Agirc-Arrco : une solution hybride de services physiques et digitaux

Par Frédéric COUTARD, directeur de l’offre de services Retraite de l’Agirc-Arrco & Guillaume ANCEL, directeur de la communication de l’Agirc-Arrco


L’Agirc-Arrco est le régime de retraite complémentaire des salariés du privé en France. 

C’est un réseau qui emploie 15.000 personnes pour gérer les droits de 36 millions d’assurés dont 13 de retraités, à qui sont versés 82 milliards € de pensions chaque année. La spécificité du régime est qu’il est issu de 70 ans d’accords et qu’il est géré paritairement par les organisations syndicales et patronales dans un esprit d’équilibre durable et de compromis social. 

Le régime Agirc-Arrco est le principal acteur non étatique du système de retraites en France, il maîtrise un système à points et disposait fin 2019 de 65 milliards € de réserves financières. 

Une entreprise de services qui pouvait basculer massivement en télétravail 

Le régime Agirc-Arrco peut être considéré comme une activité de production de services, avec une composante clé en système d’information qui structure la cohérence du réseau. 

Au moment du basculement dans la crise, avec le passage obligé en confinement mi mars 2020, nous étions en pleine discussion sur l’opportunité de généraliser… une deuxième journée (hebdomadaire) de télétravail alors que la première était acquise, non sans réticences. 

Ce débat apparaît aujourd’hui complètement obsolète, tandis que 90% des équipes ont basculé en télétravail complet pendant deux mois. Cependant les questions qui l’animaient illustrent plus que jamais les difficultés à passer d’une culture du présentiel à celle de la distance que permettent des outils qui sont malgré tout assez récents. 

Certes nous équipions de plus en plus nos collaborateurs en outils mobiles (PC portables et smartphones) mais ce n’était pas encore la norme, d’autant que les questions de lisibilité (beaucoup d’informations nécessaires dans nos traitements) appelaient de grands, voire de multiples écrans. 

De plus les questions de sécurité de nos données nous avaient fait historiquement privilégier les réseaux physiques et les connexions par câble, de même que la rapidité d’accès aux données nous avait fait éviter autant que possible les connexions à distance. 

Une maturité digitale limitée 

Le débat autour de cette deuxième journée de télétravail portait principalement sur les questions de management : comment gérer une équipe qui ne serait pas sur site au moins à certains moments et comment conserver la richesse des échanges sans présence physique ?

Néanmoins, nous n’étions pas non plus sur la rive complètement opposée à celle du télétravail dans la mesure où rien que la fédération (l’organisation qui pilote le régime, environ 1,000 collaborateurs) travaillait déjà sur six sites et l’ensemble des équipes du régime se répartissait sur plus de 200, outre-mer inclus. 

Nous disposions d’ailleurs d’un outil lourd de visioconférence (Polycom) qui imposait d’utiliser des installations dédiées et donc disponibles en petit nombre, fixes sauf à n’utiliser que la phonie. 

Depuis 2019, nous déployions progressivement, et avec une vigilance marquée par nos exigences de sécurité, un dispositif cohérent et (relativement) complet de travail collaboratif autour des solutions office 360 de Microsoft. Son utilisation restait progressive, les membres du comité de direction n’étant pas les derniers à rechigner devant ces outils « toujours nouveaux et qui seront obsolètes dans peu de temps, question de patience… »

Avec le choc du passage en confinement généralisé, qui n’avait pas été réellement anticipé ni imaginé, toutes ces questions se sont retrouvées balayées par la réalité : pour travailler, il fallait désormais le faire à distance en utilisant plus ou moins bien ces outils. Leur opportunité ne se discutait plus, la question étant rapidement remplacée par celle de leur efficacité. 

La fiction du tout à distance 

Il est difficile de résister aux modes, surtout quand elles sont imposées. Il était dès lors tentant d’afficher un succès total du télétravail en confondant joyeusement le taux d’équipement des collaborateurs avec l’efficacité réelle de leur production collective. 

En premier lieu, il convient de rappeler que beaucoup de collaborateurs devaient gérer des contraintes personnelles importantes et, même en travaillant plus et en économisant les temps de déplacement, il eut été inquiétant que la production globale d’une entreprise dans ces conditions puisse être la même que celle d’avant le confinement…

De plus cette situation inédite et compliquée a généré une gestion de crise éprouvante pour les équipes au détriment de leur production normale. 

