Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette

 « La Grande Muette, tu ne crois pas que ce serait mieux de ne pas trop en parler ? », m’a interrogé, dès la publication de ce récit sur Saint-Cyr, un brillant officier qui conseille actuellement le CEMAT, le patron de l’armée de terre.

Comme si la culture du silence était indispensable au fonctionnement d’une armée, à sa discipline militaire et qu’elle ne pouvait être évoquée sans faire courir un risque redouté.

Pourtant cette culture est récente, elle date en France de Napoléon qui a imprimé sa marque définitive sur l’école spéciale militaire de Saint-Cyr. Dans son esprit, « la guerre est un art tout d’exécution » et par conséquent les officiers n’avaient pas besoin de débattre puisque l’empereur prenait à sa charge l’intégralité de la réflexion stratégique et politique.
Par ailleurs, l’usage est très différent dans les armées anglo-saxonnes par exemple, comme je l’explique un plus loin dans cet article.

J’observe dès à présent que la publication de ce récit – probablement le seul témoignage en deux siècles de la formation d’un saint-cyrien et de la culture de cette académie militaire si spéciale – suscite des réactions très diverses dont les auteurs peuvent se répartir en plusieurs groupes.

La Madeleine de Proust

Certains de mes anciens compagnons d’armes, en particulier ceux qui lisent avant de commenter (en privé), me font des retours empreints de nostalgie sur cette période qui nous ramène à l’aube de notre carrière.

D’autres me disent combien ils apprécient d’avoir un témoignage authentique sur cette culture très particulière de ces officiers qui ont appris à Saint-Cyr « à faire la guerre et à se taire ». Tous me disent qu’ils ont leur propre interprétation des faits que je relate, mais aussi qu’ils sont impressionnés par cette masse de souvenirs qui n’avaient bien sûr jamais été publiés.

Pour autant, leur souhait commun est de garder dans une forme d’intimité la nature de ces échanges marqués d’une grande bienveillance.

Les gardiens du silence des armées

Ceux qui m’ont écrit leur satisfaction personnelle de lire ce témoignage se taisent malheureusement sur la scène publique, laissant dès lors la place à ceux qui s’expriment – une fois n’est pas coutume – mais seulement avec des insultes et des invectives en guise d’arguments.

Avec grossièreté et agressivité, les gardiens du Silence des armées – qui ne sont pas seulement des militaires – écrivent leur réactions scandalisées ou leur refus face à ce sujet. Le trait commun, en particulier des réactions les plus virulentes, est qu’elles proviennent toujours de contempteurs qui n’ont pas lu une ligne de ce récit.
Ainsi les gardiens du silence se réfugient dans des convictions solidement ancrées dans le déni d’une Grande Muette qu’il convient de ne pas raconter, probablement effrayés de finir par se questionner.

J’espérais – et j’espère encore – que l’armée de terre m’invite à débattre de ce sujet, à Saint-Cyr bien sûr et à l’école de guerre aussi, le temple de la formation des officiers supérieurs de nos armées. Mais pour l’instant, la réaction collective de l’institution semble être plutôt d’attendre patiemment, dans un silence que je n’ose qualifier de « religieux », que le flux d’actualité fasse oublier cette question qui pourrait la faire douter aussi…

Un sujet de réflexion

La question de la culture du silence interroge peu mes camarades cyrards, comme si cela était une norme définitivement intégrée et qu’il ne convenait pas de questionner, mais elle interroge volontiers d’autres militaires et plus encore ceux qui s’intéressent à la défense sans avoir forcément une quelconque ou profonde culture militaire.

En retour, des médecins militaires, d’anciens sous-officiers, officiers de marine et de l’armée de l’air, de même que des officiers de l’armée de terre qui n’ont jamais fait partie de cette « élite saint-cyrienne » me posent de nombreuses questions. Ils sont rejoints par des « civils », notamment des universitaires, des reporters et quelques politiques qui se demandent en particulier quelles sont les conséquences – positives et négatives – de cette culture du silence si profondément ancrée, ou plutôt « apprise au berceau », chez les saint-cyriens.

Faut-il la remettre en cause ? Savons-nous anticiper les conséquences d’une telle évolution ? Mais tous se rejoignent sur ses effets les plus négatifs de la Grande Muette et notamment sur le « dangereux sentiment de protection » qu’elle a pu apporter aux officiers confrontés à des situations compliquées. Pourtant, la jurisprudence sur le sujet est d’une grande clarté depuis le procès de Nuremberg : la responsabilité d’un officier est pleine et entière, quels que soient les ordres reçus. Un officier dispose de cette responsabilité redoutable dans l’organisation militaire de pouvoir dire non.

S’interroger sur la sortie de cette culture historique du silence de l’armée française, et empêcher que puisse se reproduire par exemple une affaire aussi grave et dramatique que le soutien apporté aux génocidaires du Rwanda sur ordre de l’Elysée, leur apparaît comme une évidence. Mais comment procéder sans faire disparaître pour autant une académie réputée dans le monde entier pour la qualité des officiers qui en sont sortis ?

Pour notre société « civile », qui porte une large part de responsabilité dans le fait qu’elle parle si peu à son armée, le choix n’est pas encore fait. Elle sait que l’armée ne se réformera pas d’elle-même, mais cette société s’intéresse-t-elle assez à son institution militaire alors qu’elle découvre avec la guerre en Ukraine qu’elle est menacée ?

Promotion de Saint-Cyr des « Cadets de la France Libre » devant les Invalides à Paris (Photo Yvon Ristori)


Après un rappel succinct de ce que traite ce récit, je laisserai à mon tour la place à quelques réactions et « recensions », complétées par des commentaires de lecteurs affutés tout à la fin de cet article.


Brève présentation de « Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette »

Lire pour réfléchir sur la culture du silence et mieux connaître l’armée française qui se destine à protéger la société sans vraiment lui parler…

Ce livre, préfacé par l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau et publié aux éditions Flammarion le 31 janvier 2024, est une excursion au cœur de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, celle qui forme les chefs militaires ainsi que leur silence. 

D’un usage historique, le silence est devenu une culture dans l’armée française, et contraint tout débat quand notre société devrait pourtant se pencher sur sa propre sécurité. Cette « culture du silence » n’est pas universelle, dans les armées anglo-saxonnes par exemple, la tradition démocratique veut que les militaires professionnels fassent rarement toute leur carrière dans l’armée et qu’ils racontent leurs expériences militaires dès lors qu’ils ont quitté le service actif. 

Si la question centrale de ce livre est bien la culture du silence dans l’armée française, aucune confusion ne peut être faite avec le secret professionnel ou celui des opérations qui est courant et utile dans tous les métiers.

40 ans après, ce témoignage est d’une double actualité : ma génération est celle qui commande l’armée française, comme Thierry Burkhard le chef d’état-major des armées. Mais plus encore, ce récit est celui d’une « école spéciale militaire » qui évolue très peu. Pendant que je l’écrivais en 2020 se déroulait le procès de l’affaire Jallal Hami qui montrait que l’état d’esprit était resté rigoureusement le même… 40 ans de retard du fait d’un bocal et du silence.‬

Un récit pour fouler les landes détrempées de Coëtquidan et arpenter la mystérieuse forêt de Brocéliande aussi bien que celle équatoriale d’Amazonie avec ces futurs chefs de guerre, qui vont parcourir le monde et participer à toutes ces opérations où la France envoie son armée… sans toujours en mesurer les conséquences ni la portée.

Préparation du stage de survie en jungle (Amazonie, 1988)

‪Je me suis battu pendant 20 ans pour mon pays et je me bats désormais pour que mes camarades parlent et débattent plutôt que s’enfermer dans le silence, alors que nous n’avons jamais été aussi menacés, en particulier par la Russie de Poutine.

‪Le problème est d’ailleurs moins Saint-Cyr que la culture du silence qui y est inculquée, celle-ci est dangereuse pour les militaires comme pour la société qu’ils affirment vouloir défendre… sans lui parler.

Alors que la guerre en Ukraine comme celle au Proche-Orient nous questionnent sur notre défense, ce témoignage inédit est destiné à mieux comprendre comment ces chefs militaires français ont été formés, pour faire la guerre et pour se taire.


Place aux commentaires !


Patrick, auditeur attentif de la vie des entreprises et des organisations :

« j’ai beaucoup apprécié ton style (clair, simple, direct et précis) ainsi que ton humour concernant une matière qui ne s’y prête pas particulièrement…J’ai aussi aimé la construction de ton récit sous la forme d’un carnet de route. Ceci nous fait progresser chronologiquement dans cette formation (cette aventure) très particulière de trois ans. L’architecture, avec des chapitres courts et éclairants (quelques fois incroyables), donne du rythme au récit.
Ensuite, et c’est là le plus important, je parlerai du fond. Je dois dire que j’ai été totalement saisi par le contenu de ton récit qui a fait entrer le nom initié que je suis dans le monde militaire et dans la découverte de ce qu’est concrètement la formation d’officier dans cette grande école mal connue qu’est  Saint-Cyr. J’ai parfaitement compris et admiré ton courage, ta recherche et ton choix d’un idéal au travers d’une formation et ensuite d’un métier visant à embrasser la totalité de l’être humain (corps, âme et esprit) au service d’une noble cause. Idéal qui s’est quelques fois heurté aux pulsions les plus basses de l’être humain… Merci aussi pour cette rebellion qui t’a habité (ne pas subir…) et t’a fait te battre contre un système quelques fois absurde, souvent refermé sur lui-même et ne présentant pas toujours un exemple de démocratie !
Enfin, la lecture de ton livre m’a donné envie de lire ton témoignage sur le génocide au Rwanda.


Alain, ancien commandant de sous-marin nucléaire et homme de profonde réflexion

« La lecture de ton livre m’a ravi, replongé dans mes jeunes années à l’Ecole Navale avec les mêmes stupides bizutages qui révélaient parfois ces quelques tendances sadiques qui sommeillent plus ou moins profondément enfouies en chacun, modérées seulement par un surmoi encore heureusement très présent à l’époque. Je me suis révolté comme toi au Prytanée comme à Navale. Le raid en terrain hostile fut un grand moment pour toi comme pour moi (Caché dans un buisson je me suis fait pisser dessus par un gendarme en planque ! rare…). La séquence dans la jungle est un morceau d’anthologie !
La révolte révèle les caractères dit-on, de ce point de vue tu as été servi !
Je crois que cette pratique toujours en vigueur à West Point comme à Annapolis (je ne sais pas pour Sandhurst) s’est un peu édulcorée mais subsiste encore, hélas.
Pour le reste j’admire ton hypermnésie car tu fais revivre ces instants avec une forte authenticité, un vrai vécu qui donne beaucoup d’intensité à ton récit. Bravo.

