Srebrenica : avons-nous fermé les yeux sur un génocide pour préparer des accords de paix ? Rencontre avec Florence Hartmann 

Image du film La voix d’Aïda ©️Condor Distribution

Avant un débat organisé dans le cadre du festival cinéma et des droits humains, et animé par Martine Royo d’Amnesty International, nous nous rencontrons avec Florence Hartmann, une des grandes connaisseuses de la guerre de Bosnie. 

Nous sommes évidemment d’accord sur le fait que Srebrenica a été abandonnée, alors que c’était une « enclave protégée » de l’ONU. 

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Nous savons désormais que ces massacres ont été suivis quasiment en temps réel pendant toute leur durée, – plusieurs jours –, par les dirigeants de la communauté internationale qui étaient partie prenante à la résolution de ce conflit, en particulier la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. 

Nous nous rejoignons aussi sur le fait que la force de l’ONU en Bosnie, la FORPRONU, avait la capacité d’intervenir contre les milices serbes qui pénétrèrent en juillet 1995 dans l’enclave de Srebrenica afin de massacrer toute la population mâle, pour la raison qu’ils étaient bosniaques. 

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Ces massacres de Srebrenica sont qualifiés de génocide par le Tribunal pénal international et constituent un crime contre l’humanité. 

En fait, dès la crise des prises d’otages de casques bleus à Sarajevo en mai 1995, le président Jacques Chirac, nouvellement élu, comprenait que la situation était irrémédiablement compromise pour la France : son prédécesseur, François Mitterrand, avait depuis le début du conflit protégé les Serbes tout en simulant d’intervenir, notamment à Sarajevo, pour stopper leurs agressions incessantes contre les Croates et les Bosniaques. 


Alors pourquoi avoir laissé commettre ces massacres ? Probablement pour préparer les accords de paix de Dayton

Le président Chirac n’avait quasiment plus de possibilités d’intervenir, si ce n’est de faire oublier la compromission de son prédécesseur avec les Serbes.

Le président Bill Clinton et le premier ministre britannique John Major cherchaient eux à établir un plan de paix applicable pour l’avenir de la Bosnie, et tourner la page de ce conflit sans issue. Ils avaient sans doute déjà adopté les grandes lignes des futurs accords de Dayton, qui reposaient sur la répartition du territoire entre des entités distinctes, pour lesquelles les enclaves comme celle de Srebrenica étaient incompatibles. 

Les Bosniaques, meurtris par quatre années de guerre civile, refusaient obstinément d’abandonner Srebrenica. Les Serbes pourraient accepter le principe de ce découpage à condition de la récupérer. 

Les Serbes obtinrent probablement la promesse qu’aucune frappe aérienne ne serait menée contre eux durant cette période, ce que mon témoignage comme chef d’une équipe de guidage sur le terrain confirme. 

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Quelles furent les termes de ces pré-accords et qui en décida ?

C’est ce que pourrait éclairer maintenant un travail d’historiens, à l’instar de la commission Duclert pour le Rwanda, a minima sur le rôle de la France, et idéalement sur un plan international pour comprendre le raisonnement qui rendit possible les massacres de Srebrenica. 

Car on ne peut se tromper sur ce point, les avions de l’OTAN alors au service de l’ONU, ne furent pas utilisés pour stopper la barbarie des milices serbes, mais ils photographièrent durant toute leur durée les massacres commis en plein air, comme si les bourreaux voulaient confirmer le blanc-seing qui leur avait été délivré. 

Certains responsables politiques de l’époque, comme Alain Juppé, ont déjà reconnu qu’ils se doutaient que « les Serbes ne feraient pas de prisonniers ». Alors pourquoi ne pas avoir protégé leur évacuation à partir de la base de l’ONU ? 

Pourquoi avoir renoncé à intervenir pour empêcher ce génocide ?

Ces interrogations ne sont pas seulement des questions historiques, les réponses constituent en effet une clef de compréhension des tensions actuelles en Bosnie, tandis que l’entité serbe n’a jamais été dénazifiée après les accords de Dayton et continue de menacer ses voisins. 

Comprendre ce qui s’est passé en Europe en 1995 alors qu’un mécanisme génocidaire se reproduisait 50 ans après la Shoah, est indispensable pour espérer empêcher qu’il ne se reproduise. 

Le travail des historiens, des journalistes et des juristes, l’accès aux archives et les témoignages des acteurs, notamment militaires, sont plus que jamais nécessaires pour ce faire. 

Lire en particulier : Paix et châtiment, les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales, de Florence Hartmann

4 commentaires sur “Srebrenica : avons-nous fermé les yeux sur un génocide pour préparer des accords de paix ? Rencontre avec Florence Hartmann 

  1. J’espère qu’un jour la lumière sera faite sur les responsabilités des nations qui ont laissé cette enclave tomber et ces massacres être commis. Les Pays-Bas ont reconnu en partie leurs torts. Concernant les photos aériennes, dans les années qui ont suivi, au moins une partie a été transmise aux enquêteurs du TPIY, en provenance des USA, mais pas sûre de la France. Elles les ont grandement aidés à localiser les fosses communes liées à au génocide de Srebrenica et donc retrouver les corps et fournir une énorme quantité de preuves qui ont contribuer aux condamnations de Mladic et Karadzic, entre autres.

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  2. Merci d’attirer notre attention sur ce film Voix d’Aida et de nous rappeler ce conflit oublié (au moins par les français). Je regrette de ne pas avoir vu le programme du festival plus tot. Pourtant je suis membre d’AI. Si vous avez d’autres occasions de venir à Paris, je serai heureux d’en être informé.

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