Pourquoi Vladimir Poutine nous parle encore d’armes nucléaires ?

Comme l’a annoncé Le Monde le 25 mars, le président russe, Vladimir Poutine, a assuré que Moscou allait déployer des armes nucléaires « tactiques » sur le territoire de son allié, la Biélorussie, un pays situé aux portes de l’Union européenne.

« Il n’y a rien d’inhabituel ici : les Etats-Unis font cela depuis des décennies. Ils déploient depuis longtemps leurs armes nucléaires tactiques sur le territoire de leurs alliés », a déclaré M. Poutine lors d’une interview diffusée à la télévision russe. « Nous avons convenu de faire de même », a-t-il ajouté en disant avoir l’accord de Minsk.

Le chef d’Etat a par ailleurs menacé d’utiliser des obus contenant de l’uranium appauvri en Ukraine si Kiev devait en recevoir de la part des Occidentaux, comme cela a été évoqué récemment par une responsable britannique. « La Russie, bien sûr, a de quoi répondre. Nous avons, sans exagérer, des centaines de milliers d’obus de ce type. Nous ne les utilisons pas pour le moment », a-t-il prévenu.

Les munitions à uranium appauvri ne sont pas des « armes nucléaires »

Traitons d’abord du sujet des munitions à uranium appauvri, qui a servi de déclencheur – je n’ose pas dire de détonateur –, au dictateur russe pour remettre sur la table les questions du nucléaire. 

Les « munitions à uranium appauvri » ne sont pas des armes nucléaires, mais des projectiles qui utilisent une matière dérivée de l’uranium dont la très forte densité augmente son pouvoir de perforation des blindages. Fabriquées dans les années 1990, comme munitions anti-chars, elles sont pour l’essentiel des obus de 30 mm pour les « chasseurs de chars A10 » et des obus de 105 et 120 mm utilisés par des chars contre d’autres chars. 

L’avion « chasseur de chars » A10

Leur utilisation dans les Balkans et en Irak ont semé le doute sur la toxicité de leur composant à uranium appauvri, en particulier lors de l’impact avec une cible mais aussi pendant leur manipulation par des équipages militaires. En France, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) avait été mandaté pour analyser ces problèmes. Les conclusions n’ont jamais été publiées, mais ces munitions à uranium appauvri ont discrètement été retirées du « service actif » dans l’armée française (et peut-être conservées en stock ?). La plupart des pays qui utilisaient ce type de munitions ont fait de même.

Il est donc assez étonnant que ce sujet ait été évoqué par la Grande-Bretagne dans le cadre de la livraison de quelques chars Challenger à l’Ukraine, maladresse de communication ou vidage de stocks mal approprié ?

Ce qui est cocasse, s’il ne s’agissait d’un contexte de guerre, est l’utilisation par Vladimir Poutine de cet argument alors que son armée utilise justement ces munitions à uranium appauvri dans leur guerre contre l’Ukraine… 

Explications par Rebecca Rambar 

Cependant, mentir est un mode de fonctionnement normal du président Poutine, dont la culture du KGB/FSB est structurante dans son exercice du pouvoir. D’ailleurs, le même n’hésite pas à affirmer – contre toute évidence – qu’il ne fait pas la guerre contre l’Ukraine mais qu’il libère les Ukrainiens…

Lire aussi : Goodbye Poutine, du KGB au crime de guerre

Donc la question des munitions à uranium appauvri est très accessoire, comme le rappelle Stephane Audrand dans son analyse sur le sujet. 

Alors pourquoi Poutine reparle de Nucléaire ?

Depuis le début de cette guerre contre l’Ukraine, le président Poutine ou son entourage soulèvent la question des armes nucléaires en moyenne toutes les trois semaines. 

Pourtant, il n’existe plus de concept de « guerre nucléaire », en effet ce ne sont pas à proprement parler des armes pour combattre, mais bien des dispositifs de destruction massive. La mesure de leur puissance se fait ainsi en kilotonnes (1,000 tonnes d’explosif type TNT), soit mille fois plus que la bombe la plus puissante utilisée actuellement en Ukraine – 1 tonne – déjà suffisante pour détruire un immeuble entier…

Lire aussi : encore une menace nucléaire de la Russie contre l’Ukraine ?

Lorsque le président russe déclare qu’il va déployer des armes nucléaires « tactiques » sur le territoire de son allié, la Biélorussie (réduite de fait à son président Loukachenko dont personne ne donne cher de la peau quand Poutine disparaîtra), Poutine cherche d’abord à parler de sa « puissance nucléaire ». 

En effet, disposer d’armes nucléaires (russes) sur le sol biélorusse ne change rien à la situation stratégique de l’ensemble. L’armée russe utilise en permanence des missiles tirés de son territoire ou de la mer noire pour bombarder des objectifs (civils) en Ukraine. Ces vecteurs ont pratiquement tous été conçus pour emporter une charge nucléaire, il n’est donc nul « besoin » pour les Russes d’en emporter en Biélorussie sauf… pour essayer d’impressionner les opinions publiques européennes comme un malfrat rapprocherait un couteau des yeux de sa future victime. 

« Poutine essaye d’impressionner les opinions publiques comme un malfrat rapprocherait un couteau des yeux de sa future victime »

Poutine espère – une fois encore – impressionner son monde avec sa puissance nucléaire qu’il remet en lumière sous couvert d’en exporter dans un pays voisin, et totalement vassalisé. 