En revanche je n’ai pas compris le rapport entre le titre et le contenu car finalement la critique de la grande muette est assez « light » et je ne suis pas sûr que cela fasse évoluer l’institution, mais c’est probablement l’objet d’un prochain ouvrage. 


Jean-François Achilli, journaliste et fondateur de l’émission « Les Informés » sur France Info


Christophe, contrôleur général des Armées

 « J’ai beaucoup aimé l’écriture avec un style précis et un peu mordant  à l’image  de ta personnalité. Tu y décris Saint-Cyr mais en réalité tu te livres beaucoup, avec  sincérité et sensibilité, autre trait de ta personnalité, ce qui n’est pas courant. J’ai été touché par tes sentiments vis-à-vis de tes camarades. Tu décris des événements ou des situations dans lesquels je me reconnais même si mon vécu se distingue du tien à certains égards, mais pas tant que ça.»


Samantha de Bendern, brillante analyste militaire et chroniqueuse


Sylvie Ramadier dans Les Echos,


Étienne Girard dans L’Express

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Jean-Dominique Merchet dans l’Opinion

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Clément Machecourt dans Le Point

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Aurélien Soucheyre pour l’Humanité

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Richard Werly dans Blick

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39 commentaires sur “Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette

  1. Paradoxalement, la lecture de votre livre m’a fait du bien.

    Votre récit éclaire des comportements que j’ai constatés et parfois subis durant ma carrière de la part de certains officiers, dont je me demandais parfois – sentiment de culpabilité typiquement féminin – si je n’en étais pas à l’origine.

    Vos débuts à Coëtquidan sont aux antipodes de ce que j’ai connu à l’EIPMF – l’école interarmées du personnel militaire féminin – quelques années auparavant.

    Au terme de douze heures de train, du sud de la France à la Normandie, pendant lesquelles la centaine de filles de notre promotion se regroupe et fait connaissance, nous sommes accueillies et tranquillement réparties dans de confortables chambrées de six.

    Pas de cris, encore moins de hurlements. Pas de bizutage non plus par la promotion précédente dont 90 % des effectifs effectue alors sa formation technique dans un bâtiment voisin.

    De l’extinction des feux au réveil – petite musique et voix d’aéroport qui nous souhaite le bonjour –, nous dormons. Les trois repas de la journée, excellents et copieux, sont pris sans hâte. De fait, personne ne pique du nez en cours, notre condition physique et nos résultats sportifs s’améliorent, et rapidement se tissent des liens solides et durables.

    Nous ne sommes pas en club de vacances pour autant, il s’agit bien de former des sous-officiers, de respecter une discipline stricte, mais notre encadrement est tout à la fois exigeant, ferme et bienveillant. Hormis une toute jeune sergent qui se la joue un peu, cheveux ras, timbre éraillé et mains coincées dans le ceinturon, personne n’est là pour nous casser, nous dégoûter, nous faire regretter nos choix. D’ailleurs, une seule d’entre nous partira avant la fin de la première semaine : placée devant moi dans la file qui s’étire pour percevoir les effets qui constituent notre paquetage, je la vois se raidir devant les paires de rangers et les treillis, et faire demi-tour.

    Fille d’un saint-cyrien rigide au verbe hautain et blessant, au langage fleuri, je m’étais préparée mentalement à devoir affronter un monde dur, voire cruel. Mais quarante-deux ans après, j’ai encore en tête le charisme de certaines chefs de section et la classe, voire l’aura, de notre capitaine – une ancienne d’Indochine – et de notre colonelle dont la mort, quelques années plus tard, peinera profondément celles qui l’ont connue. C’étaient des exemples, des modèles de rigueur et d’humanité qui nous donnaient envie d’être meilleures.

    On ne parle alors pas encore de savoir-être, mais c’est pourtant bien ce que je retiens de mon passage en école, un apprentissage qui a produit, en plus d’une militaire, une version améliorée de moi-même, plus sociable et attentive aux autres.

    Je relève que nos écoles respectives n’étaient pas représentatives de la société et pratiquaient la même « neutralité religieuse ». Des décennies plus tard, la tutelle catholique m’apparaît toujours bien présente. En 2018, encore militaire, j’ai choisi de préparer à titre personnel le DU laïcité – obligatoire pour les aumôniers des armées, des prisons et des hôpitaux –, avec comme sujet de mémoire les relations entre médecine et religion, notamment dans l’armée française, depuis le 17e siècle. Désireuse de rencontrer des aumôniers militaires des différents cultes, ceux-ci me renvoyèrent systématiquement à l’aumônerie catholique, laquelle conditionna ces entretiens au contrôle de mes écrits, ce qui pour moi n’était pas envisageable.

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  2. Bonjour Guillaume,

    Je viens de terminer la lecture de votre livre « Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette ». Je l’ai trouvé très intéressant et je tenais à vous le dire.

    Nous avons des parcours différents, mais nous en sommes arrivés aux mêmes conclusions. Issu d’un milieu de la classe moyenne, j’ai été poussé par ma famille vers les études, un moyen de m’élever dans la société. Avec beaucoup de travail, l’ascenseur social a fonctionné (Docteur d’État, professeur des universités et directeur d’un laboratoire de recherche à la retraite). Serait-ce encore possible ?

    Dans chacune de nos expériences, nous avons connu la loi du silence, l’esprit de corps, des milieux dominés par le goût du pouvoir, de la hiérarchie où se cache souvent la lâcheté au nom de l’intérêt personnel. Vous avez sans aucun doute entendu dire « nous faisons le même métier »… Mais pas de la même façon !

    Je suis un produit de l’Université, avec ses forces et ses faiblesses : un esprit contestataire, un regard critique sur l’armée de l’époque (des classes à 27 ans après avoir passé ma première thèse) et un service effectué de mauvaise grâce (j’ai terminé deuxième classe comme scientifique du contingent), convaincu que tout cela ne servait à rien ! Les évènements récents m’ont montré que la solution d’une armée professionnelle bien formée est essentielle.

    Les valeurs de notre société reposent sur l’amour des « élites », privilégiant les concours réussis à vingt ans : notre système mise sur l’avenir de jeunes « prodiges » au détriment de l’évaluation des compétences. Combien de talents de terrain sont laissés de côté… La formation initiale ne suffit pas.

    Je partage votre regard sur l’intégrisme, sa complicité avec l’extrême droite, la collusion de certaines Églises avec des régimes politiques autoritaires et liberticides.

    Comme vous, j’ai le goût de cette vérité qui peut conduire à la désobéissance. J’aime citer la déclaration du Général Ludwig Beck (extrait des notes du 16/07/1938) : « Votre obéissance de soldat doit trouver sa limite là ou votre savoir, votre conscience et votre responsabilité vous interdisent d’exécuter un ordre. Pour un soldat de haut rang, c’est manquer de grandeur et ignorer sa vraie tâche que de considérer son devoir dans le seul cadre limité des tâches militaires, sans avoir conscience de sa responsabilité devant le peuple. Des temps extraordinaires exigent des actes extraordinaires » (Le mémorial de Plötzensee (Colloquium, 16e édition revue et complétée, 1979).

    Depuis trois ans, j’écris des romans et tente de faire passer des messages, m’inspirant de questions de notre époque. Ce matin 6 avril, France Bleu La Rochelle a diffusé mon interview lors de l’émission « Prenons notre temps » et je vous ai cité ainsi que votre livre. Je vous souhaite le succès mérité. Nous sommes toujours ravis de vous voir sur « C dans l’air » ou LCI.

    Bien cordialement,

    Bernard

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  3. Messieurs les militaires vous qui engagez et risquez votre vie pour défendre notre pays et nous protéger, pourquoi avez-vous peur de nous parler ?

    Comme tous les français, je ne veux pas la guerre, mais je comprends avec les écrits de Guillaume que nous avons un danger potentiel et qu’il faut se préparer si nous sommes attaqués. Se préparer ce n’est pas déclaré la guerre.

    Si vous nous informez et formez pour gérer ces risques la peur sera moins forte et surtout nous saurons quoi faire et nous aurons une meilleure compréhension des situations.  

    Osez parler et nous serons fier d’avoir une armée efficace et moderne.

    Peut-être que vos interventions calmeront tous ces politiques qui parlent à tort et à travers.

    Personnellement je vous remercie très sincèrement.

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  4. C’est peu dire, Guillaume, que votre témoignage me semble important, comme pour bien d’autres assurément, bien plus qualifiés que moi pour en parler (parce qu’issus notamment de l’institution en question).
    Mon modeste grain de sel, ici: tout d’abord pour (re)dire le grand plaisir ressenti à sa lecture, comme pour souligner la stimulante richesse du propos, à hauteur humaine, sans concessions ni afféterie, sous une plume alerte, acérée et sensible à la fois. La patine d’une forte expérience personnelle comme celle d’un écrivain de belle étoffe.
    De fait, elle part de loin et elle perdure, cette pesante évidence d’une « culture historique du silence », si bien ciblée dans les lignes de ce blog remarquable comme au fil du livre, dans l’expression comme pour l’évocation toujours vivante du creuset d’initiation à Coët.
    Le défi actuel de la guerre en Ukraine, en Europe même, et partant, celui de la reconnaissance d’un « impensé » culturel et sociétal si profond sous le rapport (devenu bien ténu) armée/nation: voilà qui interroge et mérite en effet force débats, voire des remises à plat en urgence.

    Etonnant encore, comme vous le soulignez sans relâche, ce mutisme obstiné, comme d’un art particulier, éprouvé, de ramener de sacrées poussières (façon de parler, car certaines sont d’or, vif argent et de bronze) sous un prestigieux tapis.