Enfin les collaborateurs ont pour beaucoup ressenti une fatigue nerveuse importante liée à leurs conditions de confinement, mais aussi à l’absence de culture du « toute la journée en télétravail ». Je garde personnellement un souvenir ému de journées en tunnel de visioconférences où j’ai eu le sentiment d’être plus souvent saturé que productif. 

Heureusement les huit semaines de confinement complet nous ont donné l’occasion de réguler un peu cette nouvelle forme de fonctionnement et d’alterner progressivement des moments dédiés à son propre travail avec les épuisantes conférences collectives. 

Un bilan mitigé 

Il est notable que nous sous-estimons l’importance des très nombreuses interruptions auxquelles nous sommes soumis au bureau et qui constituent autant de moments de respiration, d’information et de réflexion. Ceux-ci peuvent disparaître complètement dans une journée de télétravail et dans un lieu consacré uniquement à son écran, miroir agité d’une forme de solitude dans un monde connecté. 

Le bilan de huit semaines de télétravail only est assez mitigé, bien plus qu’il est trop souvent affiché. 

A la question « quelle est votre capacité globale de production par rapport à celle d’avant le confinement ? » en huitième semaine de confinement, nos principaux dirigeants ont estimé le niveau réel au 2/3. 

Pour les opérations de production – le run – le niveau a été estimé à 80% de la capacité de fonctionnement, ce qui est plutôt élevé dans ces conditions.

Par contre les activités qui relèvent de l’investissement sur le futur (projets, déploiement, accompagnement) – le build– se sont retrouvées à moins de 60% de la capacité précédente. 

Les principales lacunes relevées sont liées au manque d’interactions et d’échanges collectifs, même si par ailleurs le confinement/télétravail a rationalisé certains échanges et déplacements. Il est observé aussi que la maîtrise du mode télétravail augmente, tandis que la culture collective se dégrade en l’absence prolongée de relations physiques. Le confinement fait ressortir enfin des différences importantes entre les équipes en Île de France et celles en régions qui sont jugées plus productives. 

Compte tenu de leurs poids respectifs nous avons agrégé l’ensemble à une capacité de production globale de 2/3. 

C’est beaucoup si l’on considère les difficultés affrontées et en particulier les contraintes qui se sont imposées à chacun de nos collaborateurs dans cet environnement inédit : garde des enfants où l’on redécouvre qu’enseigner est un métier, confinement dans des espaces rarement suffisants pour permettre de s’isoler ou, au contraire, solitude extrême et répétition épuisante dans un univers déserté. 

Certes le développement des réseaux sociaux et les nombreux outils digitaux ont apporté énormément, mais ils ont aussi montré leurs limites, ils ne peuvent en l’état se substituer à une relation physique et à la richesse des interactions humaines. 

Fonctionner aux 2/3 de sa capacité est peu si l’on mesure le gap de performance, l’équivalent de quatre mois dans l’année qui nous manqueraient. Cette différence d’un tiers semble plus importante encore si elle est rapportée aux gains de productivité que nous avons cherché à obtenir année après année, à peine un à deux points les meilleures années. 

C’est donc une régression à laquelle nous assistons sur la performance globale de nos organisations. Si nous devions faire le lien avec le niveau de rémunération, cela se traduirait à terme par une diminution de nos salaires d’un tiers ou par la suppression d’un job sur trois…

Des évolutions indispensables dans un environnement marqué par l’incertitude

Nous avons sans doute aussi beaucoup appris de cette période de confinement. En premier lieu du caractère non indispensable de la plupart de nos activités, déplacements et voyages, consommations et distractions innombrables, temps consacré à rencontrer les autres chez soi ou chez eux, et dont nous nous sommes globalement passés pendant deux mois. 

Nous nous sommes rappelés aussi pendant toute cette période que chacune de ces « activités non indispensables » structurent en réalité nos vies… et nos dépenses. Personnellement je me suis réjoui de sortir du confinement et de moins subir toutes ces contraintes que nous nous étions imposées. Cependant le déconfinement est aussi complexe que nécessaire. 

