Oui, vous avez bien lu, cette célébrissime collection dans laquelle nous avons tous espéré trouver un jour une synthèse d’un événement ou d’un phénomène majeur, a confié de résumer l’histoire du dernier génocide du XX° siècle, celui contre les Tutsi au Rwanda, à un proche des génocidaires et pourfendeur du FPR, le mouvement politique de Paul Kagame qui seul a réussi à les chasser…
Cela a sans doute commencé avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda, qui a accordé un qualificatif « d’expert » – pour dire « témoin de contexte » –, à cet auteur qui connaît de près les extrémistes Hutu qui ont préparé, organisé et perpétré ce crime contre l’humanité en 1994.
Un « expert » tout à fait étonnant puisque juriste constitutionnaliste, Filip Reyntjens a largement dépassé son domaine de compétences pour publier des analyses dans des domaines où un minimum de connaissance est généralement requis.
C’est ainsi que « l’expert » Reyntjens a inventé le missile qui fait demi-tour, une notion irrationnelle pour un ancien officier d’artillerie et missilier comme moi, mais qui lui permet d’affirmer aujourd’hui encore « qu’il y aurait un doute sur l’origine des tirs de missiles qui ont abattu l’avion du président Habyarimana », déclencheur d’un massacre remarquablement organisé.
Créer de la confusion sur le génocide contre les Tutsi
Certes, plusieurs sources avaient cherché à obscurcir le sujet, dont l’Elysée où Hubert Védrine était secrétaire général, et qui n’ont cessé de clamer le même « doute » sur l’origine de l’assassinat. Un doute auquel ils ont largement contribué, en alimentant puis en rediffusant les thèses de M.Reyntjens dans une boucle aussi vicieuse que recherchée.

Pourtant c’est la justice française qui a résolu en 2012 la question de l’origine du tir, confirmant au passage la thèse que soutenait la DGSE depuis le début. A la demande des juges Poux et Trévidic, la justice a en effet produit en 2012 un remarquable rapport d’expertise, combinant de multiples facteurs d’analyse auxquels ont procédé un groupe d’ingénieurs internationaux, reconnus – eux – pour leurs compétences.
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La conclusion de ce rapport balistique est sans appel : les tirs ont été effectués du camp de Kanombe qui était celui des « unités d’élite » de l’armée rwandaise, – la garde présidentielle et le bataillon para-commando –, fers de lance du génocide qu’ils allaient enclencher immédiatement après l’assassinat du président Habyarimana.
Depuis 2012 on peut donc affirmer, sans plus avoir de doute, que l’assassinat a été commandité par les extrémistes hutu, tandis que leur président rentrait le 6 avril 1994 de Tanzanie où il venait de signer les modalités du partage du pouvoir prévus dans les accords de paix d’Arusha. Exit le plan de paix auxquels les organisateurs du génocide ne pouvaient se résoudre.
Le tir a sans doute été exécuté par des mercenaires issus des pays de l’Est, les seuls qui disposaient du niveau d’entraînement et des équipements nécessaires pour effectuer un tir double de nuit, une opération délicate et qui, malheureusement, a été menée avec « succès ».
Mais « l’expert » Reyntjens en a décidé autrement. Il n’hésite pas, pour cela, à produire des thèses hallucinantes sur ce qui relève pourtant désormais du fait établi, en refourguant des éléments qui lui ont été transmis… par les génocidaires et destinés à démontrer rien de moins que les victimes seraient les bourreaux !
Le président Kagame n’est sans doute pas un ange, mais l’accuser d’avoir déclenché le génocide contre les Tutsi alors que c’est lui qui l’a stoppé (et pas l’opération Turquoise qui dans les faits a mis à l’abri ce qui restait des génocidaires) est assez infâme pour être signalé.
Il est vrai que le professeur Reyntjens n’hésite pas à reprendre et à défendre les arguments du colonel Bagosora, l’architecte du génocide contre les Tutsi, très lourdement condamné par le TPIR.