Mais en exhibant une nouvelle fois cette menace, Poutine affaiblit un peu plus sa crédibilité en répétant une manœuvre qui a déjà échoué. Les Ukrainiens pas plus que les Européens n’ont l’intention de laisser martyriser l’Ukraine parce que son agresseur se sentirait intouchable du fait de son arme nucléaire. Son utilisation lui vaudrait en effet une riposte immédiate comme déjà expliqué, soit une destruction de ce qui reste de l’armée russe par des frappes classiques (non nucléaires) de l’OTAN si l’attaque concernait l’Ukraine, soit une mobilisation de l’OTAN contre la Russie de Poutine si cette dernière l’attaquait directement. 

Lire : Vladimir Poutine va-t-il utiliser des armes nucléaires pour briser son échec en Ukraine ?


Un aveu de faiblesse

Cette énième manœuvre d’intimidation sert surtout à camoufler l’incroyable succession de revers militaires qu’essuie Poutine en Ukraine. Même ce qui reste de la ville de Bakhmut, un tas de ruines dévastées par neuf mois de bombardements, n’a pas été encore conquis malgré la concentration des armées russes et le massacre de dizaines de milliers de soldats et de miliciens, russes ou séparatistes, sacrifiés dans le seul but d’offrir une victoire à leur tyran. 

Durant le mois de mars comme pour février, « l’offensive de grande ampleur » annoncée par la Russie lui a permis de conquérir, à un prix astronomique en termes de vies et de matériels, 0,01% du territoire ukrainien, autant dire rien. 

Alors que les Ukrainiens finissent de préparer les (au moins) deux forces offensives capables de lancer des contre-attaques déterminantes contre les armées d’occupation russes, Poutine essaye donc de détourner l’attention et de faire trembler les 50 pays alliés qui ont décidé de soutenir l’Ukraine jusqu’à sa victoire. 

Lire aussi : bataille de Bakhmut, le piège dans lequel les Ukrainiens ne sont pas tombés 

Au passage, notons que Bakhmut est occupé à plus des 2/3 par les Russes mais au lieu de finir de conquérir cette piteuse « victoire », ces derniers préfèrent ralentir et redéployer une partie de leurs unités militaires concentrées autour de Bakhmut pour renforcer les 1,200 km de front sur lesquels les Ukrainiens vont pouvoir choisir les lieux et le moment de pénétrer en force. Cela en dit long sur les opérations en préparation. 

L’affichage d’une menace nucléaire est plus que jamais un aveu de faiblesse d’un Vladimir Poutine qui se rêvait en héritier de Staline faisant trembler le monde, mais qui n’est au fond qu’un mafieux qu’on a laissé s’emparer d’un pays tout entier. 


L’émission 28 minutes d’ARTE consacrée à ce retour au nucléaire de Poutine

5 commentaires sur “Pourquoi Vladimir Poutine nous parle encore d’armes nucléaires ?

  1. Quand les russes peinent sur le terrain et Bakhmut pour ne prendre que cet exemple en est la triste illustration, Poutine retourne à ses fondamentaux : la Menace nucléaire ☢️ !!!
    Si j’ose dire il ne lui reste plus que cela !!!!!!
    Il envisage une nouvelle « mini » mobilisation coincé entre ses besoins humains et son souci de ménager les mères russes pour son opération de moins en moins spéciale mais de plus en plus guerrière !
    Du côté ukrainien tout le monde attends la nouvelle offensive, fonction des conditions climatiques favorables , de l’arrivée conséquente des livraisons de l’OTAN , de l’entraînement des hommes !
    Cette opération cruciale sera one shot : pas question de se rater d’où la pression mise sur l’état major ukrainien pour percer suffisamment un ennemi qui ne bouge plus mais se retranche de jour en jour et améliore ses défenses en profondeur !
    Cet anniversaire des tristes événements de Butcha est un peu comme un moment de suspension du temps : les russes ayant manifestement arrêté leurs efforts sur Bakhmut !!
    La France augmente ses budgets militaires, reçoit ses 1 ers Rafales nouvelle norme, enclenche la programmation du remplacement du PAN Charles De Gaulle , et rapatrie ou augmente sa production sur l’hexagone dans le domaine militaire.
    L’armée de terre reçoit ses 1ers Servals (une trentaine) au 3e RPIMA de Carcassonne : l’un des quatre véhicules blindés connectés au programme Scorpion pour le combat collaboratif. Le char Leclerc sera aussi mis à contributions et upgradé.
    La Finlande recevant le dernier adoubement de la Turquie rentre dans l’OTAN en attendant son voisin : la Suède sur les starting-blocks !!!!!

    Aimé par 1 personne

  2. Bonjour M. Ancel, je vous écris pour vous remercier pour la qualité de vos analyses.
    Colonel de gendarmerie, j’ai été en poste en Ukraine de 2016 a 2021 en tant qu’ASI. j’ai donc suivi tout particulièrement la GNU et les SBG et également la mission militaire et donc les évaluations et TD de l’ambassade. A ma retraite, je suis resté en Ukraine et j’étais a Kyiv en février 2022 ( je me suis marié en 2019 et je suis l’heureux père d’une petite ukrainienne née en 2018).
    Je suis toujours en Ukraine mais je serai en région parisienne vers le 13 mai pour plusieurs jours.
    De ce fait, étant en plus libre de paroles, je vous rencontrerais volontiers si cela peut vous être utile.
    Cordialement
    JL LAUMONT

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