
Après la visite du président Paul Kagamé le 18 mai 2021 à Paris, c’est au tour du président Emmanuel Macron de se rendre au Rwanda. Il sera sans doute accompagné de l’ancien président Nicolas Sarkozy qui a expliqué dans un long article du Point tout le mal qu’il pense du rôle qu’a joué la France dans le dernier génocide du XX° siècle, celui perpétré contre les Tutsi au Rwanda.
Il avait d’ailleurs dénoncé en 2010 de « graves erreurs d’appréciation » lors d’un voyage officiel à Kigali, que son successeur François Hollande s’était efforcé de faire oublier. Ce dernier avait même annoncé l’ouverture des archives concernant le Rwanda pour tenter de faire taire la polémique, puis il s’était empressé de ne rien faire, sa manière habituelle de faire…
Un président qui a le courage de regarder la réalité en face
Emmanuel Macron est d’une génération qui n’est pas englué par cette affaire : il avait 17 ans au moment de ces faits monstrueux, 1 million de morts en 100 jours, et il est le premier président français à avoir franchi le Rubicon pour rejoindre le rivage de la reconnaissance des faits, quittant celui du déni qui a prévalu en France pendant 27 années, le temps d’une autre génération.
En effet, c’est ce jeune président, dont je salue le courage peu commun chez nos responsables politiques, qui décide en 2019 de la création d’une commission d’historiens présidée par Vincent Duclert, pour examiner une partie des archives liées à cette lamentable affaire que dénonçait seulement une poignée de journalistes, de chercheurs et de juristes, accompagnés de bien peu de militaires, qui auraient pourtant été fondés de ne pas accepter cette mission aberrante.
En mars 2021, cette commission Duclert publiait son rapport qui marque un tournant dans l’affaire du soutien apporté aux génocidaires du Rwanda. Il établit des faits et dresse des conclusions qui ne sont pas définitives, mais qui sont accablantes pour le pouvoir mitterrandien de l’Elysée à cette époque tragique.
Et lorsque la commission affirme qu’il n’y a cependant pas eu de « complicité de la France », elle évoque seulement l’absence d’intentionnalité de participer au génocide, ce qui n’était pas vraiment la question…
La responsabilité accablante de l’Elysée de François Mitterrand
La commission Duclert a établi que la France a collaboré avec un régime génocidaire qui préparait le crime des crimes depuis plusieurs années.
Autrement dit, l’Elysée de Mitterrand avait fait de nous les collabos du dernier génocide du XX° siècle, commis par des nazis rwandais qui ne s’étaient jamais cachés de leurs intentions, mais que l’Etat français n’avait jamais cessé de soutenir non plus, même après que cette monstruosité eut lieu.
Je dis « nous » pour les collabos, parce que c’est exactement ce que j’ai ressenti lorsque j’ai participé à l’opération Turquoise au Rwanda en plein génocide, cette opération « humanitaire » désastreuse qui a, de fait, protégé les génocidaires alors qu’ils allaient être balayés par les soldats de Paul Kagamé.
La France, ou plutôt l’Elysée car les Français n’avaient jamais été informés de la gravité de cette politique, aurait pu en rester là et espérer que l’histoire l’oublie. Mais il a fallu que l’arrogance du pouvoir triomphe et que le cercle du président Mitterrand s’investisse pendant trois décennies dans l’élaboration et la diffusion d’une vérité alternative que Donald Trump n’aurait pas reniée.
Mettre au fin au négationnisme
Portée par l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Hubert Védrine – un homme qui estime être « intouchable » –, cette vérité alternative a constitué pendant ces 27 années une véritable honte puisqu’elle a consisté en rien de moins qu’essayer d’atténuer ou de nier les faits de ce génocide : c’est la définition même du négationnisme dans la loi française.
Tout y est passé, accusant même le président Kagamé d’être l’origine du génocide ou en fabriquant un « deuxième génocide » pour contrebalancer celui perpétré contre les Tutsi, et transformer les bourreaux en victimes.
Il est d’ailleurs effrayant d’observer l’impact de cette propagande insidieuse, digne des collabos de Vichy : des ténors de la politique française continuent à répéter ces thèses, pourtant fabriquées de toute pièce, pour défendre l’infaillibilité de la France et surtout le souvenir de François Mitterrand dont la présidence s’acheva pourtant avec ce désastre, immédiatement suivi par celui de notre intervention en ex-Yougoslavie, notre fausse tentative de protéger la capitale de Sarajevo et les massacres de Srebrenica par ceux que l’Elysée considérait aussi comme ses alliés.
De Jean-Luc Mélenchon à Bernard Cazeneuve – qui déclarait encore ces derniers jours qu’il avait un doute sur le déclenchement du génocide et l’assassinat du président Habyarimana –, c’est toute une génération qui, inconsciemment ou pas, continue à diffuser ces thèses putrides désormais condamnées, comme si la réalité faisait encore débat, comme s’ils pouvaient décider de la vérité.
