
Revenons au 11 septembre, le 200° jour de cette guerre d’invasion déclenchée par la Russie de Poutine, et triste anniversaire des attentats qui ensanglantèrent les Etats-Unis au début des années 2000.
Depuis moins d’une semaine, les forces ukrainiennes ont lancé une seconde contre-offensive dans le Nord-Est du pays (région de Kharkiv), tandis qu’une opération laborieuse dans le Sud (région de Kherson) avait attiré de trop nombreuses forces russes, en fragilisant le reste du front.

Des militaires russes pris « au dépourvu »
Cette offensive révèle d’abord une faillite du renseignement militaire russe qui n’a pas vu les forces importantes que rassemblaient secrètement les Ukrainiens à l’autre bout du front, tandis que ces derniers bénéficient d’un renseignement extraordinairement pertinent des Etats-Unis.
Il faut noter aussi l’impréparation des militaires russes face à cette deuxième offensive. Ils avaient subi de lourdes pertes au cours de la guerre d’usure qu’ils menaient depuis plusieurs mois, notamment en voulant conquérir la région du Donbass.
Mais plus encore, le troisième élément déterminant est le mélange de lassitude et de médiocrité des unités russes, rapiécées et mal approvisionnées, confrontées à des soldats ukrainiens galvanisés par l’idée de leur flanquer une raclée. Rappelons que ceux-ci se croyaient perdus au début du conflit en février dernier, face à la disproportion des forces en présence, un contre dix.
Une offensive ukrainienne remarquablement conduite
Dans le Nord, la contre-offensive ukrainienne, bien organisée et commandée, crée une percée rapide dans le front qui avait été gelé par ces mois de guerre. Mais cette percée n’est pas seulement un revers pour les forces russes, elle crée un phénomène propre aux sujets de gel et de dégel, un véritable phénomène de dislocation (disruption en anglais) du front.
En effet, toutes les conditions sont réunies du côté ukrainien pour une percée fulgurante :
Leurs forces sont mieux entraînées, parce qu’elles ont bénéficié de la formation et des conseils d’armées très aguerries, américaines bien sûr, françaises et britanniques aussi mais pas uniquement, dans la mesure où beaucoup de pays européens ont activement participé à aider les Ukrainiens, bien plus que financièrement.
Leurs forces sont parfaitement renseignées, ce qui est des plus précieux dans une offensive où la surprise est un atout, sauf si elle se retourne contre les unités en mouvement. Plus la vitesse est grande, plus le risque de ne pas voir venir un obstacle est important. La qualité du renseignement fourni principalement par les Américains est époustouflante. Les Ukrainiens semblent connaître non seulement la position de leurs adversaires, mais aussi leurs intentions…
Leurs forces sont bien équipées, même si les Ukrainiens manquent en réalité de matériels lourds. Mais leur vitesse de pénétration et leur capacité à s’imbriquer dans le dispositif militaire russe empêche ce dernier de recourir à son artillerie et à sa capacité de bombardement aérien, qui écrasaient jusqu’ici les Ukrainiens.
Un phénomène de débâcle
Privés de cette supériorité en artillerie qui faisait la différence jusqu’alors, affaiblis par la destruction de nombreux dépôts logistiques (nerf de l’artillerie) et de plusieurs postes de commandement (dans une armée très centralisée qui peine à manœuvrer sans ordres), les militaires russes n’arrivent pas à endiguer l’offensive ukrainienne.
Ils prennent peur et commencent à s’enfuir, provoquant alors ce phénomène de débâcle identique à celui d’un immense bloc de glace qui se disloque, et dont l’importance devient une fragilité, se lézardant et craquant de toute part, menaçant de tout emporter et de s’effondrer.
L’armée ukrainienne peut mener loin cette avantage tactique : plus elle bouscule le dispositif russe, plus elle fissure cet édifice qu’on imaginait figé dans une guerre de tranchées. Il se délite actuellement sous nos yeux et ne cesse de nous étonner.
Ce phénomène de débâcle – la dislocation d’un dispositif militaire – est extrêmement difficile à stopper.
Trois scénarios sont possibles :
En premier lieu, l’énergie ukrainienne peut se révéler insuffisante dans la durée, et la prudence face à une percée trop rapide, la crainte de se retrouver piégée par sa propre rapidité ferait ralentir l’armée ukrainienne, donnant alors le temps aux forces russes de se rassembler à nouveau et de reprendre pied.
Un deuxième scénario, qui n’est pas exclusif du premier, consisterait pour les Russes à reconstituer un « glacis », en vidant le terrain sur une distance assez importante pour pouvoir reprendre leurs bombardements mortels sur les unités ukrainiennes qui seraient de nouveau à découvert, faute du couvert fourni par la proximité des forces russes. Les Ukrainiens seraient alors obligés de s’arrêter et même de reculer, car ils ne sont pas équipés pour résister à un bombardement intense des Russes.