    Un tel silence en permanence: comme d’une loi d’airain qui serait de plus belle une règle des plus lourdes – chape de plomb? – inculquée dès les épreuves, âpres et rudes, d’un parcours initiatique. Ce fil conducteur de votre formidable récit au prisme de Saint-Cyr, s’il donne tant matière à réflexion, à commencer par la nature d’une première école de commandement ET d’obéissance (remarquables pages 134-137, par exemple), donne toute la dimension, assez exceptionnelle, d’une « autopsie » de l’institution militaire sous la plume d’expérience(s) d’un esprit libre.
    C’est là une impressionnante rareté.

    Rareté, déjà, à la mesure du corpus bibliographique -squelettique – (in)existant sur le sujet « Saint-Cyr », très justement noté par vous comme par la superbe mise en perspective liminaire de S. Audouin-Rouzeau dans sa préface.

    Rareté, ensuite, sous l’angle historique encore, mais dans la filiation, disparate mais tout aussi ténue, de belles personnalités d’officiers non conformistes et/ou éclairés dont les voix, sinon les carrières, se sont trouvées discutées, entravées pour leur pensée, leurs positions hétérodoxes, voire hérétiques. Un thème maintenant assez connu – pas que Lyautey, pas que de Gaulle, évidemment – mais que j’ai personnellement eu la faiblesse d’approcher jadis (bon, c’est déjà loin, années 80-90, temps de quelques travaux universitaires, thèse comprise, sur maints aléas de la pensée militaire entre les deux guerres d’après des revues institutionnelles. Je ferme le ban).

    Nombre de vos pages sur les impairs intellectuels, autres que strictement militaires, de la formation cyrarde me semblent faire écho à quelques plaidoyers de jadis, parfois lointains. Le cdt de Gaulle, évidemment, autour de sa fameuse phrase du Fil de l’Epée: « La culture générale est la véritable école du commandement », tout comme son vieux mentor d’alors, cet étonnant colonel Emile Mayer (mais issu de l’X, et proche de Boutmy et science po), ex artilleur écrivain militaire progressiste, inlassable esprit éclairé et hérétique depuis les années 1890 plaidant en vain dans maintes revues et livres pour l' »éclectisme dans l’esprit militaire » et dans les formations d’officiers (petite plongée perso autrefois, avant bonnes bios de Lerner-Shapira puis de V. Duclert). Ou encore ce commandant Henri Morel (mais lui, issu de Normale Sup, si rare, ça!), officier-écrivain remarquable, à la trajectoire bernanosienne d’un maurrassien devenu anti-franquiste et anti nazi (mort en déportation; voir la belle bio-thèse de Anne-Aurore Inquimbert).

    Là, c’est fort loin, certes, mais…A Saint-Cyr? A tout le moins, pour faire longue liaison avec les années 80 sinon au-delà, je pense à une trajectoire connue et légendaire, même s’il ne fut pas un écrivain militaire, mais dont les positions-engagements ont senti suffisamment le souffre pendant des lustres: Bollardière. Promo Saint-Cyr 1927, qu’il termina alors comme… sergent (pour indiscipline. Sic!) On connait la suite: héroïque, contestataire. Respect absolu. Simple question: disparu en 86, au moment où Guillaume découvrait les « silences » tenaces, tout en verticalité autoritaire à Saint-Cyr, et singulièrement autour de la non évocation des « évènements » ou de la « pacification » (Algérie), je me demande si (ou comment) sa mémoire fut alors saluée. Qui plus est, avec une promo alors « de la France Libre » (Bollardière était Compagnon de la Libération, après tout!) Au passage, autres pages très intéressantes du livre sur la rencontre avec les Anciens, et bien sûr, le volet anglais. Par ailleurs, outre l’anecdote Schoendorffer, celle sur Raoul Girardet, mémorable historien s’il en est (ses « écrits m’ont accompagné pendant longtemps) est des plus éloquentes pour cerner la scandaleuse persistance (alors) de comportements tout en étroitesse d’esprit (le mot est faible) que l’on croyait révolus (les « rats », re-sic!).
    Bon, il y aurait tant à dire encore sur maintes choses dignes d’être relevées au fil de ces courts mais très riches chapitres du livre de Guillaume. La galerie des situations en un temps et des espaces bien définis, les raids, stages et marches co, les épreuves des corps comme des esprits, les failles sous les carapaces, aussi… Ah, ces personnages! Figures de Georg/pardon,Angelin (si mémorable), ou de ce capitaine ex formateur assez détestable qui en vient à craquer dans les moiteurs amazoniennes, sans parler des camarades de promo assez bigarrés.
    Curieusement (mais peut-être pas si saugrenu que ça, en fait), la force d’évocation de Guillaume me paraît aussi inviter à une dimension cinématographique. Je sais bien que dans le relief lénifiant-héroïque, et sur commande maison, il y avait eu ce fameux film bien daté (et assez médiocre) « Trois de Saint-Cyr » (1938, tout un programme!). Etait-il toujours de mise sur les écrans de Coët en 85-86? Peut-être bien. Film binaire que sauve un brin, au moins, la première partie, quasi documentaire, sur la formation (à Saint-Cyr-l’Ecole évidemment), brimades comprises. Naturellement, les couleurs « à l’école de la Grande Muette » seraient tout autre, et tant mieux. Sans doute plus proche de « Full Metal Jacket », mais avec surtout, avec perspective élargie aux grands enjeux du temps présent, une tonalité intimiste et sensible, respectueuse et (sainement) critique. Dimension humaine, simple. Pas la moindre des gageures. En attendant, les pages du livre de Guillaume portent déjà bien loin. Et c’est un bonheur que de pouvoir les faire partager. Merci à lui, et encore bravo !
    C.B.

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    1. Merci Christian pour cet éloge remarquable de références multiples et « hétéroclites » !
      A l’heure où un conseiller du patron de l’armée de terre m’a appelé pour me conseiller de « ne pas trop parler de la Grande Muette » , je me réjouis que ce récit puisse alimenter une réflexion sur ce lien armée-nation et plus encore sur les conséquences du silence sur l’intelligence collective.
      Avec toute ma reconnaissance
      Guillaume

      J’aime

  5. Cher Guillaume Ancel, j’ai lu avec attention votre livre et même relu certains passages. Je l’ai apprécié à sa juste valeur et je l’ai recommandé à plusieurs de mes amis (je ne sais pas prêter de livres, pour toujours les garder sous la main, si besoin ou envie me prenait à l’improviste de vérifier un point). Vous y évoquez plusieurs films auxquels l’excellent et regretté Jacques Perrin a prêté son concours, en particulier L’honneur d’un capitaine  » de P. Schoendoerffer et « Crabe-tambour » du même.

    A mon tour de mettre en valeur un film dont j’avais publié appréciation sur le site dédié au cinéma « Sens Critique ». Il s’agit de Des hommes de Lucas Belvaux:

    « Les hommes allaient à la guerre, de gré ou de force. Les mères et les sœurs attendaient leur retour, quand eux-mêmes rêvaient de la quille.

    La guerre d’Algérie qui n’a pas voulu dire son nom, et qui, aujourd’hui encore se tait, est le dernier conflit auquel l’armée de conscription a été mêlée, en acteurs aux premières loges mais également en témoins du pire.

    Comment raconter à sa sœur la jeune fille d’un village des Aurès que des soldats, compagnons d’infortune, ont humiliée et forcée ? Comment raconter à sa mère le regard détourné de ce crime commis par celui qui est peut-être notre voisin ou notre cousin ? Comment raconter à un fils la rafale tirée sur un enfant du même âge que lui, parce qu’il voulait voler au secours de sa grande sœur ? Comment raconter à son père l’incendie des mechtas en représailles après  » la pacification  » de la population à coup de pistolets mitrailleurs ?

    Comment se souvenir d’Oradour sur Glane, en pleurer les martyrs et se taire sur ce qui s’est passé dans les Aurès ?

    « Il n’y a pas de mots pour raconter tout ça ! » dit Feu-de-bois.

    Des hommes de Lucas Belvaux raconte la guerre d’Algérie, l’après de la guerre et le retour des hommes au village et dans leurs familles. La guerre, n’importe laquelle, change les hommes, mais certaines d’entre elles ont davantage bouleversé les vies et toute la société jusque dans ses tréfonds. La guerre que la France a fait mener par ses appelés dans trois départements français est de celles-là. Une guerre qui n’était pas la leur, qui reposait sur les mensonges et les mystifications d’une politique coloniale à bout de souffle.

    Feu-de-bois/Gérard Depardieu était une braise incandescente dès son enfance. Son séjour en Algérie sous l’uniforme n’a fait qu’exacerber cette violence latente en lui. Le mal aimé n’aime pas, ni ses compatriotes, ni ses voisins et encore moins les arabes. De retour au pays, il cherche désespérément l’affection de sa sœur, mais se nourrit d’un racisme irrépressible qui lui fait continuer la guerre de là-bas contre une famille d’origine algérienne qui vit au village.

    Rabut/Jean Pierre Darroussin prête sa voix en off, pour raconter, lire les lettres envoyées à la maison par les uns et les autres. Feu-de-bois se barricade chez lui, son fusil de chasse chargé sur ses genoux à attendre l’aube ? Qu’on vienne l’apaiser ? Que quelqu’un vienne lui parler ? L’aider à rompre avec lui-même avant qu’il ne commette l’irréparable ?

    La guerre d’Algérie que quelques hypocrites patentés s’obstinaient à appeler pudiquement les évènements d’Algérie a laissé des blessures profondes chez ceux qui ont été contraints d’y participer, mais également dans leurs familles en raison du silence dans lequel beaucoup d’anciens soldats se sont murés. Il n’est pas un seul village de France qui n’ait eu des fils envoyés dans ces opérations dites de maintien de l’ordre, mission obscure dont les raisons profondes leur étaient cachées.

    La guerre d’Algérie a été une guerre de peurs et de haines avec surenchères et exactions incessantes, de part et d’autre. Elle a également été une guerre civile qui a vu les frères d’armes de la veille s’entretuer, des fils de l’Algérie poser des bombes dans des lieux publics, des soldats s’allier à des activistes pour commettre des attentats terroristes, des combattants de la Résistance contre l’occupant nazi devenir à leur tour des tortionnaires, un préfet de police de la République inviter les policiers à faire régner la terreur dans les rues de Paris, une armée de libération massacrer ses compatriotes pour avoir été trop français après que la France les ait abandonnés.

