Dans cette guerre de la Russie contre l’Ukraine, plusieurs événements importants se sont déroulés ces dernières semaines qui pourraient déclencher une tempête…
L’enlisement du front militaire
L’armée russe est incapable, malgré sa supériorité numérique, de continuer à avancer. Les Ukrainiens lui ont infligé des pertes sévères et s’attaquent très intelligemment aux postes de commandement et aux dépôts logistiques d’une armée qui ne brille pas par sa souplesse ni par sa décentralisation. L’offensive russe est aujourd’hui bloquée par les Ukrainiens, mettant à mal tout projet de Vladimir Poutine d’aller plus loin, dans l’état actuel de ses forces.
En sens inverse, les forces ukrainiennes avaient annoncé cet été des contre-offensives, dont les effets limités montrent qu’elles n’ont pas aujourd’hui le potentiel nécessaire pour lancer un combat offensif et pas seulement résister en défense. C’est assez normal, car pour mener de telles opérations, il leur faudrait des chars de combat, une artillerie beaucoup plus nombreuse et une capacité d’empêcher tout bombardement aérien russe contre leurs forces, à défaut de disposer de leur propre flotte de chasseurs bombardiers et d’hélicoptères armés.

Le fait que l’armée russe n’arrive plus à avancer et que les militaires ukrainiens n’arrivent pas à les chasser n’est pas une bonne nouvelle, cela ressemble plutôt à une impasse : pour retrouver un équilibre et sortir du conflit, il faudrait au contraire que cette situation évolue dans un sens ou dans un autre….
En l’état actuel des forces militaires, la Russie ne peut pas gagner et l’Ukraine ne peut pas la chasser. La Russie a donc intérêt à ouvrir des négociations « de paix » quand bien même elle a déclenché cette guerre, et l’Ukraine à continuer à se battre pour ne pour ne pas avoir à concéder formellement ce que la Russie lui a volé par la force.
Quand l’Ukraine défie la Russie de Poutine en frappant la Crimée
La Crimée, péninsule sur la mer noire annexée d’autorité par la Russie en 2014 et considérée par cette dernière comme une partie intégrante de son territoire, avait été jusqu’ici « épargnée » facialement par la guerre. Les forces russes s’en servaient pour alimenter massivement le front militaire sud, tout en restant hors de portée (plus de 100 km) des possibilités de contre-attaques ukrainiennes.
En effet, les Ukrainiens ne disposent pas d’armes leur permettant de frapper au-delà de 80 km.
Lire aussi : Comprendre en quelques mots les armements utilisés dans la guerre de Poutine contre l’Ukraine
Ces quinze derniers jours, tout a changé pour la Crimée : les Ukrainiens ont mené plusieurs frappes d’une portée supérieure à 200 km qui ont surpris l’armée russe et effaré la population, en particulier les touristes qui passaient des vacances au bord de la mer noire, dans ce qu’ils considéraient jusqu’ici comme une agréable station balnéaire.
Énormes champignons de fumée, une base aérienne est partiellement détruite par plusieurs frappes ukrainiennes, provoquant l’affolement et le départ précipité de ces touristes russes qui n’imaginaient pas une seconde être concernés en vacances par « l’opération spéciale », dont leurs médias ressassent au quotidien « qu’elle atteint tous ses objectifs ».

Des dépôts de carburant sont ensuite détruits, puis l’immeuble qui abrite le commandement de la flotte militaire russe en mer noire à Sébastopol est frappé à son tour. Même le gigantesque pont de Kertch qui relie la Crimée à la Russie est menacé. La Crimée est désormais aspirée dans la guerre et inquiète la population russe.