Notons au passage que les militaires ne sont pas les derniers à reprendre ces arguments inventés pourtant par l’entourage d’un président qu’ils ne gardent pas dans leur cœur. Ce sont les effets dévastateurs d’une propagande d’Etat, dont monsieur Védrine est sans doute en grande partie responsable.
Un geste politique indispensable pour rétablir la crédibilité de la France
Alors le 27 mai, au Rwanda, le président Macron va franchir pour nous Français une étape essentielle, la reconnaissance politique de ces faits désormais établis par les historiens : à cause d’une poignée de décideurs qui ont refusé de regarder la réalité en face, l’Etat français a apporté son soutien aux génocidaires des Tutsi au Rwanda, se trompant lourdement et mettant une œuvre une politique dramatique aux conséquences d’une extrême gravité.
Et j’espère que le président va présenter nos excuses, les excuses de la France, pour trois raisons essentielles :
Un sujet de démocratie d’abord, ou plutôt d’exigence démocratique à une époque où se multiplient les pressions sécuritaires pour réduire nos libertés et notre propre capacité de jugement. Comment pouvons-nous espérer être crédibles sur la scène internationale si la France, pays des droits de l’homme, est incapable de reconnaître une réalité, celle de son erreur puis de son déni ?
La deuxième raison est une question de dignité. La dignité de la France, de son appareil d’Etat et tout particulièrement la dignité de son armée qui a été compromise dans des opérations qui n’auraient jamais dû se produire et dont les effets ont été dévastateurs. Rien que les opérations Turquoise ont provoqué dix fois plus de morts qu’elles n’en ont sauvé et l’institution militaire a été instrumentalisée pour contribuer à camoufler ce désastre français.
La troisième raison, sans doute la plus importante, s’appelle la Décence. En reconnaissant la vérité, nous pourrons enfin honorer décemment la mémoire du million de victimes que nous n’avons pas su éviter, dans le dernier génocide du XX° siècle, celui que ma génération a rendu possible.
Assumer les conséquences de ce désastre français
Après ce geste politique historique, la France aura encore à assumer les conséquences de cette politique délirante, même si elle a été menée sans que nous le sachions.
Conséquences politiques d’abord, avec la mise en cause de ceux qui ont permis cette abomination, comme ceux qui ont sciemment menti aux Français et au monde entier, en affirmant que cette politique était remarquable et non critiquable.
Dans le monde politique français, c’est le Parti socialiste qui aura sans doute le plus de difficulté à gérer cette affaire, alors que ce qui reste de son appareil s’est encore largement mobilisé pour… continuer à nier les faits et minimiser la responsabilité du président Mitterrand. De même, la France Insoumise de monsieur Mélenchon, ce tribun toujours prompt à dénoncer des scandales sauf quand ils le concernent, ne sera pas la dernière à souffrir de ce déni, tandis que les faits sont désormais clairement établis.
Les jeunes gardes de ces partis ne souffrent plus le déni de leurs aînés et ils sont légitimes d’écarter ces hippopotames amnésiques s’ils ne se rendent pas à la raison en montrant désormais un peu de décence face à ce sujet monstrueux.
Il est probable que le Parti socialiste soit obligé de sacrifier un Hubert Védrine si cette organisation historique veut survivre à une telle infamie et préserver un peu de la figure centrale de François Mitterrand dans leur culture, un président qui aurait dû quitter le pouvoir sans attendre d’être tellement affaibli par la maladie.
A droite, la posture sans ambiguïté de Nicolas Sarkozy et l’amorce de doute affichée par Alain Juppé permettent d’oublier les propos déplacés de messieurs Balladur et Bayrou qui n’ont rien saisi de la situation, l’un peut-être par sénilité et l’autre sans doute par cécité.
Au centre, le président Macron va retirer l’essentiel du bénéfice politique de cette courageuse démarche, d’avoir sorti la France du déni et du mensonge qui faisaient de nous la risée de nos partenaires européens et africains. L’histoire retiendra ce moment clef, le 27 mai 2021, comme le fut en son temps l’indispensable discours de Jacques Chirac au Vel d’Hiv sur le rôle odieux de la collaboration dans la Shoah.
PS : le 27 mai 2021, le président Macron aura réglé en partie la question de politique internationale. Il restera encore – vaste programme – à investir les questions de justice et enfin de mémoire, avec un lourd travail d’analyse historique à mener.
Dans ce cadre, les responsabilités de certains militaires devront être mises en cause, elles ont été laissées de côté jusqu’ici parce que la responsabilité primaire de cette affaire revenait clairement aux décideurs politiques.