    La guerre d’Algérie a été ce moment de notre histoire où un officier général de notre armée, engagé dans le conflit s’est levé et a dit non. C’était le général Jacques Pâris de Bollardière. La guerre d’Algérie a été également le moment où une résistante rescapée de Ravensbrück s’est levée et s’est interposée entre ceux dont elle soutenait la cause mais désapprouvait le terrorisme aveugle et les siens qui pratiquaient le pire en martyrisant. Germaine Tillon et Jacques Pâris de Bollardière sont notre honneur, là où d’autres ont sombré dans le déshonneur et sont notre honte.

    Enfin des hommes et des femmes ont dû tout abandonner, jusqu’à leurs rêves avant de devenir jour après jour la proie de ceux qui ont fait de leurs peines puis de leur nostalgie leur fond de commerce nauséabond qu’ils s’efforcent encore de faire fructifier, des décennies après.

    Lucas Belvaux raconte la guerre en Algérie à hauteur des hommes qui y ont été engagés. Son film entre en résonance avec un ouvrage récemment paru aux éditions de la Découverte : « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? », Enquête sur un silence familial de Raphaëlle Branche. Son travail repose sur une collecte de témoignages et sur des sources inédites pour éclairer les raisons qui font que soixante années après la fin du conflit, beaucoup d’enfants, adultes aujourd’hui, ont toujours la conviction qu’il y a chez leurs pères une zone sensible, secrète, inavouable, à laquelle ils n’auront jamais accès. Il y a des silences qui pèsent plus fort que les mots et qui peuvent être plus mortifères qu’eux.

    Je suis trop vieux pour avoir eu un père appelé en Algérie mais trop jeune à l’époque pour y avoir été contraint moi-même ; cette guerre est pour moi de l’Histoire très contemporaine. Une relation, d’une décennie mon aîné, lui-même soldat à l’époque mais sauvé de justesse par les accords d’Evian a voulu m’instruire un jour en me montrant un livre-recueil de photographies des exactions commises par les combattants du FLN algérien sur des soldats français. L’ouvrage en question se gardait bien de reproduire des photographies de mechtas incendiées et de corps d’algériens suppliciés, il était à charge contre des compatriotes devenus les étrangers qu’ils n’avaient jamais cessé d’être aux yeux du colonisateur.

    Aujourd’hui, le cinéphile, amateur de bel ouvrage, ne peut que s’incliner devant la gravité du sujet traité et choisir de ne pas s’attarder sur les imperfections du film qui paraissent bien secondaires. Des hommes de Lucas Belvaux est une nouvelle pièce d’un dossier qui a été ouvert depuis quelque temps déjà. Une pièce à verser à l’enquête mémorielle que Benjamin Stora a mené à la demande du président Macron.

    Quels nouveaux Accords d’Evian pour aller de l’avant, ensemble, avec nos voisins de l’autre rive de la Méditerranée ? »

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    1. Merci Freddy, le texte est magnifique, le silence n’est plus alors que pesanteur…
      J’ai essayé d’évoquer les traces de ces horreurs de la guerre d’Algerie à travers le silence absolu de nos instructeurs et cette conférence de Pierre Schoendorfer qui contournait ces fantômes. C’est à ce moment précis que j’ai décidé que ma génération n’agirait pas ainsi, qu’il nous faudrait parler, j’ignorais simplement que j’écrirai.

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  6. Bonjour Mesdames et Messieurs Mon commentaire ne fait pas suite à la lecture du livre, j’espère qu’une version numérisée sera disponible. Je suis passée par Coetquidan en 1976 comme Eor. J’ai ensuite continué des études d’ingénieur complétée par l’Iae de Paris. Le thème abordé par Guillaume Ancel me touche évidemment car je crois que l’on a tous à des degrés divers étaient marqué à vie par notre passage à l’armée. Il est clair que l’on n’apprend pas l’esprit critique à Saint Cyr , mais pas beaucoup plus en école d’ingénieur ni en entreprise me semble t il?. Les grands corps d’état , ainsi que l’église par exemple cultivent aussi le silence. Chaque groupe humain aussi, d’une certaine manière, cherche à laver son linge sale en famille. Cette habitude du silence met, me semble t il en évidence quelques aspects français assez robustes : l’esprit de caste et le conservatisme social. Mon esprit d’initiative n’a néanmoins pas été brimé à l’armée, ce qui était déjà notable pour un jeune de vingt ans. En régiment , j’ai pu discuter avec les plus vieux , anciens de l’Algerie et d’Indochine , de leurs expériences de combats mais aussi de la façon dont ils avaient vécus ces guerres perdues. J’ai été plus choqué par les nazillons, les racistes et les imbeciles d’extrême droite que j’ai croisés à l’armée. Ils sont encore nombreux à s’agiter sur des sites comme place d’armes. Je suis également et depuis longtemps, plus soucieux, pour l’armée comme pour notre pays, de la quasi disparition du réflexe de défense de nos valeurs et principes de vie. La guerre d’Ukraine doit, je l’espère, amorcer un sursaut. Un dernier point de réflexion est celui de notre manque de clairvoyance concernant les hautes technologie. L’armée comme nos écoles d’ingénieurs ont du mal à allier tous les maillons de la chaîne des technologies à mettre en œuvre pour être performant. La haute technologie est nécessaire mais pas suffisante. Des armes plus simples , moins chères et faciles à fabriquer , comme les drones et les missiles à l’épaule du fantassin ont été oubliés. C’est un point faible français, nous ne nous ce passionnons pas pour la production industrielle moyenne gamme. Et enfin je suis bien sûr pour le retour du service militaire pour les garçons comme pour les filles.

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  7. Un texte de Michel Walter, savoir dire non

     l’appui de la recommandation « Ne pas se taire », je fais part ici de deux épisodes de ma carrière professionnelle dans une grande multinationale américaine leader sur son marché.

    Les entreprises de cette dimension  sont naturellement fort différentes de l’Armée mais elles présentent cependant avec elle quelques similarités.  Dans ces grands monstres industriels froids, on adopte souvent un vocabulaire guerrier et on y distribue promotions et grades. On motive le personnel par de multiples références au  sport, domaine par excellence de l’effort et de la camaraderie. Mais il est un point où la ressemblance est presque parfaite, la présence d’une hiérarchie toute-puissante

    Au début des années 1970, il me fut demandé, comme à l’ensemble du personnel de cette grande entreprise, de signer un document attestant que j’avais bien pris connaissance des règles de sa politique commerciale. On nous expliqua alors qu’un client s’était plaint auprès de notre Direction générale d’avoir été victime d’une concurrence déloyale. À son plus haut niveau, la Compagnie tenait essentiellement à pouvoir, face à d’éventuelles accusations ultérieures, produire un fichier dans lequel se trouveraient consignées les déclarations de tous les employés, attestant qu’ils s’étaient engagés à respecter cette politique. 

    Avant de me plier à cette demande, je m’interrogeai sur sa légalité. Je me constatais face à deux situations :

    – L’engagement en question était déjà inclus dans notre contrat de travail. Il était donc inutile de le prendre à nouveau

    – Cet engagement n’en faisait pas partie. Comme il ne nous était pas proposé dans le cadre d’un avenant  à notre contrat de travail, on ne pouvait nous l’imposer.

    Jeune ingénieur, je ne me sentais pas en position de refuser cet engagement. Conscient de la pression exercée sur mon supérieur, je préférais ne pas compromettre les relations cordiales que j’entretenais avec lui. Je m’abstins donc d’exprimer mon opposition et signai le document présenté. Cocassement, il s’agissait en l’espèce d’une carte perforée destinée à rejoindre un énorme fichier de cartes semblables ! Je n’avais pas encore compris qu’il est des circonstance où la seule attitude responsable est de savoir dire non.

    Vingt ans après, cette entreprise vit son hégémonie attaquée. Pour la sauver du pire, on fit alors appel à un patron réputé pour ses qualités managériales et qui dirigeait, dans un secteur industriel radicalement différent, une autre multinationale. Il entreprit de redresser rapidement la situation et, connu pour sa brutalité, résolut de « sortir les salariés de leur domaine de confort et de les  faire vivre dans l’incertitude ». Il exigea alors de tous qu’ils s’engagent à atteindre des objectifs personnels que chacun aurait lui-même défini à chaque  début d’exercice. L’employé devenait ainsi directement responsable de ses résultats commerciaux et s’exposait  à être sanctionné en cas d’échec. Il m’apparut alors que tout salarié menacé de licenciement se trouvait dans une position très vulnérable. S’il venait à contester la mesure qui le frappait, il était facile de lui opposer que c’était lui-même qui avait défini ses objectifs. Instruit par des expériences précédentes, je m’abstins donc de me plier à cette contrainte. Chaque nouvelle année, je développais auprès de mes supérieurs l’argumentation suivante : simple homme de rang, je n’avais aucune visibilité sur les produits en cours de développement. J’ignorais donc s’ils pouvaient être proposés avec succès à mes clients. Par contre, mes supérieurs étaient eux en possession d’informations sur ce qui se trouvait encore dans les cartons. Ils étaient donc en mesure de juger de leur adéquation à notre marché. Je m’en remettais donc à eux pour définir mes objectifs et leur renouvelais ma pleine et entière confiance.

    Jusqu’à ce que cette disposition soit abrogée, je ne me suis donc jamais défini d’objectifs commerciaux personnelsmais me suis appliqué à atteindre les cibles déterminées par de plus qualifiés que moi. Naturellement, cette attitude a sévèrement affecté le déroulement de ma carrière mais, comme elle approchait de son terme,  je m’en suis accommodé. En dehors des freins mis à une éventuelle progression, je n’ai jamais été sanctionné. J’ai retiré de cette fin de carrière un sentiment d’inaccompli mais j’ai aussi éprouvé  une modeste fierté, celle de n’avoir  pas cédé et d’avoir su dire non.

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  8. Trop d’entre soi limite les compétences et les perspectives et c’est bien malheureux que ça ne soit pas compris. Certains civils peuvent très bien s’adapter à des situations de combat tandis que des militaires pure souches peuvent se planter dans les grandes largeurs l’exemple de l’Ukraine et de ses bataillons de territoriaux l’a abondamment prouvé.