En ouvrant ce nouveau front – inattendu – en Crimée, l’Ukraine défie avec une audace incroyable le pouvoir russe, tandis que le front militaire dans le reste du pays, en particulier dans le Donbass, reste figé.
La surprise est d’autant plus grande que les Ukrainiens n’étaient pas censés pouvoir lancer de telles frappes. Mais comme l’a remarquablement analysé Xavier Tytelman dans Air&Cosmos, ils contournent les obstacles en bricolant brillamment avec l’existant (et en utilisant les informations du système de renseignement américain).
Pour frapper au cœur de la Crimée, il est probable que les Ukrainiens utilisent non pas des commandos ni des missiles sophistiqués, mais de « simples » drones, comme ce modèle chinois Mugin 5, disponible sur le site marchand Alibaba pour moins de 10,000 $.
Avec une charge utile de 25 kg (qui permet d’embarquer une bombe importante comparable à un obus d’artillerie), pouvant parcourir plusieurs centaines de km, ce type de drone est relativement difficile à détecter et donc à neutraliser. De plus, il est facile à guider sur une cible que filme en direct sa caméra et se transforme alors en avion suicide.
Les Ukrainiens utilisent ces drones comme des missiles et frappent au cœur de la Crimée que les Russes croyaient être un sanctuaire…
Notons au passage que les Ukrainiens ne revendiquent pas ces frappes, ils se contentent de les mener et d’observer les réactions des Russes. Avec une question clef, comment vont-ils réagir maintenant ?
L’attentat près de Moscou, un produit dérivé ?
Le piégeage d’une voiture près de Moscou, qui a tué la fille de l’idéologue Alexandre Douguine, théoricien souvent présenté comme l’aiguillon de « l’opération militaire spéciale » lancée contre l’Ukraine par Vladimir Poutine en février dernier, est d’une autre nature.
Les services russes, aux ordres exclusifs du président, ont immédiatement désigné les Ukrainiens comme responsables de cet attentat après une enquête bâclée. Mais il est probable que cette exécution manquée du conseiller de Poutine soit le fait de luttes internes au pouvoir russe, que ce dernier ne risque pas de vouloir exposer.
La réaction du président Poutine se fait attendre…
La combinaison de ces différents événements constitue une situation pour le moins « explosive », car il n’est pas question pour le président russe de ne pas réagir. Mais dans ce contexte d’une guerre qui dure déjà depuis six mois, quelle réaction pourrait marquer les Ukrainiens et leurs soutiens occidentaux ?
Une volée de missiles sur Kiev, la capitale ukrainienne ? Déjà fait, à plusieurs reprises, notamment au début de l’offensive russe qui se voulait « éclair », un bis repetita ne serait guère convaincant même s’il ferait sans doute de nombreuses victimes, civiles.
L’assassinat du président Zelensky serait un coup très dur porté à la résistance ukrainienne, voire fatale si celle-ci se déchirait pour sa succession. Le président ukrainien a échappé à de nombreuses tentatives d’assassinat depuis le début de la guerre, notamment grâce au renseignement américain (et sans doute un peu plus). Néanmoins une frappe massive (ou de très grande puissance) sur les lieux où il pourrait se trouver n’est pas hors de portée des Russes, à condition de ne pas avoir été éventée. Le monde serait consterné, mais il devrait faire avec son successeur. La guerre en Ukraine prendrait une autre tournure.
Une troisième possibilité serait une frappe à haut pouvoir de destruction contre une ville importante de l’Ukraine, comme Kharkiv que les Russes n’ont pas réussir à conquérir ou Lviv dans l’ouest du pays, culturellement plus proche de la Pologne que de la Russie.

Les Russes ont déjà commis ce type de frappe en Syrie, en utilisant notamment des armes chimiques qui ont fait des ravages dans la population civile. La Russie a réaffirmé récemment qu’elle n’utiliserait pas d’armes nucléaires si elle n’était pas directement menacée, mais il faut lire les non-dits… les armes chimiques n’ont pas été évoquées.
La réaction du pouvoir russe aux mains de Vladimir Poutine, face à sa mise en échec sur le front militaire et au défi que représentent les frappes ukrainiennes en Crimée, risque d’être particulièrement violente et destructrice dans une guerre qui est loin d’être résolue.
Merci, Cher Guillaume Ancel pour ce très précieux éclairage sur la guerre d’Ukraine
André Burguière Directeur d’études à l’EHESS-Paris
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Bonjour Guillaume
Merci pour cette analyse.
Cette guerre est une catastrophe (surtout économique) ; à commencer pour les ukrainiens.
Il y a une idée qui m’effleure. Et si Poutine avait pour objectif de couper l’Ukraine en deux et d’en faire une nouvelle Corée ?
Bien à toi Guillaume et merci pour tout tes écrits.
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Le président Poutine poursuit sans doute un objectif de partition de l’Ukraine, qui serait d’autant plus pernicieux qu’il installerait ce pays dans une situation d’instabilité chronique…
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« …la tragédie qu’ont vécue la Yougoslavie et ses peuples « .Je maltraitais précédemment un participe passé, je lui rends donc justice !
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Vous présentez une situation et posez sur la table des évènements et des hypothèses. A nous d’essayer d’approfondir afin de ne jamais nous retrouver dans la situation que j’ai personnellement ressentie dans les années 90 du siècle dernier lors de la tragédie qu’ont vécu la Yougoslavie et ses peuples : être devant un conflit dont on ne maîtrise pas véritablement les enjeux et qui de ce fait devient parfaitement illisible. Une situation qui peut ouvrir la porte au pire.
Dans cet ordre d’idées, à signaler un article dans le Monde de ce 23 août et signé par Michel Duclos, ancien diplomate sous le titre « L’agression russe oblige la France à reconstruire sa politique étrangère ».
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