En plus de leur stupéfiante capacité à résister aux agressions d’une Russie que l’on prenait pour un ogre, les Ukrainiens ont manifesté jusqu’ici une rare compétence à communiquer pendant cette guerre qui les a envahis. Largement conseillés et aidés sur le sujet, les Ukrainiens ont réussi à entretenir – depuis 13 mois maintenant – un intérêt manifeste et continu des médias occidentaux : mise en avant de sujets soigneusement choisis et présentés, alternance de questions très militaires avec des débats de société beaucoup plus larges, équilibre recherché entre l’expression d’une volonté d’acier et la désolante constatation des dégâts commis par la violence de leurs agresseurs russes.
De l’attaque du pont de Kertch en Crimée aux sordides crimes de guerre de la soldatesque russe à Boutcha, des frappes de missiles contre des cibles civiles aux vols de leurs enfants, de la reconquête de Kherson à la résistance épuisante de Bakhmut, les Ukrainiens ont remarquablement orchestrés les sujets – réels – pour entretenir une tension médiatique, en particulier dans les cinquante pays alliés qui les soutiennent.
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L’attention médiatique est d’autant plus importante pour les opinions publiques européennes qu’elles se sentent menacées « au premier chef » : pourquoi les ambitions de conquête et d’asservissement de la Russie de Poutine s’arrêteraient aux frontières de l’Ukraine ? Qui en seront les prochaines victimes, la Finlande qui a osé rentrer dans l’OTAN pour se protéger ? Les pays baltes qui ont défié l’ex-URSS en la quittant ? Et après viendra le tour de la Pologne et/ou de la Roumanie ?
Cette crise qui dure depuis plus d’un an occupe nos médias à la mesure des préoccupations qu’elle suscite. Mais ces deux dernières semaines, nous assistons à une séquence médiatique d’une toute autre nature, un « bas niveau de bruit » proche du silence en comparaison des périodes précédentes qui s’étaient pourtant enchaînées jusque-là à un rythme effréné.
Une forme de discrétion qui n’est pourtant pas liée à l’absence d’événements –déploiement d’armes nucléaires russes en Biélorussie, rôle de la Chine, livraison d’avions MiG 29 par les Polonais –, mais plutôt à la volonté des Ukrainiens qu’il convient d’analyser.

Une pause avant l’accélération des événements
Une tension médiatique ne peut s’étirer indéfiniment, au même titre qu’une crise. L’expérience du Covid nous a rappelé qu’au-delà d’une certain niveau d’attention, un phénomène de lassitude finit par apparaître, peut-être pour nous préserver de l’épuisement. Nous n’en pouvions plus de parler de cette crise sanitaire et nous l’avons mise de fait en quarantaine.
Or, la phase de cette guerre qui nous attend désormais est cruciale : jusqu’ici les Ukrainiens se sont principalement défendus, freinant l’invasion russe, interceptant partiellement les missiles et les drones lancés contre eux, rétablissant les services essentiels jusqu’à l’attaque suivante, empêchant les armées russes de s’emparer de nouveaux territoires sauf au prix de combats dévastateurs comme à Bakhmut.
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La nouvelle phase qui est en préparation sera clairement une offensive militaire, rendue possible par la livraison de matériels modernes par les alliés : chars Léopard 2, missiles anti-aériens comme les Patriot, capacité de frappe dans la profondeur (jusqu’à 150 km, missiles GLSDB et kits JDAM en illustration), en complément des canons César et des lance-roquettes multiples Himars.


Les livraisons de ces matériels sont déjà bien avancées et surtout elles sont accompagnées du retour des équipages militaires ukrainiens qui ont été formés à leur emploi dans plusieurs pays alliés.
Les Russes avaient annoncé crânement qu’ils les « brûleraient » à leur arrivée, mais pour l’instant ils n’arrivent pas à les frapper.
Une à deux contre-offensives ukrainiennes majeures dans les semaines à venir
Compte tenu de leur niveau actuel d’équipement et de formation, les forces ukrainiennes seront en mesure de lancer une à deux contre-offensives majeures dans les semaines qui viennent. Pour réussir, ces actions offensives auront besoin de frapper les armées russes autant que les esprits, car la perception de ces opérations sera moins fonction de la réalité du terrain – rarement connue au moment opportun – que de l’impression qu’elles donneront, en particulier aux soldats russes peu motivés, mal équipés et terriblement mal encadrés.
Ces derniers pourraient partir en débâcle s’ils ressentaient qu’ils n’ont plus d’autre perspective que de ramasser une raclée après avoir tenté de terroriser les Ukrainiens.
Un échec flagrant de « l’opération militaire spéciale » contre l’Ukraine mettrait en grande difficulté le pouvoir russe, mais comme nous l’avons déjà écrit, la clef de cette guerre est celui qui l’a déclenchée, Vladimir Poutine, dont la chute est cruciale pour garantir une paix durable dans cette partie du monde. Et seule sa société peut à ce stade l’éliminer, à condition là aussi qu’elle soit convaincue que l’issue de cette guerre est désormais inéluctable, une défaite sans appel.
Lire aussi : Poutine est la clef de la guerre russe contre l’Ukraine, sa chute est le préalable à toute paix durable
La question est à peu près symétrique pour les opinions publiques des pays alliés qui soutiennent l’Ukraine. Celles-ci ne continueront à soutenir son effort de guerre – au-delà des discours qui engagent essentiellement ceux qui les écoutent – que si elles ont le sentiment que les Ukrainiens ont la capacité de gagner, malgré la différence de taille et de puissance affichée initialement par leur agresseur russe.

