
Après avoir ravagé une partie de l’Ukraine, Poutine peut-il se contenter du Donbass ?
Au bout de six semaines de combats acharnés, la situation semble s’enliser. Les forces armées russes de Vladimir Poutine n’ont pas réussi à s’emparer en Ukraine des villes significatives qui leur donneraient le contrôle du pays.
Kiev, la capitale, est hors de portée d’une rapide conquête, même si elle a été régulièrement bombardée. Marioupol, entre la Crimée et le Donbass a été consciencieusement écrasée faute de s’être rendue.
Le retrait des forces russes de Vladimir Poutine dans le nord du pays est marqué par la découverte de crimes odieux qui ne sont pas sans rappeler ceux commis au Mali par les « mercenaires » russes de la société Wagner qui viennent de massacrer des villageois en toute impunité.
Les réactions indécentes du Kremlin ne résistent pas aux images satellites qui attestent la présence des corps des victimes pendant leur opération de « libération » , ni des précédents rapportés de Syrie et de Tchétchénie… une culture de l’impunité et du déni s’est installée dans cette Russie.La tentation de l’enlisement
Un échec qui n’a jamais été aussi dangereux pour notre avenir
Vladimir Poutine se retrouve en réalité dans une situation d’échec particulièrement dangereuse.
Soit il veut prendre – « quoi qu’il en coûte » – le contrôle de l’Ukraine et ses forces militaires actuelles ne suffiront pas. Le retrait partiel annoncé ne serait alors qu’un gain de temps afin de reconstituer une armée suffisante pour reprendre l’offensive, ou pire, pour préparer le recours à des armes spéciales, chimiques ou nucléaires, qui nécessitent de mettre à « distance de sécurité » ses propres forces. L’utilisation de telles armes ferait de Poutine un dictateur encore plus dangereux pour notre société, car une fois cette « ligne rouge » franchie, que pourrait-il encore respecter ? Et comment pourrions-nous réagir sans rentrer en guerre contre la Russie ?
Un retrait partiel, mais pour quelle issue ?
Soit Vladimir Poutine renonce à conquérir l’Ukraine, en mentant – une fois encore – sur ses buts de guerre, et en affichant finalement que le Donbass (l’est du pays) lui suffirait. Cela ne justifierait en rien les dévastations qu’il a menées dans le reste du pays, cette manière bien particulière de massacrer ce qu’il prétend libérer.
Se « contenter » du Donbass serait pour Poutine reconnaître son échec, reconnaître de fait son incapacité à imposer sa volonté, ce qui le mettrait alors en grand danger : le tyran qu’il est ne peut pas perdre le pouvoir, il ne peut être que renversé par une violence plus grande encore et c’est alors sa propre vie qui serait en jeu.

Le risque d’une instabilité installée
Notre réaction sera donc déterminante pour la suite.
Prenons garde en effet, du côté occidental, à l’ambiguïté possible de notre posture, même après l’émotion suscitée par des crimes de guerre qui ne doivent pas nous faire oublier le crime encore plus grave d’avoir déclenché cette guerre avec ses dizaines de milliers de morts.
L’angoisse générée dans nos sociétés par cette situation – la guerre à nos portes et notre impuissance à s’opposer directement à cette invasion comme aux tueries qui « l’accompagnent » – peut aussi nous faire désespérer de trouver une « solution » de sortie de crise.
Un retrait partiel des forces russes avec une occupation du Donbass pourrait susciter du côté occidental un soulagement provisoire, celui de sortir de cette guerre et de cette impasse géopolitique sur laquelle vont se précipiter les diplomates. Mais que faire ensuite de ce tyran devenu une menace permanente, pour notre sécurité globale comme pour les équilibres internationaux qui fondent notre prospérité ? Attendre la prochaine agression en espérant pouvoir la contrer ?
Un retrait partiel ne peut solder ce conflit
Même si nous les forcions à accepter un « compromis » avec les délires impérialistes de Poutine, les Ukrainiens seraient fondés de rejeter ce rapt d’une partie de leur pays, qui deviendrait une sorte d’Alsace-Lorraine de l’Ukraine, alimentant de fait une source permanente de conflits, une instabilité installée au cœur de l’Europe.
De plus, le risque induit par une réaction opportuniste de compromis serait d’inciter à lever, même partiellement, les sanctions contre la Russie, pour rétablir au plus vite une forme de « normalité » et se rassurer de notre capacité à retrouver de la stabilité.
Un tel rétablissement consacrerait le succès, même limité, d’un tyran nommé Poutine. Il se passerait peu de temps avant qu’il ne soit de nouveau invité à nos discussions et à nos échanges, il serait de fait absout des crimes qu’il vient pourtant de commettre.
Ce n’est pas seulement l’aspect moral qui serait en jeu, mais bien le risque de laisser impunie une telle agression alors que nous avons trop longtemps fermé les yeux sur les crimes précédents, de la Tchétchénie à la Syrie, des opposants aux journalistes assassinés par ses services secrets qui auraient pourtant dû nous éclairer.
Ce n’est pas l’Ukraine qu’il faut neutraliser, mais Vladimir Poutine
La reconnaissance même partielle de cette invasion russe de l’est de l’Ukraine créerait un précédent particulièrement dangereux, tandis que la Chine observe attentivement la meilleure manière de reprendre le contrôle de Taïwan…
Quant à Vladimir Poutine, qui ne peut définitivement plus inspirer la moindre confiance, il pourrait reprendre l’offensive au premier prétexte, reprochant même aux Ukrainiens de constituer une « menace » contre les territoires qu’il leur aurait pourtant volés, dans cette guerre injustifiée.
Autrement dit, la possibilité que Poutine renonce à Kiev n’est pas une bonne nouvelle, elle ne règle en rien le conflit qu’il a généré et dont la seule issue aujourd’hui est la neutralisation, non pas de l’Ukraine, mais du criminel qui dirige la Russie.
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