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  9. CASTILLON   Jean-François,  Médecin S.P. en retraite

    Mis à part mon Service National, je n’avais pas de connaissance très approfondie de l’institution militaire. J’ai donc abordé l’ouvrage de Guillaume ANCEL sur Saint-Cyr avec une certaine suspicion. J’y ai découvert une analyse objective, humaine, nullement revendicatrice mais sans complaisance. Une réflexion étayée par un vécu personnel étonnant et passionnant. Ceci rejoignant mon expérience professionnelle, j’ai  parfaitement conscience de la nécessité citoyenne d’une parole libre. Texte exigeant et réconfortant. 

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  10. cher Guillaume

    commentaires pour nourrir le débat

    J’ai adoré ce livre qui dépeint une formidable école avec un esprit critique éclairé.
    Guillaume y fustige l’absence de formation au débat – donc à l’esprit critique – des officiers de St Cyr ; au contraire, son livre le suscite. Il est à la fois pour moi, l’un de ses prédécesseurs dans cette belle école, jubilatoire et interpellant. Jubilatoire en ce qu’il me replonge dans 3 années que j’estime fondatrices, judicieusement questionnant sur quelques questions de fond :

    1/ à quel objet final répondent l’ensemble et chacune des composantes de la formation du futur officier ? Qui doit-il être ou plus exactement qui veut-on (pouvoir politique et hiérarchie militaire) qu’il soit ? Des soldats de plomb comme j’ai pu l’entendre de la part de généraux « commandeurs », des exécutants serviles des basses œuvres, des soumis ….? Leur formation répond vraisemblablement à cet objectif mal connu.

    2/ où est le soldat-citoyen (ou le citoyen-soldat) malgré la suspension du service national, dans notre armée devenue un corps expéditionnaire ? Rappelons que les soldats ont été les derniers citoyens à acquérir le droit de vote (oui, oui, après les femmes) ; ils n’ont pas le droit d’être syndiqués ; au débat leur est opposé le devoir de réserve, le confidentiel défense, la justice parfois. On peu comprendre qu’ab initio, durant leur formation, ils ne soient pas vraiment incités à débattre.

    3/ a contrario, que serait une armée syndiquée et débattant à l’envie du bien fondé de telle ou telle décision, une armée ouverte au droit de retrait, susceptible de voir traduits en justice ses cadres pour mise en danger de la vie d’autrui ou pour meurtre (ce dernier motif m’ayant valu un procès en cours d’assises).

    4/ M. Ramanantsoa, brillant directeur d’HEC, lors d’un témoignage devant d’anciens Saint-Cyriens, avouait jalouser la composante ‘humanités’ (histoire, géographie, géopolitique, philosophie) de la formation des saint-Cyriens ; pour lui, elle était le gage de leur culture, source de leur esprit de décision. Il s’enorgueillissait d’avoir signé un partenariat pour que ses élèves réalisent un stage d’une semaine à Coëtquidan, ce qui leur attribuerait, selon ses mots, un label de manager confirmé. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander quel était le niveau managérial lorsqu’on passait 3 ans à Coëtquidan. Après sa surprise et un sourire, il avouait la totale expertise des officiers saint-cyrien dans ce domaine du commandement.

    5/ Sur le bahutage que Guillaume fustige, peut-être symbolise-t-il la dualité qu’il relève : subi en première année, il peut apparaitre comme une épreuve de soumission et d’acceptation aveugle à une autorité (en cela, je valide sa position) – il est indubitablement un rite de passage, d’acceptation d’un état, d’entrée dans une communauté. Comme bahuteur en seconde année, il constitue un test de personnalité du futur chef : qu’est-ce qu’on est personnellement capable de faire subir ? Quel peut être notre comportement individuel dans une situation d’autorité ‘sans limites’ (avant d’avoir la vie de nos hommes entre nos mains de donneur d’ordres sur des théâtres de guerre) ? Terrible dualité exécutant / commandant, discipline / autorité. Eventuellement, et je retiens cette composante, ce rite apporte à l’école une âme, une filiation importante. Toutes les écoles qui l’ont abandonnée sont devenues mornes, désincarnées, sans personnalité…. répondant au seul classement de Shangaï … La seule question qui vaille si l’on souscrit à ces justifications serait : est-ce bien fait – comment le faire ?

    Bravo Guillaume pour cette liberté de pensée – et pour ce bel ouvrage sans fard que je recommande.

    Eric

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    1. Sous la réserve d’avoir bien compris ce que vous dites, je vous fais part d’une certaine surprise.

      La fonction que vous semblez attribuer au « bahutage », à savoir celle d’un double rite de passage de la vie civile à la vie militaire, puis de la soumission à une autorité à l’exercice de cette autorité sur des subordonnées, m’interpelle et m’inquiète même.

      Le « bahutage » de l ‘école militaire ressemble, en plus dur (et c’est un euphémisme), au « bizutage » de certaines grandes écoles. A la différence que ces dernières ne lui attribuent aucune vertu formatrice, mais plutôt une pratique de « happening » plus ou moins douteuse et souvent même de mauvais goût, pendant lequel s’épanouissent généralement quelques individus qui entretiennent avec le respect d’autrui un lien très relâché…

      Je ne suis pas militaire, je ne suis qu’un de ces « pékins » contraints autrefois, à leur corps défendant, à traîner leur ennui dans une cour de caserne et sans être jamais,à fiortiori, en situation de recevoir un ordre avec enjeu sur la vie et encore moins d’en donner. De mon ennui de l’époque, j’ai retiré une solide confirmation de mon anti-militarisme, tout à fait dans l’air du temps, mais qu’un jeune capitaine ouvert à la discussion, sans jamais rien céder sur le fond, a sérieusement ébranlé. Ce dont je me suis très rapidement félicité tout en continuant à poser un regard lucide et exigeant sur les questions de défense dont « la grande muette » est la pièce maîtresse.

      N’y a-t-il donc pas d’autres moyens pour que des jeunes gens, et désormais jeunes femmes, entament une vie nouvelle de cette nature et intègrent les contraintes de la discipline à double sens qui est celle de l’armée ? Est-il absolument nécessaire de passer sous les fourches caudines de quelques personnages qui ne mesurent sans doute pas toujours la portée de leurs actes, en oubliant même leurs enjeux véritables ?

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  11. Bonjour Guillaume

    Un petit retour sur le livre. J’ai beaucoup appris sur la formation à Saint-Cyr, et la culture qui en découle. Bravo ! Avec une remarquable liberté de ton. Je retiens en particulier les 4 pages « Commander ou obéir », que je vais donner à lire, parmi d’autres textes d’auteurs en leadership, aux étudiants du Diplôme universitaire Intelligence collective (université Cergy-Paris) dans lequel j’interviens. Je serai intéressé par ton expérience du management aujourd’hui en entreprise ; on en reparle ! D’ailleurs ce sera peut être l’un de tes prochains livres !

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  12. Etant fille, petite-fille et arrière petite-fille des deux côtés, je suis très surprise des « bahutages » et de cette grande muette ! Les militaires sont au plus près du terrain et donc le connaissent bien. Certes, certaines paroles sont déplacées mais il faudrait que la politique évolue pour que la réalité du terrain apparaisse. Merci Guillaume pour ce livre tout à fait intéressant !

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  13. Mille mercis pour l’écriture de ce livre tout à fait passionnant !

    Etant fille, petite-fille et arrière petite-fille d’officiers, des deux côtés, je suis très surprise de cet enseignement de la « grande muette » ! Les expériences de mes ancêtres m’ont montré que le silence n’était pas toujours de mise même si des sanctions pouvaient être mises en oeuvre.

    Comme des commentaires évoquent les « bahutages » pas toujours très favorables à l’école, j’espère que les mentalités vont évoluer et que, même si on n’est pas obligé de crier sur tous les toits, on peut tout de même dire ce qui se passe, les officiers étant sur le terrain, au contact de la vérité !

    Encore merci pour ce livre tout à fait intéressant !

    Emmanuelle Dethomas-Guignot

    dethomas.emma@gmail.com

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  14. J’ai lu cet ouvrage avec beaucoup d’attention, ayant appartenu (il y a quelques décennies maintenant !) à L’EMIA. M. ANCEL narre avec beaucoup de justesse, factuellement, ce que pouvait être la vie d’un élève-officier de l’ESM. Je me souviens notamment des féminines de ma promotion parallèle : Elles vivaient un calvaire de 3 ans et attendaient d’embrasser leurs fonctions de chef de section en régiment avec impatience. Depuis ce temps les choses ont évolué, heureusement, mais le conservatisme coëtquidanais dans son ensemble, demeure bien présent. Savant mélange de culture des traditions, parfois poussé à l’extrême (qui passe souvent pour de l’incompréhension pour le sujet non averti), j’ai pour ma part dès mon entrée ressenti l’aspect « microcosme » fermé de ce monde qui m’était totalement inconnu, n’étant pas passé par les fameuses corniches. Il apparaît intéressant de noter que d’autres grandes écoles militaires sont plus ouvertes et pédagogiquement beaucoup plus innovantes. La culture du ‘ça a toujours été comme cela et cela le restera’, sous prétexte de la rusticité et du poids de l’histoire, est solidement attachée. Pour rester sur une note positive, j’ai pu croiser des camarades humainement très attachants, brillants, avec lesquels je suis toujours en contact. Félicitations en tout cas à M. ANCEL pour ce récit, qui ne fut sans doute pas facile à écrire.

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  15. Bonjour,

    Merci infiniment pour ce témoignage tout aussi intéressant, instructif, précieux et indispensable que les précédents, respectueux des hommes, mais sans concessions sur l’institution. J’ai apprécié le style toujours aussi agréable, affûté et acéré. Il y a quelques anecdotes qui m’ont fait sourire, voire même rire. Pour en revenir à l’objet principal de ce livre, la culture du silence, je vous rejoins complètement. Je pense que c’est quelque chose de dangereux à terme et pas seulement pour l’armée et les opérations militaires, mais pour toute la société en générale.

