ?
Depuis le 7 mai, les informations concernant l’évolution militaire de cette guerre russe contre l’Ukraine sont particulièrement réduites. Parce qu’il ne se passe rien ?
Non, l’absence d’informations et de déclarations de l’envahisseur russe comme de la résistance ukrainienne viennent plutôt de l’incertitude concernant le front.
Non pas que la guerre s’installe « pour des années » comme l’a déclaré le ministre français des affaires étrangères, mais parce que le « front » n’a jamais été aussi incertain que dans ce contexte où les Russes ont compris que le temps jouait désormais contre eux et que les Ukrainiens verront leur soutien fondre s’ils n’arrivent pas à repousser assez rapidement leurs agresseurs.
La réalité est d’une immense brutalité
En écrivant ces lignes, j’ai parfois le sentiment de décrire une situation géopolitique froide et distante. Mon passé est là pour me rappeler qu’en réalité la guerre n’est que brutalité, « une succession de saloperies » pour reprendre le mot d’un ami.
Les Ukrainiens souffrent au quotidien de l’agression des armées de Poutine, et lorsque celles-ci se retirent, ils découvrent l’étendue des dévastations commises par ces soldats qui jouissent d’une totale impunité dans leur sauvagerie.
Lire aussi : Dans un village ukrainien occupé par les Russes, la brûlure indicible du viol (Le Monde)

Chaque jour qui passe entraîne le régime de Vladimir Poutine plus loin dans l’impasse de ses échecs. Chaque jour qui passe ajoute aux blessures des Ukrainiens qui resteront marqués à vie par cette guerre à nos portes, tandis que nous mesurons notre impuissance à intervenir dans un tel conflit.
Excellente analyse. MERCI.
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