Une transition complexe et nécessaire, déconfiner et déconcentrer

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Horloge de la gare de Lyon, copyright Florence Cordon

Nous allons enfin, après 8 semaines d’un confinement quasi généralisé, sortir progressivement de cet état dans lequel nous avons dû nous installer brutalement, sans expériences ni repères.

Nous avons basculé dans un monde qui nous était inconnu jusqu’alors

Pour les grandes entreprises de service, le passage d’un télétravail balbutiant – nous discutions de l’opportunité d’un deuxième jour de télétravail par semaine que nous estimions alors compliqué – à un travail à distance massif ne s’est pas fait simplement.

Mais au vu de ce qui s’est passé, c’est notre capacité d’adaptation qui ne cesse d’étonner. Cela nous semblait hors de portée et pourtant, sous la contrainte d’une épidémie hors de contrôle, nous avons basculé dans un monde qui nous était inconnu jusqu’alors.

Certes les communications triomphantes des organisations ont allègrement confondu pourcentage d’équipements des collaborateurs et efficacité du télétravail, tandis que la réalité est manifestement plus complexe.
Et je ne compte pas ici les activités de production de biens, dont l’efficacité en travail à distance est quasiment réduite à néant et qui n’ont pas attendu le « déconfinement » officiel pour essayer de reprendre leur vie.

Le tout télétravail réduit considérablement la performance des organisations

Dans une très grande société de service que j’observe avec attention, la capacité de fonctionnement en mode confiné est estimée aujourd’hui aux 2/3 de sa capacité nominale (la situation précédant le confinement, celle que nous ne sommes pas près de retrouver).

C’est impressionnant si l’on considère les difficultés affrontées et en particulier les contraintes qui se sont imposées à chacun de nos collaborateurs dans cet environnement inédit : garde des enfants où l’on redécouvre qu’enseigner est un métier, confinement dans des espaces rarement suffisants pour permettre de s’isoler ou au contraire solitude extrême et répétition épuisante dans un univers déserté.
Certes le développement des réseaux sociaux et les nombreux outils digitaux ont apporté beaucoup, mais ils ont aussi montré leurs limites, ils ne peuvent en l’état se substituer à une relation physique et à la richesse des interactions humaines.

Fonctionner aux 2/3 de sa capacité est peu si l’on mesure le gap de performance, l’équivalent de quatre mois dans l’année qui manqueraient.
Cette différence d’un tiers semble plus importante encore si on la rapporte aux fastidieux gains de productivité que nous avons cherché à obtenir, année après année, à peine un à deux points les meilleures années.
Ce serait donc l’équivalent de 20 à 30 ans de régression sur la performance globale de nos organisations si nous restions en télétravail seulement. Et si nous devions faire le lien avec le niveau de rémunération, cela se traduirait à terme par une diminution de nos salaires d’un tiers ou la suppression d’un job sur trois…

Un déconfinement aussi complexe que nécessaire

Nous avons sans doute aussi beaucoup appris de cette période de confinement . En premier lieu du caractère non indispensable de la plupart de nos activités, déplacements et voyages, consommations et distractions innombrables, temps consacré à rencontrer les autres chez soi ou chez eux, et dont nous nous sommes globalement passés pendant deux mois.

Nous nous sommes rappelés aussi pendant toute cette période que chacune de ces « activités non indispensables » structurent en réalité nos « vies », nos connaissances… et nos dépenses.

Personnellement je me réjouis de sortir du confinement et de subir moins toutes ces contraintes que nous nous sommes imposées. Cependant le déconfinement va être aussi complexe que nécessaire.
Complexe d’abord parce qu’on ne sort pas impunément d’une telle expérience. Quelles en seront les stigmates ? Chercherons-nous encore des bilans chiffrés chaque soir comme autant de signes qui auraient le pouvoir de nous rassurer ? Allons-nous définitivement éviter les films catastrophes qui décrivaient si bien la bascule d’une société prospère dans un chaos irréversible ? Refuserons-nous enfin les discours et les rhétoriques de guerre quand il s’agit de care ?

Une barrière psychologique dressée par le confinement prolongé

De plus nous allons devoir vivre durablement avec cet épidémie, gestes barrière, gel hydro alcoolique à tous les étages et masques sur le nez en guise de sourire. Nous allons surtout affronter une crise sociale et économique sans précédent, même si en réalité nos infrastructures comme nos générations d’actifs n’ont connu aucune destruction significative à l’échelle de leur nombre.
Cependant le premier obstacle qui se présente devant nous n’est pas sanitaire ou économique, il est psychologique.