    Bonne continuation

    Cécile

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  16. Bonjour Guillaume,

    Je n’ai pas pu être présent pour les dédicaces de Saint Cyr , à l’ école de la Grande Muette mais j’ai assisté à ta présentation et surtout j’ai lu avec plaisir l’ouvrage depuis cette date. Je te livre mes impressions.

    1.Le sujet de Saint Cyr et du silence est d’actualité pour plusieurs raisons bien exposées : retour de la guerre en Europe, désarmement intellectuel et matériel des populations et des armées européennes, cécité du personnel politique et de tous en dehors de quelques rares esprits éclairés, et encore…

    2. La longue préface de Stéphane Audoin-Rouzeau est précieuse et valide fortement ton témoignage. Elle vide de son contenu le procès de « règlements de comptes » qui te sera fait, car son signataire est crédible dans le domaine militaire.

    3. Le livre est à la fois agréable et très intéressant à lire : phrases courtes, style alerte, personnages bien campés, nombreuses illustrations, rythme soutenu. On a envie d’aller jusqu’ à la fin.

    4. Le tableau est plutôt acidulé, mais le tout parait très réaliste et d’une subjectivité tout à fait acceptable. Cela m’a permis de découvrir l’univers de Saint Cyr que je ne connaissais absolument pas. Tout au plus avais-je croisé à l’X, lors des séquences militaires, deux camarades qui avaient fait leur prépa au Prytanée de la Flèche, et, au vu de leurs comportements, j’en avais retiré l’impression que l’ambiance devait y être rude.

    5. Sur le silence qui règne dans la Grande Muette, les citations et tes développements sont riches en enseignements. Son caractère mortifère est évident ! Mais l’omerta ne règne pas seulement à Saint Cyr, ou dans les pays autocratiques, je crois que le mal est plus largement répandu y compris dans nos démocraties. L’origine est à rechercher dans l’éducation reçue, j’en suis convaincu. Souvent ce sont les crises qui servent de révélateur. 

    5. L’autre aspect qui m’a le plus choqué et déçu dans la formation de haut niveau qui est donnée est cette volonté des encadrants d’humilier les élèves, très présente tout au long du cursus (1). A un degré moindre le mépris pour les enseignements généraux et les « rats » qui les dispensent m’a aussi étonné, mais peut être est ce plus un effet de groupe et de mode qu’un phénomène de fond. 

    6. Je souhaite et je crois que ton ouvrage aura du succès.

    Permettra-t-il d’ouvrir un débat sur Saint Cyr, son rôle et la formation délivrée ? Ce serait une conséquence fort utile pour les promotions à venir et pour l’armée de terre, car tu sais comme moi combien l’exemplarité des chefs est capitale dans toute organisation. 

    Amicalement

    Roland Bonnepart

    (1) Effet de contraste. Dans un essai de 2 universitaires canadiens  paru en 2023, consacré à un haut dirigeant,  ce dernier  évoque un ressenti de ses 2 années passées au MIT à sa sortie de l’ X. Je résume : « nos professeurs étaient pour nombre d’entre eux des prix NOBEL et pourtant se considéraient au même niveau que nous, qui étions leurs étudiants. Ils affirmaient « qu’ ils formaient leurs successeurs »  et la proximité que nous avions avec eux était sans aucune mesure avec ce que nous vivions en France ».

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  17. Bonjour Monsieur l’Officier,

    Heureusement que Twitter m’a fait découvrir ce livre.

    Jeune médecin, première Affectation à Coëtquidan de 1989 à 1993, infirmerie Duchesne, celle au milieu de d’école en charge du 3e Bat, des EOR (futur 4e Bat), des appelés (futur 64e RI) et des sous-officiers, je fus un spectateur externe de ce que mon homonyme Guillaume décrit de l’intérieur. Quelques remplacements du médecin de l’infirmerie des élèves, tenue par un camarade que je n’appréciais pas mais bon urgentiste ; Des relations à oublier avec le médecin chef des Écoles.

    Donc un peu loin de St Cyr (hormis le 3e Bat), mais souvent présent en soutien, Penthièvre, CNEC, zones de saut, marche co, j’ai loupé la Guyane pour cause de désignation ministérielle au jury de concours EMIA et un départ à Abéché (Tchad).

    Mes réflexions rejoignent pour beaucoup celles de Guillaume Ancel : mais pourquoi est-ce lui qui se permet de parler? J’émets l’hypothèse que le fait qu’il ne soit pas passé par une préparation ou corniche militaire a son importance. J’ai été frappé par le fait que les élèves était « préformatés » par leur passage au Prytanée, Aix, Saint-Cyr l’École etc… quand bien même l’école essaye des modifications, les élèves ont leur idée préconçue et peu dans l’air du changement. J’ai vu une promotion se liguer pour dégoûter les premières femmes admises dans l’école.

    Les nouvelles voies de recrutement changent-elle la donne, ou permettent-elle à ceux qui ont raté la voie des prépa, de récupérer le cursus? Je pense qu’un passage en préparation civile, et la suppression de l’entre-soit des collèges « préparatoires » apporterait plus de changement et de diversité.

    Je rejoins M. Ancel dans sa détestation du « bahutage »; déjà j’avais remarqué dans mon école de formation que pendant les « brimades », ce sont ceux qui avaient moins assuré qui se montraient les plus féroces une fois devenus « anciens ». On nous a « rebâché » l’argument de la cohésion que créeraient ces manifestations; il se trouve que j’ai redoublé dans mes longues études, que certaines années les brimades avaient été interdites: je n’ai pas remarqué de différence notable dans la cohésions de promotions « brimées » ou pas. De plus à Coëtquidan, être appelé de nuit pour recoudre des plaies causées par ces activités « encadrées » par des incompétents, était pour le moins irritant; je ne parle pas du drame arrivé plus tard.

    Autre réflexion, les « voraces » sont choisis, c’est un moment important pour leur future carrière, ils se moulent à cette ambiance, même si dans la longueur d’une nuit au PC d’une manœuvre, on peut découvrir des personnes beaucoup moins superficielles ; par contre il y a de vrais abrutis, l’infirmerie est un bon poste d’observation par les dégâts qu’ils causes sur la santé de leurs « hommes » . Par contre j’étais surpris par les comportements que je qualifierai « de cour »; si le Général pratique l’équitation, nombre de cadres retrouve un intérêt pour « la basanne », si le nouveau général pratique plus le footing, nombre de cadres feront le parcours de course à pied, plus volontiers en sens inverse, espérant être ainsi remarqué. De même certains s’intéressent à savoir si les autorités fréquentent plus la chapelle catholique  » des élèves », où celle  » des familles ». D’autres iront fréquenter une messe « tradi » en dehors du camps militaire, où les liens familiaux peuvent être forts. (Guillaume a oublié de citer la présence sur le camp d’un aumônier protestant, fort courtois, mais je ne sais pas trop ce qu’il faisait.)

    Guillaume Ancel regrette l’absence de formation sociologique, moi j’ai regretté l’absence de formation et soutien psychologique pour les élèves, je m’en étais ouvert au Général commandant les Écoles en quittant cette affectation. (Gal Forterre). Souvenirs d’élèves consultants pour des malaises improbables, à répétition, possiblement psychogènes (et je n’avais jamais entendu parlé de la « simulation » de l’hyperthermie d’effort, dit « coup de chaleur!). Quelques élèves pouvaient avoir un caractère ou une personnalité « limite », mais jamais leur aptitude à cette carrière discutée ou interrogée, au moins sur le plan médical (donc psychopathologique). Certes était invité chaque année le médecin général Louis Crocq, spécialiste en psychologie qui savait bien passer devant cet auditoire. Son successeur n’avait pas cette qualité et cette unique sensibilisation au « traumatisme psychique » fut supprimée. Plus tard la visite de mon poste de secours par le général au Kosovo m’avait rappelé cette absence de connaissance ou de sélection psychologique de la haute hiérarchie militaire (grande question de la psychopathologie du commandement : faut-il être « équilibré » pour être un bon chef militaire?).

    Donc au total je rejoins les analyses de Guillaume Ancel sauf sur un sujet: je comprends bien qu’être obligé à monter un cheval récalcitrant peut être une épreuve pénible qui laisse de mauvais souvenirs. J’ai moi trouvé à la section équestre un lieu où je pouvais rencontrer et m’entrainer tant avec des cyrards que des élèves de l’EMIA (n’étant pas considéré comme un « vorace »), les accompagner pour des concours hippiques, je montais aussi avec la reprise des officiers, j’acquis un cheval qui me permis de profiter de la forêt de Paimpont où j’habitais. Je rend hommage au Colonel Marlin (qui avait servi en Algérie) et à sa famille pour leur accueil, simple et bienveillant, à l’ADC (puis Major je crois) Alain Lhuissier pour son enseignement (derrière son caractère taiseux) et à son épouse, et tous les « cavaliers de manège ». C’est certainement cette activité qui m’a fait supporter l’isolement dans les landes bretonnes, sans empiéter sur les activités mondaines du « club A » auquel bien évidement je n’appartenais pas.

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  18. bonjour,

    j’ai lu en quelques heures l’ouvrage de Guillaume Ancel sur sa formation à St -Cyr, ce fut intéressant et attachant de découvrir sa vision et son parcours au sein de cette prestigieuse école. Je vous recommande la lecture de ce livre passionnant et plein d’humanité.

    Laurent Espinasse

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  19. passionnant. Je tiens à compléter mon commentaire précédent au sujet de la culture du silence et qui vous tient à cœur. Cette expression m’est déjà venue à l’esprit à propos de l’attitude de l’encadrement d’un sous-quartier situé à 1100 mètres d’altitude dans l’Ouarsenis algérien, dont faisait partie mon père, ancien sous-officier de carrière dans l’artillerie de marine. Il m’avait en effet parlé du refus par l’encadrement de suivre son capitaine dans la sédition des généraux d’Alger au moment du putsch du 21 avril 1961. 

    Or, l’encadrement a refusé de le dénoncer à la commission d’enquête dont la mission était de recueillir dans toutes les formations de l’armée, « des déclarations de renseignements pouvant conduire à la découverte des gradés qui se sont rendus coupables de fautes pendant l’insurrection en Algérie ». Ce silence, je l’attribuerais à cette fraternité dans le combat dont bénéficiait le capitaine et que montre le journal de marche du groupe d’artillerie où les artilleurs étaient transformés en fantassin.