Signalons en particulier cette merveilleuse photo du missile qui aurait abattu l’avion du président rwandais, fournie par ce dernier. Elle devait prouver l’implication du FPR, honni par M. Reyntjens. Pourtant, un détail retient l’attention de tout connaisseur en missile anti-aérien portable : la coiffe de protection de l’auto-directeur, très visible sur la photo, signifie simplement que ce missile… n’a pas encore été tiré, ce qui met à bas et ridiculise la démonstration liée à cette « preuve ».
J’ai bien essayé de le lui expliquer, mais le professeur Reyntjens n’a pas besoin de preuves, seules ses conclusions comptent.

« L’expert » Reyntjens a inventé le missile qui fait demi-tour
Le ridicule est atteint quand Reyntjens continue à avancer que le missile a été tiré d’une position opposée à celle établie par les experts balistiques, afin que celle-ci ait été atteignable par le FPR, ce qui n’est évidemment pas le cas avec le camp de la garde présidentielle.
Pourtant la correction terminale spécifique au SAM16 et l’impact sous l’arrière de l’aile gauche définissent une trajectoire de tir par « 3/4 avant » qui est la seule cohérente avec les analyses acoustiques, visuelles et balistiques.
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analyse de Jos van Oijen
Si le tir avait eu lieu de la colline de Masaka, comme veut le montrer Reyntjens, il aurait simplement fallu que les missiles fassent demi-tour en vol pour atteindre ainsi leur cible. Je ne crois pas qu’un SAM16 ni aucun autre missile de ce type en soit capable, mais il est vrai que je n’ai observé qu’une quarantaine de tirs contre zéro pour « l’expert » qui confond sans doute l’avant et l’arrière.
Autrement dit, Reyntjens peut tordre ses arguments dans tous les sens, comme dans cette publication de 2020, mais ce qu’il décrit ne relève plus maintenant que de sa volonté désespérée d’attribuer la responsabilité de l’attentat aux victimes du génocide.
Qu’est-ce que la collection Que Sais-Je veut démontrer en récidivant avec cet auteur révisionniste ?
Le fait que la collection Que Sais-Je lui ai demandé une première version est difficilement entendable tant son parti-pris a toujours été affiché. Mais qu’une réédition lui soit confiée en 2021, et que l’auteur ne change quasiment rien de sa version du dernier génocide du XX° siècle, est une véritable provocation alors qu’entretemps, la commission d’historiens présidée par Vincent Duclert a largement établi la « responsabilité accablante » de l’Elysée dans ce « désastre français » que fut le soutien apporté aux génocidaires du Rwanda.
Mu par sa haine du FPR, Reyntjens fournit ainsi des “arguments” accueillis comme pain béni par les extrémistes qui ont organisé, préparé et conduit le génocide contre les Tutsi. Il ne fait plus de doute qu’il en est conscient et que cela ne le dérange en rien.
Lui confier, à nouveau, de raconter l’histoire du seul génocide que nous aurions pu éviter interroge sur l’état d’esprit des Presses Universitaires de France, qui ont été en effet largement informées des thèses nauséabondes défendues par cet auteur. Elles n’ont d’ailleurs jamais osé répondre à ceux qui ont permis l’émergence de la vérité sur cette épouvantable affaire, comme si elles voulaient écrire une alternative à la réalité.
Les PUF vont-elles devenir le bastion du révisionnisme et bafouer la connaissance académique sur le génocide des Tutsi au Rwanda, alors que le président de la République française lui-même a reconnu que les responsabilités étaient clairement établies ?
Après le travail effectué par la commission Duclert, comment le mot « Université » peut-il être encore associé à des thèses aussi lamentables ? Comment la collection Que Sais-Je peut-elle confier à un chantre du révisionnisme de raconter ce crime contre l’humanité ?