Complexe d’abord parce qu’on ne sort pas impunément d’une telle expérience. Quelles en seront les stigmates ? Chercherons-nous encore des bilans chiffrés chaque soir comme autant de signes qui auraient le pouvoir de nous rassurer ? Allons-nous éviter définitivement les films catastrophes qui décrivaient si bien la bascule d’une société prospère dans un chaos irréversible ? Refuserons-nous enfin les discours et les rhétoriques de guerre quand il s’agit de care ?

            Une société modifiée jusque dans sa culture

De plus nous pourrions vivre durablement avec cette épidémie ou une autre, gestes barrière, gel hydro alcoolique à tous les étages et masques sur le nez en guise de sourire. Nous allons surtout affronter une crise sociale et économique sans précédent, même si en réalité nos infrastructures comment nos générations d’actifs n’ont connu aucune destruction significative à l’échelle de leur nombre.  

Cependant le premier obstacle qui se présente devant nous n’est pas sanitaire ou économique, il est psychologique. Nous avons eu peur, nous nous sommes installés pendant huit longues semaines dans la peur du virus, qui s’est transformée insidieusement en peur de son porteur, en peur de l’autre : le voisin, le joggeur qui nous croise trop vite, ce vieux monsieur qui tousse dans la rue ou ce jeune enfant qui éternue en nous frôlant malicieusement, jusqu’aux animaux suspectés de véhiculer une mort invisible. 

Sur ce point, le corps médical avait sans doute besoin de nous sensibiliser pour justifier des mesures radicales, mais ils ont sous-estimé l’impact psychologique de la peur qui peut être bien plus nocive pour nos sociétés que le virus lui-même. 

Heureusement le sujet est redevenu politique, aux mains d’hommes et de femmes qui pensent société et pas seulement santé.

 Cette entrée en déconfinement met en lumière une particularité de nos sociétés modernes, la concentration dans l’espace et dans le temps. 

Dans les grands centres urbains – la région parisienne en étant la meilleure illustration en France métropolitaine – tout est organisé pour vivre densément alors que brusquement nous devons nous écarter, tenir nos distances désormais dans un espace pourtant contraint…

Dans les entreprises de services, ces étapes de déconfinement progressif sont fastidieuses et elles nous font perdre encore de la productivité avant d’espérer revenir à des capacités de production plus conformes à l’énergie que nous y consacrons.

En-dessous de 30% des effectifs sur sites, l’intérêt de renouer des échanges physiques avec ses collaborateurs est réduit, puisque l’essentiel se fait encore à distance, en télétravail. De plus nous rajoutons aux lacunes spécifiques du télétravail les contraintes des temps de déplacement et de l’absence de services sur nos lieux de bureaux, notamment la restauration. 

Mais ces étapes sont nécessaires pour se retrouver physiquement et partager régulièrement une culture et des connaissances collectives qui ne peuvent se suffire de la relation digitale. Elles sont indispensables pour renouer avec le collectif et espérer une performance à la hauteur des services attendus. Nos clients, quels qu’ils soient, ne pourront pas se contenter d’une production aussi limitée que celle que nous connaissons actuellement, sauf à s’installer dans une société qui consommerait autant de moins. 

            La recherche de nouveaux équilibres entre présentiel et distanciel

Pour autant il est peu probable que nous revenions à un tout présentiel. La réalité de nos taux « d’occupation » des sites de bureaux était de l’ordre de 80% avant la crise. Il a péniblement atteint 10% lors des premières semaines de déconfinement en région parisienne, où ne revenaient que des collaborateurs volontaires.

Alors vers quel équilibre allons-nous tendre pour optimiser les moments de télétravail et la nécessité de se retrouver ? À ce stade, un objectif de 60% en présentiel et donc de 40% en télétravail serait intéressant. 

Cela représenterait en moyenne deux journées de télétravail par collaborateur chaque semaine et trois sur sites. 

La réduction des déplacements pourrait nous laisser réfléchir aux « heures de pointe », ces créneaux de trois heures le matin et l’après-midi qui plombent nos transports et nos journées en épuisant les « voyageurs ». 