Ce scénario du glacis est en réalité difficile à réaliser pour les militaires russes, du fait de leur très mauvais état et encore une fois de la médiocrité de leurs unités. Organiser en effet un « repli » pour disposer d’un glacis nécessite une très bonne coordination, un renseignement de qualité et surtout une vitesse suffisante pour ne pas être « collé au train » par les Ukrainiens, qui ont l’avantage de leur légèreté et donc de leur célérité sur un terrain qu’ils connaissent parfaitement.
Par contre, ce scénario de glacis peut se combiner au premier scénario d’un ralentissement des unités ukrainiennes, provoquant une reprise de la glace sur le front, à l’image du mur glacé dans le trône de fer.
Poutine dans une impasse militaire si la dislocation se poursuit
Le troisième scénario d’évolution de cette débâcle est lié à l’impact sur le président Poutine du renversement du front et du recul de ses militaires mal engagés.
Pour la première fois en Russie, des signes de défiance au pouvoir poutinien s’expriment publiquement, ils ne sont probablement que la partie émergée d’un iceberg d’autant plus important qu’il rassemble plusieurs blocs de glace, qui ont une forte propension à s’agglomérer :
Le mécontentement des familles de militaires, avec plus de 30,000 morts dans les rangs de l’armée russe et quatre fois plus de blessés, la société russe compte a minima 150,000 familles meurtries par cette guerre, dont la tristesse ne risque pas de se transformer en soutien pour « l’opération militaire spéciale » de Poutine.
Probablement cent fois plus nombreuses sont les familles russes qui ont un lien fort avec l’Ukraine et qui sont déchirées un peu plus chaque jour par cette guerre dont elles savent parfaitement qu’elle n’est pas fondée et qu’elle provoque des dégâts considérables.
Plus nombreuses encore sont les familles affectées par les sanctions occidentales, des pénuries aux cessations d’activité. Et si les milieux d’extrême-droite essayent de nous vendre en Europe l’inefficacité ces mesures, c’est bien qu’elles fonctionnent et qu’elles touchent une large partie des 146 millions de Russes. Ceux-ci avaient d’ailleurs été effarés d’être « touchés » directement par la guerre lors des frappes ukrainiennes en Crimée qu’ils croyaient être un havre de paix.
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Les critiques qui se font désormais entendre jusque dans les médias russes, pourtant asservis au pouvoir, sont l’expression sourde d’une menace grandissante contre Vladimir Poutine. Celui-ci sait que s’il perd pied en Ukraine, il perd pied tout court. Il perd le pouvoir à coup sûr et sans doute la vie avec, car il a suffisamment terrorisé son entourage pour ne pas pouvoir espérer le moindre respect s’il se révélait en fragilité.
De même, le soutien affiché de la Chine – jusqu’ici bien plus verbal que concret – ne résisterait pas à un affaiblissement du pouvoir de Poutine, ce qui d’ailleurs était probablement l’objectif réel de la Chine : affaiblir l’occident comme la Russie, en même temps que les Etats-Unis dans ce conflit dévastateur. Et il n’est pas question pour l’empire chinois d’être dans le clan des perdants d’un conflit qui prend très mauvaise tournure, tout particulièrement pour son initiateur, le président Poutine.
Quelle sera la réaction d’un président dictateur vacillant ?
Pour ne pas perdre pied, il sera prêt à tout.
Si, comme il est vraisemblable, son armée n’arrive pas à se rétablir (scénarios 1 et 2), la seule possibilité qui reste à Vladimir Poutine est de décapiter le pouvoir ukrainien : il tentera par tous les moyens de se débarrasser du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui seul incarne aujourd’hui la résistance ukrainienne sur la scène internationale, même si c’est tout un peuple qui se bat.
la seule possibilité qui reste à Vladimir Poutine est de décapiter le pouvoir ukrainien
La disparition du président ukrainien, dans une frappe particulièrement brutale sur son quartier de résidence présumée, ouvrirait un inévitable conflit de succession, fragilisant d’autant les opérations militaires qui ne sont qu’une partie de cette guerre : d’autres opérations, notamment en termes de communication et de finances, sont aussi importantes pour une réelle victoire de l’Ukraine.
Le président Poutine pourrait aussi tenter de mettre à genoux les Ukrainiens, comme le firent les Américains avec le Japon pour terminer la deuxième guerre mondiale. Il dispose pour cela d’armes chimiques et d’armes nucléaires, mais il ouvrirait un champ de destruction qui pourrait lui être tout aussi fatal, en déclenchant des réactions de l’OTAN, comme de sa propre opposition…
Ce conflit ne sera certes pas seulement déterminé par l’évolution de cette offensive militaire ukrainienne, mais si la débâcle russe est avérée, l’issue pourrait être étrangement rapide.