Autrement dit, il faut que cette offensive ukrainienne marque les esprits, d’un côté du front comme de l’autre, pour être déterminante. Lancer cette bataille vitale dans un environnement saturé d’informations sur « la guerre contre l’Ukraine » risquerait d’en atténuer les effets. La pause médiatique actuelle est typique d’une période consacrée à la préparation d’une opération majeure (qu’on ne risque pas d’annoncer par avance) et d’une maîtrise de la communication qui consiste à ne pas épuiser l’attention alors que l’événement en préparation doit « concentrer tous les moyens » pour espérer enfin une issue à cette crise.
Et si, comme le projettent les alliés, cette offensive permet aux forces ukrainiennes de pénétrer dans le dispositif russe, ce dernier sera déstabilisé par la difficulté d’utiliser des frappes (d’artillerie ou aériennes) alors qu’elles constituent leur principale supériorité face aux Ukrainiens.
Les armées russes ont très peu de possibilité de se réorganiser rapidement et efficacement pour faire barrage à une action rapide et concentrée des Ukrainiens, leur dispositif de défense étendu sur 1,200 km risque alors de se disloquer, autant sous les coups des Ukrainiens que sous la pression de la peur de ne pas pouvoir leur résister.
« Le dispositif russe risque alors de se disloquer, autant sous les coups des Ukrainiens que sous la pression de la peur de ne pas pouvoir leur résister »
Dans cette offensive, la charge médiatique est aussi importante que la pression militaire. Et le silence actuel est à rapprocher de la constitution d’une réserve d’attention pendant que les unités ukrainiennes finissent de constituer leurs propres réserves de munitions, de matériels modernes et de combattant(e)s expérimentés…
Ce silence est probablement celui qui précède la tempête.
le cap des 10 000 véhicules russes perdus en Ukraine est franchi (selon Oryx)…yess
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« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices, suspendez votre cours ! Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours ! » Comme aurait dit Lamartine
Ou le calme avant la tempête !
Ou le retrait de la mer avant le Tsunami !!!!!
Ce moment d’absence et de sustentation ,d’arrêt du temps laisse entrevoir l’importance de cette offensive pour les Ukrainiens et par effet de ricochet pour les russes !!!!
En effet les Ukrainiens ont engagé la cartouche pour one shot comme un sharpshooter et ne doivent pas la gâcher !
Pendant ce temps notre président est allé défendre leur cause auprès de Xi, et n’a pu obtenir qu’une déclaration de principe pour la Paix et la reconnaissance des frontières historiques, qui les arrangent en passant pour Taïwan !!!!
La guerre sera longue et dure et le temps reste suspendu !!!!
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Je note aussi que l’explosion du pont de Kerch remonte à plus de six mois. Je trouve très étonnant, si je puis dire, qu’il n’y ait plus eu aucune tentative depuis, même avortée, même échouée. Je prends peut-être mes désirs pour des réalités, mais depuis ce temps, j’ai du mal à croire que Budanov (le chef des services secrets ukrainiens) et ses services, l’Armée, n’aient appris suffisamment de ce temps de la guerre qui se déroule depuis, des « tests » qu’ils ont pu effectuer (drones envoyés à plusieurs centaines de kilomètres en Russie) pour ne pas le mettre à profit en détruisant cette artère vitale pour les troupes russes. J’ai du mal à croire que les stratèges ukrainiens n’envisagent donc pas une action de ce côté-ci, mais qu’ils attendent le bon moment pour en tirer le plus grand parti. Justement, quelle meilleure occasion que le déclenchement, notamment avec de nouveaux matériels qu’ils ont pu recevoir, mettre au point, ou optimiser, de la, des contre-offensive(s) à venir. Comme le top départ.
Mais je me prends peut-être trop à rêver.
J’adhère à 200 % à ce que tu écris concernant la chute de Poutine, et la nécessité absolue de celle-ci. C’est par une défaite, une débandade russe à grande échelle sur le terrain que celle-ci adviendra. C’est elle qui permettra qu’il se fasse débarquer par « les siens », plus ou moins protocolairement…
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Un grand merci pour la qualité et la pertinence de vos analyses. Attendons donc le jour J en ayant une pensée pour toutes celles et ceux qui mettent leur vie en danger pour défendre le droit à l’existence de leur pays, et se battent aussi pour notre liberté.
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Bonjour Guillaume,
Ton analyse est particulièrement intéressante. Ta réflexion sur l’effet psychologique… Je n’aurais pas poussé l’hypothèse jusqu’à voir dans ce calme médiatique une volonté réfléchie des autorités ukrainiennes. Ce que je remarquais chez nous, en France, dans cette période, c’est la volatilité, la fragilité des volontés de certaines personnalités médiatiques soutenant pourtant l’Ukraine, mais qui, au vu de cette drôle de guerre actuelle, ce « temps mort », se mettent à envisager des compromis, compromissions, inacceptables à mes yeux. Comme la cession de la Crimée à la Russie… Tout du moins la possibilité de l’envisager, un statut particulier, etc
Merci pour ton action et tes convictions.
Bien à toi,
Jérôme DAVID
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Tu noteras aussi comment la Russie essaye de faire croire qu’elle sait tout de cette contre offensive et que donc elle ne l’a craindrait pas…
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Oui, notamment cette « fuite » américaine. Mais je lisais que ça ne convainc aucunement les blogueurs pro-Kremlin. Bien au contraire ils expriment une certaine fébrilité.
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Merci, ça nous rassure car on était désolé de ne presque plus en entendre parler!
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