Pas besoin de virus en effet pour détester ces moments de totale promiscuité et d’inconfort, scotchés dans le temps par les ralentissements et plus encore par l’incertitude. C’est bien cette « concentration » que nous pourrions modifier en évoluant progressivement vers une société qui aspire à moins de promiscuité et d’intensité.

            Le télétravail peut générer des économies substantielles de locaux

Un emploi massif du distanciel est l’occasion de réfléchir à une de ses contreparties, en tout cas pour l’entreprise : la diminution des besoins en locaux pour réunir ses collaborateurs. Dans une industrie de services comme la nôtre, le coût combiné de l’immobilier et du fonctionnement des bureaux est la troisième source de dépenses la plus importante après les salaires et les systèmes d’information qui structurent notre activité. 

L’économie potentielle sur les « locaux » ne se réduit donc pas à l’immobilier stricto sensu, mais bien à une grande partie des coûts liés à l’utilisation des locaux, du mobilier à la climatisation. 

Nous pourrions aussi espérer que ce gain global de place soit réinvesti dans le logement et diminue les coûts exorbitants de l’habitat dans les grandes métropoles. En fait, avec un télétravail généralisé, il serait logique que l’espace privé récupère une partie de celui consacré aux activités professionnelles, puisque tel serait le sens de ce mouvement inédit. 

Réduire les surfaces nécessaires est donc un enjeu économique important, mais qui ne doit pas faire oublier le sens même de ces emprises consacrées à une activité professionnelle. Se séparer d’une partie importante de ses locaux, c’est aussi réduire son existence en tant que groupe, au même titre que rencontrer moins ses collaborateurs, ses clients ou ses fournisseurs. 

La notion d’équilibre s’impose encore dans ce potentiel d’économies, pas seulement pour conserver la possibilité d’accueillir un « pic d’occupation », mais surtout pour entretenir une culture collective qui – quoi qu’on en dise – est attachée à des lieux et à leur utilisation.

            Le distanciel peut aussi dématérialiser l’existence même des entreprises 

Il est intéressant d’observer que, profitant du débat sur l’importance que pourrait avoir désormais le télétravail, certaines organisations camouflent mal leur envie de se défaire de postes de coûts toujours trop importants à leurs yeux, dans cette course sans fin à la rentabilité. 

Les déclarations « disruptives » d’un constructeur automobile affichant l’ambition de fonctionner majoritairement en distanciel pour ses activités de service (3,5 jours sur 5 en télétravail) peine à masquer son désir obsessionnel de se débarrasser de l’essentiel de son immobilier, ou plutôt du coût des locaux qu’il loue… 

En l’absence de toute concertation, ce qui est toujours un bon début pour un projet collectif, se lancer dans une solution aussi radicale sans avoir pris le temps d’en mesurer les conséquences, au-delà d’une expérience forcée de quelques semaines, n’est pas sans faire frémir. Un sentiment d’iceberg où la partie émergée cache des motivations « louables » mais non partagées. 

Dans notre exemple d’un équilibre potentiel entre distanciel et présentiel à 2 et 3 jours par semaine, soit une économie théorique de 40% de l’immobilier nécessaire, il semble raisonnable de n’en retenir qu’une partie comme une économie pertinente, admettons 25% des surfaces actuelles. Cela constituerait déjà une sacrée évolution dans nos modes de faire et les moyens nécessaires. 

            Une distanciation sans fin ?

Cette économie d’un quart n’est pourtant envisageable qu’à condition d’un « flex office », une absence d’attribution personnalisée de places dans les locaux, ce qui serait une autre évolution majeure et à bien réfléchir. 

En effet si l’accueil des collaborateurs consistait à leur fournir l’équivalent d’un espace de coworking dans lequel ils ne retrouveraient ni collègues liés directement à leur activité, ni trace personnelle de leur implication dans un projet commun, quel intérêt auraient-ils à se déplacer ? 

Il vaudrait mieux passer alors directement aux espaces de coworking, à proximité des résidences de ceux qui voudraient différencier leur environnement professionnel de leur « milieu » personnel… et l’entreprise en tant que telle n’existerait matériellement plus, à l’exception de quelques événements temporaires de type conventionnel.  