    « Ces derniers s’attachent bien moins aux idées générales, qu’aux chefs qui les commandent », affirmait pourtant une note le chef de corps au sujet du comportement des sous-officiers au moment du putsch. « Ils nous font le coup de Giraud contre de Gaulle ». Mon père m’a confié plus tard quelle était sa réaction au moment du putsch. Son livret militaire mentionne qu’il avait déserté son unité giraudiste pour rejoindre les FFL gaullistes, jugés indésirables et relégués en Tripolitaine par le général Giraud avec le soutien des Américains.

    En 1940, Marc Bloch jugeait sévèrement le manque de goût à la lecture des officiers de réserve et d’active. Chez les nombreux officiers d’active ou de réserve fréquentés au cours des deux guerres, « parmi ceux qui lisaient un peu et étaient déjà rares, je n’en ai presque vu aucun tenir entre ses mains un ouvrage propre à mieux lui faire comprendre, fût-ce par le biais du passé, le temps présent ».

    Dans les mémoires de guerre, Charles de Gaulle rend responsable l’instabilité chronique de la Troisième République,  92 gouvernements en 70 ans ! du conservatisme et du conformisme de l’armée: « En matière de défense nationale, de telles conditions interdisaient aux responsables cet ensemble de desseins continus, de décisions mûries, de mesures menées à leur terme, qu’on appelle une politique. C’est pourquoi, le corps militaire, auquel l’Etat ne donnait d’impulsions que saccadées et contradictoires, s’enfermait dans son conformisme. L’armée se figeait dans les conceptions qui avaient été en vigueur avant la fin de la dernière guerre. »

    D’autres obstacles existent selon moi pour surmonter cette culture du silence. Il y a celui du milieu militaire mais encore l’influence de la société dans laquelle ils vivent.  Pour Karl Marlantes, vétéran du Vietnam et ancien officier des Marines, « une bonne partie de la société considère que c’est politiquement incorrect de s’intéresser à la chose militaire, ce sujet restant de ce fait un quasi-mystère pour la plupart des gens »( Partir à la guerre)

    De plus, Marc Bloch rappelait dans l’Etrange défaite que, parmi les officiers d’active et de réserve qu’il avait rencontrés dans les deux guerres, « ceux qui lisaient un peu étaient déjà rares et je n’en ai presque vu aucun tenir entre ses mains un ouvrage propre à mieux lui faire comprendre, fût-ce par le biais du passé, le temps présent »

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  20. Bonjour M. Ancel,, je viens de finir la lecture de votre dernier livre que j’ai trouvé passionnant. Je tiens à compléter mon commentaire précédent au sujet de la culture du silence et qui vous tient à coeur. Cette expression m’est déjà venue à l’esprit à propos de l’attitude de l’encadrement d’un sous quartier situé à 1100 mètres d’altitude dans l’Ouarsenis, dont faisait partie mon père , sous ancien sous officier de carrière dans l’artillerie de marine. Il m’avait en effet parlé du refus de suivre son capitaine dans la sédition des généraux d’Alger au moment du putsch du 21 avril. 

    Or, l’encadrement a refusé de le dénoncer à la commission d’enquête dont la mission était de recueillir dans toutes les formations de l’armée, des déclarations de renseignements pouvant conduire à la découverte des gradés qui se sont rendus coupables de fautes pendant l’insurrection en Algérie. Cette « culture du silence », je l’explique jusqu’à présent à cette fraternité dans le combat dont bénéficiait le capitaine, et que montre bien le journal de marche de ce corps d’artillerie

    « Ces derniers s’attachent bien moins aux idées générales, qu’aux chefs qui les commandent » jugeait pourtant une note le chef de corps au sujet du comportement des sous-officiers pendant cette période.  »Ils nous font le coup de Giraud contre de Gaulle » . Mon père m’a confié sa réaction au moment du putsch. Lui, avait déserté son unité giraudiste c’est dans son livret militaire, pour rejoindre les FFL, jugés indésirables et relégués en Tripolitaine.

    En 1940, Marc Bloch jugeait sévèrement le manque de goût à la lecture des officiers de réserve et d’active. Chez les nombreux officiers d’active ou de réserve fréquentés au cours des deux guerres, « parmi ceux qui lisaient un peu et étaient déjà rares, je n’en ai presque vu aucun tenir entre ses mains un ouvrage propre à mieux lui faire comprendre, fût-ce par le biais du passé, le temps présent ».

    Dans les mémoires de guerre, Charles de Gaulle rend responsable l’instabilité chronique de la Troisième République,  92 gouvernements en 70 ans ! du conservatisme et du conformisme de l’armée:

    « En matière de défense nationale, de telles conditions interdisaient aux responsables cet ensemble de desseins continus, de décisions mûries, de mesures menées à leur terme, qu’on appelle une politique. C’est pourquoi, le corps militaire, auquel l’Etat ne donnait d’impulsions que saccadées et contradictoires, s’enfermait dans son conformisme. L’armée se figeait  dans les conceptions qui avaient été en vigueur avant la fin de la dernière guerre. »

    Un autre obstacle existe pour surmonter cette culture militaire du silence: l’influence de la société dans laquelle ils vivent,: Pour Karl Marlantes, un vétéran du Vietnam et ancien officier des Marines: « Une bonne partie de la société considère que c’est politiquement incorrect de s’intéresser à la chose militaire, ce sujet restant de ce fait un quasi mystère pour la plupart des gens »( Partir à la guerre)

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    1. N’ayant pas fréquenté l’ESM mais la même école d’active que Roland (avec quelques promotions d’écart) où l’on fait aussi l’éloge des sciences, puis celle de réserve où l’on préconise l’instruction, j’espère que les temps que vous évoquez sont anciens et révolus, même si lors de mes classes on disait encore que « chercher à comprendre, c’est commencer à désobéir », puis heureusement dans mon autre école qu’il y a toujours plusieurs solutions à un exercice d’EM, dont celle de l’EdG (on n’en précisait pas le S).
      Je crois que le devoir de réserve qui s’impose à tout cadre en exercice (et surtout dans ce domaine où l’on aspire à faire une carrière complète, quand dans le privé on peut changer plus souvent d’employeur) peut justifier cette culture dont s’affranchissent tout de même les retraités (d’active ou de réserve) plus ouverts, dont c’est encore probablement la mission de favoriser le lien armée-nation et que l’on peut écouter sur certains plateaux, à l’instar de Guillaume Ancel ou de Pierre Servent.
      Vous citez un autre ancien de promotion comme Marc Bloch mais qui, si vous en connaissez la formation, l’œuvre et même la généalogie, pouvait difficilement se satisfaire de demi-mesures de ses camarades de combat, eu égard à ses très grandes érudition et culture et en premier lieu de ses fonctions d’enseignant.
      Pour aller dans son sens, j’avoue cependant ne pas encore avoir lu cet ouvrage de Guillaume Ancel, contrairement aux précédents, mais j’imagine aussi qu’il y a un temps pour tout et qu’à l’âge de fréquenter l’ESM, si on doit surtout écouter et obéir, ce n’est qu’ensuite pour les plus qualifiés qu’il faut s’exprimer et commander, en particulier à l’ESG, voire même jusqu’au plus haut rang du CEMA quand on exprime des réserves prémonitoires sur un budget…

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  21. Bonjour Colonel , 
    Je viens de terminer votre livre sur Saint-Cyr. Je l’ai commandé dès que j’en ai entendu parlé vendredi et reçu hier . Je l’ai lu d’une traite tellement c’était passionnant . J’ai fait mes EOR à Coët , promotion Capitaine Krotoff 85/12 . C’est avec émotion au début du livre que j’ai revécu cette période avec ses termes , ses lieux , ses traditions …
    J’ai apprécié aussi votre réflexion sur la formation et l’organisation militaire . 
    Ce passage à Coët a marqué ma vie . C’était très dur , mon père est décédé à Noël lors de ma première perm et je n’ai rien dit en revenant . J’ai craqué lors d’une répétition d’OS mi-janvier , je n’arrivais plus à garder le pas et j’étais homme de base …
    Le Colonel qui supervisait a demandé au Capitaine de me sortir des rangs . Je suis retourné rendre mon sabre à l’armurerie avec la décision de faire mon sac et de partir même si j’aimais cette formation . C’est là que j’ai compris vraiment la force d’un groupe et qu’il faut savoir tenir même quand c’est très dur . Quand les camarades sont revenus dans la chambre , j’étais en pleurs , j’ai expliqué ce qui m’arrivais , ils m’ont consolé , ça m’a fait tellement de bien . Le Colonel m’a convoqué dans son bureau avec mon Capitaine chef de section et m’a dit qu’il m’accordait une semaine de permission pour me reposer et souhaitait que je revienne pour terminer la formation . Ce que j’ai fait avec la cohésion de tous . 
    Je vous remercie pour votre livre ! 
    Frédéric Donne

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  22. Bonjour Guillaume,

    Je t’ai lu pratiquement d’une seule traite avec un très grand plaisir. La lecture est très fluide, l’attention est toujours captivée car tu vas à l’essentiel tu croques toujours avec malice!!! Et tu restes toujours bienveillant.
    Maintenant je ne verrai plus un Saint Cyriens de la même façon.
    J’ai mille interrogations mais j’ai beaucoup apprécié ton intervention car elle éclaire tes écrits.
    À te lire, des débats s’invitent souvent naturellement comme : commander, obéir, mais aussi faire obéir, désobéir, faire désobéir. Les entreprises sont concernés mais aussi les politiques, les syndicats donc les organisations humaines. Décoder les mécanismes des dictateurs des extrémistes des terroristes me semble capital mais nous n’avons pas grand chose pour analyser et surtout pas de débats pour décortiquer ces mécanismes.
    Les élections européennes auraient besoin de tous ces éclairages car tout le monde est perdu.

    À te lire assurément sur ton blog.

