L’Ukraine est prête à lancer son offensive majeure

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Comme nous l’avions écrit la semaine dernière, les événements s’accélèrent tandis que l’offensive majeure des Ukrainiens n’est pas encore engagée. 

Mais s’il ne faut pas confondre les préliminaires avec l’action principale, la phase de préparation connaît désormais une nette accélération.

Lire aussi : accélération des préparatifs et fébrilité des ripostes 


Des attaques russes dispersées et peu efficaces

Les armées russes de Poutine intensifient leurs vagues de frappes contre l’Ukraine, en particulier contre Kiev, avec désormais un rythme quotidien voire deux fois par jour. Cette stratégie de frappes russes contre l’Ukraine est peu probante, la défense anti-aérienne ukrainienne se révélant très efficace avec des taux d’interception supérieurs à 90%. 

Les Russes visent aussi des installations qu’ils pensent importantes pour la contre-offensive ukrainienne, comme la base de Khmelnitsky dans le centre du pays où ils ont dû faire suffisamment de dégâts pour que les forces ukrainiennes s’abstiennent de tout commentaire. 

Il est probable qu’ils visaient les avions chargés de tirer les missiles Storm Shadow livrés par les Britanniques et bien sûr les stocks de ces missiles qui ne sont pas gigantesques (probablement moins d’une centaine). 

Néanmoins, les armées russes continuent à consacrer plus de la moitié de leurs frappes à viser Kiev, ce qui réduit d’autant leur capacité à gêner la préparation de l’offensive ukrainienne dont les centres névralgiques sont dispersés loin de la capitale. Avec ces attaques systématiques contre Kiev, les armées russes fixent les excellents systèmes sol-air fournis par les alliés autour de la capitale quand certains seraient très utiles aux forces ukrainiennes pour protéger l’espace où l’offensive sera menée. 

Le président Zelensky avec à ses pieds un drone Shahed abattu par la defense ukrainienne au-dessus de Kiev

Des « ripostes » ukrainiennes de provocation et de dispersion

Les ripostes ukrainiennes sont – elles – très cohérentes puisqu’elles dispersent les armées russes quand ces dernières cherchent au contraire à reconcentrer leurs forces restantes pour pouvoir réagir à l’offensive qu’ils savent imminente, d’où leur fébrilité.

Les incursions et les bombardements à répétition dans la région de Belgorod poursuivent efficacement cet objectif, qui n’est bien sûr pas d’envahir la Russie comme l’entourage de Poutine essaye de le faire croire, mais bien de mobiliser des unités militaires dans cette région décentrée par rapport à la zone de front, dispersant un peu plus les moyens russes. 

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La riposte ukrainienne la plus spectaculaire est probablement l’attaque lancée avec des drones contre Moscou le 30 mai, même si elle n’a pas été revendiquée, comme d’ailleurs l’ensemble de leurs actions sur le territoire russe. Les Ukrainiens ont pris la précaution de ne pas utiliser de matériels militaires livrés par les alliés pour conduire cette opération et éviter d’impliquer directement les nations qui les soutiennent. 

Ce sont principalement des drones Beaver de fabrication ukrainienne qui ont été utilisés, un assemblage local inspiré en partie de drones bas de gamme chinois. Un drone peu sophistiqué et peu coûteux, mais qui a réussi la performance de porter la guerre au cœur de la Russie en atteignant sa capitale : après un vol d’au moins 500 km sans avoir été repérés par la défense russe, pourtant sur le qui-vive depuis « l’attaque-fantôme » contre le Kremlin, entre 10 et 20 drones ukrainiens ont explosé dans la région de Moscou. 


Ces attaques relèvent bien du « feu d’artifice » destiné à être vu plus qu’à commettre des destructions, et quelle humiliation pour le pouvoir russe d’être visé par ceux qu’il croyait écraser.

Lire aussi : bruit et lumière dans la nuit, « l’attaque fantôme » contre le Kremlin

Le « maître du Kremlin » a même dû sortir de son éternelle réserve pour commenter à chaud cette attaque afin de tenter de rassurer sa société, portant au passage un message désastreux de « ne surtout pas s’inquiéter », quel meilleur moyen de la faire douter ?

Cette vague de drones contre la capitale russe relève de « l’effet boomerang » pour le régime de Poutine, qui croyait imposer son ordre par sa puissance destructrice et qui doit maintenant se défendre des incursions venues d’Ukraine.

Des raids qui ont même eu l’audace de viser une banlieue très privilégiée de Moscou. Le chef mafieux de la société Wagner, Prigojine, a gueulé de tout son soûl, mais quel rôle peut-il jouer maintenant qu’il a quitté la zone de combat où la destruction de Bakhmut a signé aussi celle d’une grande partie de sa milice ?