Cela ouvrirait grand le débat d’une totale délocalisation, pour commencer de Givet à Biscarrosse, puis évidemment de Marrakech à Bangui, s’il était encore nécessaire de parler français…

            Une fragilisation à l’extrême des collaborateurs 

Organiser des activités totalement délocalisables n’est pas vraiment neutre et fait partie des non-dits actuels du débat sur le télétravail, une face cachée de l’iceberg que nous ferions mieux de retourner avant qu’elle ne nous écrase par ses conséquences. 

C’est par certains côtés le « modèle » de ces plateformes numériques où les collaborateurs naviguent entre des formes fragilisées d’intermittents du spectacle et de franchisés sans droits. 

Si nous voulons voir les entreprises et les organisations continuer à jouer un rôle dans nos sociétés, nous devons prendre garde à leur conserver une forme de matérialité et de rechercher des équilibres. Cela commence par bien réfléchir à l’accueil et à la place que nous ferons à nos collaborateurs venant sur des sites à la surface désespérément réduite…

            Une hybridation progressive des cultures    

Dans la recherche de nouveaux équilibres entre distanciel et présentiel apparaît aussi une forte interrogation sur la compatibilité des cultures. 

Nos modes de fonctionnement actuels reposent pour l’essentiel sur la relation sociale, la relation physique entre des êtres humains, tandis que le modèle en développement de l’entreprise numérique crée une culture radicalement différente où la relation est d’abord digitale, en se défaisant par nature du lien social, même si elle aime à parler de « réseaux sociaux ». 

Dans le premier cas nous parlons d’un verre au bistrot, dans le deuxième d’un tchat sur WhatsApp, et tchater au bistrot est une activité risquée tant elle agace tous ceux qui s’y retrouvent confrontés. 

Dans le fonctionnement d’une entreprise de culture présentielle,  évoluer désormais vers le distanciel se traduit en premier lieu par la difficulté de construire une culture mixte. Par exemple, tenir une réunion à la fois en présentiel pour quelques-uns et en distanciel pour les autres relève de deux formes de faire très différentes et assez contradictoires.

            Connecter le distanciel au présentiel 

 Techniquement ce n’est pas simple, car il faut créer des interfaces collectives à des connexions individuelles, écrans géants et prises de son collectives pour relier un groupe physique à des individus distanciés et isolés. 

Ces questions toutes matérielles illustrent surtout notre manque de culture de l’hybridation qui mêlerait efficacement les avantages de chacune des approches. Et nous manquons cruellement  d’expérience en la matière, car c’était jusqu’ici deux rivages qui cherchaient plus à se différencier qu’à se rapprocher. 

Un ami, héraut de la culture de l’entreprise numérique et travaillant bien sûr pour la Silicon Valley, décrit des usages qui rappellent la distance qui nous sépare en réalité : 80% de son activité se déroule en distanciel et il ne rencontre physiquement ses interlocuteurs que quelques fois dans l’année pour socialiser longuement en compensation de relations digitales qui les tiennent à distance le reste du temps. 

Une « réunion » en mode digital est toujours inférieure à une heure et il n’en tient jamais plus de quatre par jour pour être certain de rester impliqué dans une relation où la distance autorise toutes les diversions, un peu au même titre qu’un Ipad permet d’abord à un administrateur de s’échapper sans être vu d’un conseil d’administration qui l’ennuie. 

Quatre conférences par jour au maximum, de moins d’une heure chacune… c’est à peu près la moitié du rythme que nous nous imposons en présentiel, avec une productivité tout à fait discutable, mais cet exemple permet encore une fois de mesurer la distance qui sépare ces deux cultures du présentiel et du distanciel. 

Les relier, les « connecter » devient dans ce monde en évolution une vraie gageure et l’opportunité d’améliorer la relation au travail et à l’entreprise. 

Une transformation concrète et complexe, le réseau des centres d’information retraite de l’Agirc-Arrco

Plus connus sous le nom de CICAS, les 110 centres d’information retraite de l’Agirc-Arrco sont déployés sur l’ensemble du territoire français, outre-mer compris. 

Ces CICAS ont pour principale activité d’aider les assurés à constituer leur demande de retraite, en particulier en accueillant physiquement les assurés qui souhaitent un rendez-vous pour préparer leur dossier de départ en retraite. 