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  23. Je viens aussi d’acheter votre livre. J’ai fait mes études secondaires à l’école militaire préparatoire d’Autun et je me destinais faire à Saint-Cyr jusqu’à ma visite en 1968 de cette ‘école de Coëtquidant au cours d’un voyage scolaire à la fin de ma troisième.
    Un « émeps » (un ancien enfant de troupe de mon école) nous a parlé d’un bizutage intensif, la nuit, en 1ère année. Par ailleurs les cours des professeurs de l’université de Rennes sont appelés la « pompe », les bizus étant trop épuisés pour les suivre. Cet ancien élève d’Autun nous a aussi appris le décès, d’un élève après un bizutage dans la salle d’attente de l’infirmerie.
    Ce que j’ai retenu de ma visite d’une journée : L’enseignement universitaire était dévalorisé et les exercices de sport intenses.
    Tout cela ne m’encourageait ma vocation future, même si l’exercice d’un élève : savoir démonter et remonter entièrement le moteur d’une jeep, m’avait plu.
    Je suis resté à Autun jusqu’au bac et j’ai renoncé à faire la corniche de mon école.
    Plus tard, j’ai appris que des mesures avaient été envisagées pour rehausser l’importance de la formation intellectuelle à Saint-Cyr, jugée insuffisante.

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  24. Camarade de promotion de Guillaume Ancel à Saint-Cyr, j’ai retrouvé dans ces « chroniques de la Spéciale » l’ambiance particulière de notre scolarité. Isolés dans la lande bretonne, à l’écart d’une France que nous avions choisi de servir mais que, d’un point de vue sociologique, nous représentions bien mal, nous avons formé, pendant trois années humainement très denses à défaut d’avoir été intellectuellement stimulantes, une communauté dont je peux dire, avec le recul que donne l’âge, qu’elle a plutôt bien résisté au temps.

    Abusivement présenté comme « devoir de réserve », le silence était effectivement la règle. Comme si l’institution avait si peu confiance en elle qu’elle redoutait de s’effriter au premier débat.
    Comme si regarder en face les guerres coloniales perdues (Indochine, Algérie) était au-dessus de nos forces intellectuelles.
    Comme si l’Armée et la République ne se faisaient pas assez confiance pour que la première ose s’exprimer et la seconde accepter qu’elle le fasse. Après tout, les militaires n’ont eu le droit de vote qu’en 1945, un an après les femmes.
    Comme si le Maréchal Lyautey, qui écrivit « Quand j’entends les talons claquer, je vois les esprits qui se ferment », était un support de communication externe, pas une source d’inspiration.

    Ce livre n’est pas né de la frustration ; il n’est ni un pamphlet, ni un réquisitoire ; il est le récit du parcours initiatique d’un jeune homme qui n’a pas connu le formatage des classes préparatoires à Saint-Cyr et se retrouve dans un univers qu’il n’imaginait pas et auquel il était bien décidé à s’adapter sans se renier.

    Il propose aux officiers de notre génération un miroir qui ne déforme pas mais dans lequel certains ne se regarderont pas sans déplaisir.
    Pour tous les autres, il entrouvre les fenêtres d’une institution qui a parfois renâclé à renouveler l’air qu’elle respire.

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  25. Votre livre n’étant pas encore en librairie, je ne l’ai évidemment pas lu mais je ne manquerai pas de le faire dès sa parution.

    De la même manière que je m’intéressais de très près à ce que se dit sur l’école, l’éducation et ses acteurs, la santé , la médecine et et ce que disent ses praticiens a retenu très vite toute mon attention. La matière certes mais également ses acteurs.

    Ce n’est que bien plus tard que ce qui relève du droit régalien a retenu mon attention, il avait sans doute fallu dépasser une forme répandue « d’infantilisme » pour pouvoir accepté qu’il y a dans le fonctionnement éclairé d’une société équilibré une part d’autorité et de contrainte nécessaires. J’avais donc décidé bien plus tard d’être plus attentif à tout ce qui se dit et s’écrit sur les questions de défense, sur l’armée et ceux, soldats ou officiers, qui en sont les premiers acteurs. Les acteurs certes mais surtout la matière.

    Et cette matière, cher Guillaume Ancel, vous y contribuez amplement par vos nombreux billets de blog, ainsi que par vos interventions dans l’émission « C’est dans l’air ».

    Les agents de l’Etat, qui relèvent du ministère de l’Intérieur et leurs relations parfois incestueuses, souvent conflictuelles, avec ceux qui relèvent du ministère de la Justice, sont vite passés au premier plan, presque imperceptiblement ; probablement qu’ils sont toujours les premiers à se trouver dans notre collimateur quand la relation à l’autorité est comme une forme de démangeaison. Sans renier le passé, c’est une approche plus posée, plus équilibrée qui s’imposait : elle n’en est plus exigeante. J’allais presque dire une attitude salutaire avant qu’un prurit local ne se transforme en prurit généralisé.

    Le cinéma, dont je suis très friand depuis toujours m’offre souvent matière pour précéder ou compléter ce que les uns et les autres écrivent sur ce qui doit être de vrais sujets de préoccupation, si nous tenons A NE PAS SUBIR…

    Ainsi, le film POUR LA FRANCE de Rachid Hami dont vous aviez publié ici même une présentation dans le quotidien « Le Monde » à sa sortie. Je l’avais moi également salué dans mon blog sur Mediapart et sur le site dédié « Sens critique » :

     » Et ils finiront par être des français, à notre image, la meilleure comme la moins bonne. Combien d’entre nous comptent parmi leurs ascendants un aïeul ou même deux d’origines étrangères dont la trace se perpétue dans nos patronymes. Qu’il s’agisse de ce bisaïeul venu du Portugal et qui conta fleurette à votre ancêtre auvergnate, qu’il s’agisse de Carmen et de Pedro qui ont traversé les Pyrénées les soldats de Franco à leurs trousses, de Matteo et de Giorgia venus de Ligurie pour cueillir le jasmin pour nos parfumeurs de Grasse, de Chiara née en France de parents napolitains ou friolans venus en Lorraine comme ouvrier maçon et femme de ménage (1), nous sommes leurs descendants désormais français de souche et non plus seulement de branche.

    En Lorraine et dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, il suffisait d’ouvrir un annuaire de téléphone, du temps où il existait encore, pour voyager de Katowice, à Poznan et Cracovie, de Kirovohrad à Kiev en passant par Vinnista. De ces terres lointaines et pourtant si proches, nous n’avons plus que des souvenirs de gastronomie et de traditions culinaires dont l’origine véritable finit par être oubliée. Qui donc douterait un instant de la loyauté nationale d’un seul d’entre eux, d’un seul d’entre nous, sinon quelques esprits ignorants et haineux qui ont fait de la xénophobie leur viatique et même leur fond de commerce.

    Adil et Nadia Saïdi sont parents de deux garçons Ismaël et Aïssa d’une dizaine d’années et Nadia est enceinte, nous le saurons plus tard, d’un troisième garçon. Adil /Samir Guesmi est gendarme en Algérie à un moment troublé de l’histoire du pays quand le GIA tentait d’imposer sa loi à la population algérienne. Le couple ne va pas bien, la vie est difficile et les lendemains incertains ; Nadia/Lubna Azabal quitte le domicile conjugal avec l’intention de partir en France afin d’assurer un avenir plus serein à ses enfants.

    En France, les enfants grandissent. Nadia fait sa vie ; Ismaël/Karim Leklou vit d’expédients en flirtant régulièrement avec l’illégalité ; Aïssa/Schaïn Boumedine fait un master en science po et passe le concours de recrutement pour l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.  Une séance nocturne de bizutage, qu’à Saint-Cyr on appelle bahutage, tourne mal et Aïssa y laisse la vie. Une enquête de commandement révèle qu’il n’y a pas simplement erreur d’appréciation des organisateurs du bahutage mais faute avec dissimulation, par les condisciples organisateurs, de la réalité des épreuves imposées aux « bleus ».

    La grande muette est soucieuse de protéger la réputation et l’ image de sa prestigieuse école. Elle est prête à décider quelques accommodements avec la vérité pour ce faire. Ainsi fonctionnent bien des institutions et le réalisateur du film Rachid Hami en parle avec une grande sobriété sans chercher à stigmatiser l’armée dans laquelle Jallal Hami avait choisi de servir. Jallal Hami est ce jeune sous-lieutenant qui est mort en 2012 dans les circonstances évoquées par le film. Jallal Hami sous le nom de Aïssa Saïdi est un des deux frères du réalisateur du film.
    Il y a en fait deux strates en interaction dans ce film: la relation de la famille avec les autorités militaires, mais également l’histoire d’une famille d’immigrants venue d’un ancien département français du temps où l’Algérie était une colonie française. La seconde partie est somme toute la plus importante, me semble-t-il, comme si Rachid Hami avait voulu faire un film sur sa famille et les tensions qui la traversaient depuis toujours et que la tragédie de la mort d’un frère aimé avait un effet de catharsis pour toute la famille.

    Les relations de l’aîné Ismaël avec son puîné Aïssa ont toujours été difficiles et conflictuelles en raison sans doute d’une préférence marquée et surtout exprimée pour le second par un père rigide et autoritaire. Désormais, Ismaël devient en quelque sorte l’incarnation de l’Histoire familiale dont la caméra du cadet offre la révélation.

    Pour la France de Rachid Hami est un film apaisé et d’une grande sobriété. Il est un document, cinématographique en l’occurence, à verser dans le dossier tourmenté de nos relations avec ceux qui sont venus un jour faire France avec nous.

    (1) ou des grands-parents de Alain Ughetto qui raconte leur histoire et signe un beau Interdit aux chiens et aux italiens actuellement sur les écrans. »

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  26. J’avais répondu à l’article du général Vincent Desportes du Monde du 5/5/2016 :
    « Mais quant à l’absence de l’armée dans le débat public (depuis 2 générations, comme vous le faites remarquer) n’est elle pas due quand même en grande partie, à l’autocensure vis à vis d’une classe politique, déconsidérée, mais laissée, à tort maîtresse, en la matière (du « devoir de réserve ») ! Le « Cedant arma togae » n’est approprié qu’avec des « responsables politiques » dignes de ce nom … »

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  27. Bonjour Guillaume Merci pour tes messages. Comme tu l imagines je ne pourrais malheureusement pas me rendre à la séance de dédicace parisienne pour laquelle je te souhaite plein succès. As tu prévu une manifestation particulière à Lyon, je serais très heureuse d y participer. Bien à toi Hélène

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