Qu’est-ce que les Ukrainiens attendent pour lancer leur offensive majeure ?

L’accélération des événements auxquels nous assistons actuellement s’inscrit dans un processus qui débouchera sur l’offensive majeure des Ukrainiens. 

Si les forces ukrainiennes ne l’ont pas encore lancée, ce n’est pas faute de moyens et de combattants (hommes et femmes) formés et bien commandés, ni d’une météo désormais propice aux manœuvres d’engins blindés, mais parce qu’ils observent attentivement avec leurs alliés comment les Russes redéploient leurs unités militaires au gré de ces événements. 

Autrement dit, les alliés cherchent quelle partie du front sera la plus fragile compte tenu des choix que sont obligés de faire les armées russes pour réagir notamment aux incursions qui sont autant de provocations dans la région de Belgorod. Seuls quelques km seront nécessaires aux forces ukrainiennes pour concentrer leur offensive sur les plus de 1,000 que compte la ligne de front actuelle et ce choix sera critique pour le succès de cette opération.

@PouletVolant3

Alors seulement, et très probablement avant fin juin pour disposer du temps nécessaire, les forces ukrainiennes utiliseront enfin le matériel d’assaut le plus performant qui leur a été livré, dont les chars Leopard 2 sont une pièce essentielle.

Ces chars seront précédés des blindés légers de reconnaissance comme le fameux AMX10-RC français, accompagnés des engins de déminage et de franchissement pour ne pas se laisser ralentir, et ils seront protégés par une puissante artillerie sol-sol et sol-air. Le facteur clef de cette offensive majeure sera de ne pas se laisser ralentir. 

Le facteur clef de cette offensive majeure sera de ne pas se laisser ralentir

Les Ukrainiens disposent normalement de deux forces capables de mener cette offensive et la logique voudrait qu’ils les utilisent avec un décalage dans l’espace et dans le temps : avec la première offensive ukrainienne, les armées russes seront obligées de dégarnir encore certaines parties du front pour réagir et ces mouvements fragiliseront alors de nouvelles zones. 

De fait, les armées russes ne disposent pas de suffisamment de « réserves stratégiques » pour couvrir un front supérieur à 1,000 km tout en ayant à protéger maintenant la frontière directe avec la Russie et une multitude de centres névralgiques sur leur propre territoire, devenus des cibles potentielles pour les frappes de drones et les incursions ponctuelles de commandos russo-ukrainiens. 

Il est clairement établi maintenant que les Ukrainiens disposent de soutiens au sein même de la population russe, dont les liens familiaux et amicaux sont quasi inextricables… La deuxième offensive viendra alors, dans une autre zone du front, pour finir de déstabiliser le dispositif défensif russe que 15 mois de guerre ont plus figé que renforcé.

Le régime de Poutine prend conscience que ses armées sont affaiblies par cette guerre mal menée et risquent la débâcle. Ce que le secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken (équivalent au ministre des affaires étrangères) a résumé avec cruauté en déclarant que l’armée russe, après avoir été considérée comme la deuxième plus puissante au monde, était devenue désormais la deuxième plus puissante en Ukraine…


Éviter le scénario de la Corée 

L’enjeu de cette offensive ukrainienne « à venir » est crucial car, en cas d’échec, l’enlisement des forces ukrainiennes ferait craindre un scénario à la coréenne avec une partition durable de l’Ukraine et la prolongation de la situation insoutenable d’un tel conflit, scénario qui fait son chemin parmi les Républicains aux Etats-Unis s’ils revenaient au pouvoir avec les élections présidentielles de 2024. 

Juste avant cette offensive, l’Europe fait corps à défaut de construire un système de défense partagé 

La réunion en Moldavie ce 1° juin, à quelques dizaines de km de l’Ukraine en guerre, de la communauté européenne politique réunissant 47 Etats (soit 20 de plus que l’Union européenne) a rempli un autre objectif crucial, celui d’afficher une cohésion de l’ensemble de l’Europe face à cette guerre d’agression déclenchée 15 mois plus tôt par Vladimir Poutine. 

/MAXPPP – Carl Court

Dans le même temps, le président Macron a appelé de ses vœux une Europe de la défense pour constituer un pilier de l’OTAN, rappelant par la même occasion que cette guerre contre l’Ukraine est d’abord un défi pour cette Europe.