Mais le temps de l’examen militaire viendra ensuite, des sanctions et des rétablissements seront à prononcer aussi, pour permettre à mes jeunes camarades, en s’appuyant sur ces exemples, de refuser sûrement d’obéir à des ordres indécents, comme celui qui nous fut donné au Rwanda de réarmer les génocidaires.
Ce sera le moment de se rappeler aussi que l’honneur d’un militaire réside dans son humanité, bien plus que dans sa discipline.
Bonsoir,
Je vous signale cet intéressant entretien du chercheur Jean-François Bayart dans « Politique africaine » du 26 décembre 2022:
https://www.ancrage.org/afriques-entretien/
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Cher Guillaume,
Je sais, je te l’ai déjà dit, mais en ce jour particulier pour tous les Rwandais, je tiens à te redire encore et encore : MERCI !
Pour avoir sauvé ma famille au péril de ta vie en 1994, en plein génocide, pour avoir refusé de te taire depuis le début, pour avoir clamé bien haut depuis 27 ans que ton pays, la France, avait à reconnaître ses erreurs dans ce génocide, pour ton honnêteté et ton courage face aux menaces parce que tu refusais d’être complice du mensonge, pour la dignité dont tu as toujours fait preuve tout au long de cette affaire.
Ce jour du retour à la dignité pour la France par son Président, c’est le tien car c’est le jour des braves. Les rescapés n’en finiront jamais de te dire leur gratitude car ils peuvent maintenant envisager de faire leur deuil.
Cher Guillaume, merci d’être ce que tu es, merci d’exister.
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Merci Maggy de ce message qui m’honore, je le dédie à tous ceux et celles qui n’ont pas accepté que la raison d’Etat prenne le pas sur leur humanité.
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Nous verrons dans quelques jours mais je ne suis pas persuadé que le mot « excuses » sera prononcé… Emmanuel Macron osera-t-il prononcer ce mot très fort un an avant une présidentielle dans l’optique de laquelle il essaye de ratisser large à droite ? Certains n’attendent probablement que ça pour lancer la ritournelle de la « repentance »…
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En s’excusant auprès des tutsis,Macron tacle à gauche et non pas à droite, Sarkozy ayant par le passé dénoncé l’attitude de la France au Rwanda.Les « vieux socialistes « ainsi que Mélenchon feront les frais de leur attitude idolâtre de Mitterrand.
Si Macron pouvait parler avec son cœur,s’il en a un,sans arrière pensée politicienne!
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Si Macron ne présente pas d’excuses au nom de la France
Son engagement pour la vérité face à ce génocide n’aura été que de la com.Ce à quoi il nous à habitué jusqu’à présent
tant sur le climat,qu’avec son grand débat.
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Bonjour Guillaume ANCEL,
Je vous remercie pour cette synthèse d’étape. Je crains que le PS ne soit en mesure de « sacrifier » Védrine qui n’en est plus adhérent depuis bien longtemps. C’est aux hommes et femmes de média qu’il revient de le faire comme ce fût le cas de Frédéric Martel il y a peu dans son émissions sur France Culture. En revanche messieurs Quilès et Cazeneuve éminents membres de la triste commission parlementaire de 1999, eux, sont encore membres et exercent une influence manifestement délétère au sein du PS sur ce sujet. C’est à ce titre que Bernard Cazeneuve a reçu Vincent Duclert avec Olivier Faure à huis clos le 19 Mai. Rien n’a filtré de cet échange à cette heure, ce qui est assez déconcertant. à suivre…
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Que de tripatouillages et de mesquineries dans la politique française des années 90, avec toujours les mêmes noms…
Autre affaire, on a eu droit à un solde de tout compte avec l’affaire Karachi:
https://www.liberation.fr/societe/police-justice/affaire-karachi-balladur-relaxe-leotard-condamne-a-du-sursis-20210304_ELE5R6VOX5APBJORGWISQI7DMA/
Les marchés de la guerre et de la sécurité ne sont pas des industries comme les autres, souvenez-vous de l’Angolagate:
Les familles dont la peine est à perpétuité:
https://www.ouest-france.fr/normandie/cherbourg-en-cotentin-50100/cherbourg-en-cotentin-l-hommage-aux-victimes-de-l-attentat-de-karachi-dix-neuf-ans-apres-9b5fe76e-af58-11eb-b100-a92ec708d065
On ne parle pas assez de cet attentat datant de 2002 (déjà):
https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/05/20/dix-neuf-ans-apres-je-ne-pensais-pas-pleurer-a-cherbourg-les-oublies-de-karachi_6080790_1653578.html
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En marge de la dernière réunion africaine à Paris, il y a eu ceci qui a été volontairement médiatisé:
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/19/a-paris-les-retrouvailles-de-kagame-et-d-ex-militaires-ayant-denonce-les-derives-de-la-france-au-rwanda_6080710_3212.html
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