
J’aime cette photo.
J’aime cette photo parce qu’elle illustre à elle seule la situation compliquée à laquelle nous avons été confrontés au Cambodge.
Après vingt années de guerre civile, le pays est démantelé, la société est un chaos, la civilisation khmère un souvenir confus qui a laissé la place au pire de l’instinct de survie.
Un tiers de la population a disparu, d’abord sous les bombardements américains qui ont voulu prolonger la guerre du Vietnam sans envoyer un seul GI au sol, des tapis de bombes pour neutraliser l’avancée d’un ennemi invisible…
Puis est arrivé l’épisode dramatique des khmers rouges, une idéologie délirante et destructrice dans un dessein politique qui avait perdu toute trace d’humanité, la mort et la souffrance comme programme, le génocide au bout du chemin.
L’invasion par le voisin vietnamien enfin, suffisamment haï pour liguer contre lui toutes les autres factions et continuer sans fin cet affrontement armé.
Une génération complète perdue dans la guerre, la destruction systématique de tous les repères comme de toutes les infrastructures.
Une société réduite à la survie et à l’oubli, qui s’est littéralement auto-détruite.
Quand nous sommes arrivés en 1992 pour appliquer les accords de paix, obtenus de haute lutte par des pays tiers comme la France, le Cambodge n’était plus.
Comme ce temple khmer à Angkor dont les démineurs peinaient à réouvrir de simples accès.
Comme ce vieil homme qui se tient devant l’entrée abandonnée d’un symbole déchu de leur puissante civilisation.
Ses vêtements sont noirs, l’allure est misérable mais le port encore altier, il esquisse un sourire devant cette construction millénaire qui menace désormais de s’effondrer.
A-t-il l’intuition que notre arrivée pourrait donner un souffle à leur peuple épuisé ou craint-il de devoir expliquer comment il a pu survivre à l’épisode khmer rouge ?
Notre mission de paix est comme une fragile lueur d’espoir face à l’immensité de la tâche et la profondeur de leur désespoir.
D’ailleurs la France, en soutenant ouvertement le roi Sihanouk qui est considéré au Cambodge comme le dirigeant le plus corrompu que leur civilisation ait connu, sème le trouble – une fois encore – par une politique qu’aucun pays européen ne peut décemment partager, une politique « étrangère » qui a soigneusement esquivé tout débat démocratique au sein de la société française.
Peut-on espérer reconstruire cet édifice sur la base de planches pourries qui se sont alliées à toutes les factions dans le seul but de continuer à « régner » ?
La végétation semble vouloir démanteler ce temple, qui pourrait être la monumentale représentation de la civilisation khmère ou au contraire un simple chaos de pierres…
Un commentaire sur “Ce vieil homme devant un temple khmer ou comment intervenir dans un pays démantelé par la guerre ?”