Il est simplement regrettable que sa présidence n’ait impulsé aucune initiative crédible sur ce sujet, comme le montre en particulier la loi de programmation militaire française qui ressemble plus à un déni de la dimension européenne, pourtant incontournable pour une paix durable. 

Lire aussi : la guerre en Ukraine peut-elle sortir la défense européenne de l’ornière ?

Enfin, je voudrais terminer ce bref récapitulatif de la situation par cette déclaration du général américain Mark Milley, qui vient participer en France aux 79°commémorations du débarquement des forces alliées du 6 juin 1944. 

Outre le fait que le débarquement présente des similitudes historiques avec l’offensive ukrainienne à venir, le chef d’état-major des armées américaines explique que les avions F16 ne seront pas prêts pour la contre-offensive ukrainienne puisqu’il faudra plusieurs mois pour compléter ce programme, reconnaissant de fait l’imminence de cette opération…




Pour approfondir, lire la chronique de Michel Goya dans La voie de l’épée

13 commentaires sur “L’Ukraine est prête à lancer son offensive majeure

  1. Merci Guillaume pour ton article particulièrement éclairant qui recense l’essentiel des éléments actuels, ça n’est pas du luxe de pouvoir ainsi synthétiser tout ça.
    À l’occasion, si tu en avais le temps, je serais heureux de comprendre un peu mieux ce qui t’amène à écrire cela à ta lecture de la LPM : « Il est simplement regrettable que sa présidence [de Macron) n’ait impulsé aucune initiative crédible sur ce sujet, comme le montre en particulier la loi de programmation militaire française qui ressemble plus à un déni de la dimension européenne, pourtant incontournable pour une paix durable. » Tu fais référence à des arcanes que je ne maîtrise pas. Même si ta réflexion entre à mes yeux parfaitement en écho avec les déclarations de notre président concernant la défense européenne. Des déclarations qui manquent à mes yeux de sincérité, et de volonté profonde de s’engager dans ce sens, en contrepoint il semble toujours nous parler d’une défense européenne très, trop cocardière.

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  2. bonjour,
    la pression doit être énorme pour les autorités civiles et militaires UKR, et on les comprend
    je verrai bien la contre-offensive débuter ce 6 juin, date au combien symbolique pour une opération de libération
    les 3 mois à venir seront capitaux pour les UKR: engranger le maximum de gains pour être en position de force avant l’autre séquence à venir
    je suis avec eux

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  3. Un grand merci, Guillaume, j’adore vos articles, qui sont toujours excellents, et très bien rédigés.
    J’ai tout de même une forte interrogation concernant les F16 et peut-être même les Mirage: On sait malgré tout que des pilotes ukrainiens sont entraînés depuis juillet de l’année dernière, sans compter des entraînements secrets dont on n’a certainement pas connaissance dans des pays membres de l’Otan.
    Or, partant du principe que dans une guerre, le plus important est ce qu’on veut faire croire et ce qu’on ne dit pas, peut-on avoir la surprise de voir ces chasseurs surgir dans le ciel Ukrainien?!
    D’autant plus que du point de vue logistique, c’est bien plus facile et rapide à livrer que des blindés: La suprise serait magistrale😁.
    Au plaisir de vous suivre.

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    1. Ce ne serait pas absurde, mais la complexité dans la livraison d’avions de combat F16 ou Mirage 2000 aux Ukrainiens réside principalement sur les équipes techniques qui sont obligées de se trouver directement sur les bases aériennes… en Ukraine.
      Là où un char peut être transporté de l’autre côté de la frontière pour être réparé par des équipes spécialisées, c’est nettement plus difficile pour un avion de combat dont la remise en condition technique se fait sur place et quasiment pour chaque vol.
      Et il faut des années pour former ces techniciens, alors que des pilotes expérimentés se « transforment » en quelques mois.

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      1. Pourtant ça ne serait pas la première fois que des forces seraient présentes « officieusement »: plusieurs États ont des éléments spécialisés pour ce type de mission, y compris la France comme en Irak par exemple, mais nous ne le saurons jamais, ou bien plus tard…
        Et puis la fébrilité russe pour gérer les évènements à sa frontière, à la veille de la contre offensive, démontre surtout sa faiblesse en matière de renseignement.
        On pourrait dire aussi que ça reflète leurs capacités limitées, mais je ne pense pas. Je penche plutôt pour un énorme problème de chaîne de commandement trop « verticale »: l’armée russe est tellement corrompue qu’elle manque d’officiers et de sous officiers: et ça, malgré le peu de valeur qu’ils ont toujours accordé à leurs soldats, c’est un paramètre crucial dans une guerre qui leur fait grand défaut!

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