            Un réseau dédié aux entretiens physiques avec des conseillers spécialisés 

Opération unique et rarement anodine, la demande de retraite nécessite de fiabiliser toutes les données d’une carrière professionnelle pour intégrer l’ensemble des cotisations versées, les traduire en points dans notre régime, et déterminer ainsi les droits à retraite de l’assuré. 

Cet entretien avec un conseiller spécialisé dure une demi-heure et permet de constituer physiquement un dossier de demande de retraite, en le complétant le cas échéant des données manquantes. 

L’autre possibilité pour un futur retraité était d’utiliser la version digitale de la demande – la demande de retraite en ligne – qui se veut la plus simple possible mais qui renvoie inexorablement à une forme de solitude au moment de procéder, seul face à son écran. 

            Inventer des solutions hybrides

L’impossibilité pendant plus de deux mois de tenir des entretiens en présentiel nous a obligés à repenser ces services et à envisager de les hybrider : pour les démarches digitales, nos assurés se révèlent friands d’accompagnement autrement que par un chatbot qui rassure rarement plus qu’il ne questionne. 

Nous avons donc mis en place, tout simplement, des rendez-vous d’accompagnement par téléphone pour les demandeurs digitaux qui peuvent ainsi régler en ligne des questions digitales.

Nous avions en effet noté, lors des entretiens en CICAS, que les assurés avaient plus souvent besoin d’être réassurés que de poser réellement des questions auxquelles ils n’auraient trouvé aucune réponse. Aussi, en leur donnant la possibilité d’échanger en direct avec un conseiller, nous leur apportons un soutien tant sur l’outil digital que sur le besoin de se voir conforter dans la démarche : « oui monsieur, c’est bien la période d’apprentissage qui est comptabilisée ici », « non madame, vous n’avez pas besoin de justifier des points qui sont déjà enregistrés dans votre compte personnel ». 

Tout en humanisant la démarche digitale, nous nous sommes demandés aussi pourquoi obliger les assurés qui voulaient « rencontrer » un conseiller à se déplacer. Et nous expérimentons actuellement un entretien à distance avec un conseiller, dans une session de visioconférence où la solution Teams de Microsoft permet de partager des documents et des données, en même temps que nos conseillers peuvent rassurer et accompagner dans cette démarche importante qu’est la demande de sa retraite. 

En horizon, nous envisageons une solution hybride qui permettrait de proposer un mélange des genres pour satisfaire des besoins assez différents et souvent complémentaires : faire parvenir simplement une pièce supplémentaire à son dossier sans se déplacer, après avoir passé un moment avec un conseiller qui aura formalisé cette étape de demande de retraite. 

Ces évolutions semblent assez simples à décrire, mais elles sont en réalité d’une grande complexité à équilibrer. Au début de la crise, nos conseillers, spécialisés dans les entretiens physiques avec les assurés, n’étaient pas préparés à offrir des services mixtes, combinant présentiel et distanciel. Outre les solutions techniques, il leur fallait d’abord acquérir une culture différente, qui n’oppose plus l’humain au digital, mais qui le combine intelligemment, en fonction de nos besoins respectifs, ceux de 36 millions d’assurés !  

Cet article a été publié dans TRAJECTOIRE DE CRISESAdaptation des organisations aux crises sanitaires, économiques et sociales de la Covid-19, Par david autissier, jean-marie peretti et charles-henri besseyre des horts, MA Éditions, 2020.

3 commentaires sur “Agirc-Arrco : une solution hybride de services physiques et digitaux

  1. Article fort intéressant. Au carrefour de beaucoup d’entreprises, petites et grandes, de tous secteurs et ayant besoin de communiquer, de partager, de produire, nous n’avons pas été sollicité durant le premier confinement, comme si personne n’y croyait vraiment, nous avions pourtant mis gratuitement une version de SWYP à disposition de toutes les organisations (SWYP est une solution éditoriale collaborative assez complète) mais ce n’est qu’à la sortie de ce premier tunnel que les choses se sont accélérées, il fallait équiper vite et le prix ne semblaient même pas être un élément de poids. Depuis les outils sont en places, les clients sont ravis et clament de pas savoir comment ils auraient faits sans à nouveau mais aucun n’a sacrifié la relation physique et à la richesse des interactions humaines. C’est plutôt bon signe.

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