Nous avons eu peur, nous nous sommes installés pendant huit longues semaines dans la peur du virus, qui s’est transformée insidieusement en peur de son porteur, en peur de l’autre : le voisin, le joggeur qui nous croise trop vite, ce vieux monsieur qui tousse dans la rue ou ce jeune enfant qui éternue en nous frôlant malicieusement, même les animaux sont désormais suspectés de véhiculer une mort invisible.
Sur ce point, même si le corps médical avait sans doute besoin de nous sensibiliser pour justifier des mesures radicales, ils ont gravement sous-estimé l’impact psychologique de la peur qui peut être bien plus nocive pour nos sociétés que le virus lui-même.
Heureusement le sujet est redevenu politique, aux mains d’hommes et de femmes qui pensent société et pas seulement santé.

Déconfiner et déconcentrer

Cette entrée en déconfinement met en lumière une particularité de nos sociétés modernes, la concentration dans l’espace et dans le temps. 

Dans les grands centres urbains – la région parisienne en étant la meilleure illustration en France – tout est organisé pour vivre densément, alors que brusquement nous devons nous écarter, tenir nos distances dans un espace pourtant contraint…

Dans les entreprises de services, ces étapes de déconfinement progressif seront fastidieuses et elles nous feront perdre encore de la productivité avant de revenir à des capacités de fonctionnement plus conformes à l’énergie que nous y mettons.

En-dessous de 30% des effectifs sur sites, l’intérêt de renouer des échanges physiques avec ses collaborateurs est réduit, puisque l’essentiel se fera encore à distance. Et nous rajouterons aux lacunes spécifiques du télétravail les contraintes de temps de déplacement et d’absence de services sur nos lieux de bureaux, en particulier de restauration, pour ceux qui se déconfineront.
Mais ces étapes sont nécessaires pour se retrouver physiquement et partager régulièrement une culture et des connaissances collectives qui ne peuvent se suffire à terme de la relation digitale. Elles sont indispensables pour renouer avec le collectif et espérer une performance à la hauteur des services attendus. Nos clients, quels qu’ils soient, ne pourront pas se contenter d’une production aussi limitée que celle que nous connaissons actuellement, sauf à s’installer dans une société qui consommerait autant de moins.

Rééquilibrer télétravail et présentiel

Pour autant il est peu probable que nous revenions à un tout en présentiel. La réalité de nos « occupations » des bureaux était de l’ordre de 80% avant la crise. Il sera sans doute autour de 10% lors de la première semaine de déconfinement en région parisienne, contre 5% actuellement.
Alors vers quel équilibre allons-nous tendre pour optimiser les moments de télétravail et la nécessité de se retrouver ?
À ce stade, un objectif de 60% en présentiel et donc de 40% en télétravail serait intéressant. Cela représenterait concrètement deux journées de télétravail par collaborateur chaque semaine et trois sur sites, avec une densité d’occupation réelle des bureaux qui serait de l’ordre de 50%.

Cet équilibre réduirait de 20 à 40% les emprises immobilières nécessaires et presque autant les déplacements du quotidien. Nous pourrions même espérer que ce gain global de place, à condition de passer largement au flex office, soit réinvesti dans le logement et diminue les coûts exorbitants de l’habitat dans les grandes métropoles.

En fait, avec un télétravail généralisé, il serait logique que l’espace privé récupére une partie de celui consacré aux activités professionnelles puisque tel serait le sens de ce mouvement inédit.

Réduire aussi les concentrations des déplacements

La réduction des déplacements pourrait nous laisser réfléchir aux « heures de pointe », ces créneaux de trois heures le matin et l’après-midi qui plombent nos transports et nos vies en épuisant les « voyageurs ».

Pas besoin de virus en effet pour détester ces moments de totale promiscuité et d’inconfort, scotchés dans le temps par les ralentissements et plus encore par l’incertitude.

C’est donc bien cette « concentration » que nous pourrions modifier en nous déconfinant progressivement vers une société qui permettrait non seulement moins de déplacements, mais aussi moins de promiscuité et d’intensité.

De même les sujets de gouvernance et de responsabilités seraient à reconsidérer à l’aune de cette question de déconcentration, mais c’est une autre histoire.

3 commentaires sur “Une transition complexe et nécessaire, déconfiner et déconcentrer

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