
Pourtant l’usage du mot « guerre » pour qualifier la crise que nous traversons aujourd’hui est des plus inquiétants. La guerre consiste en effet à organiser et conduire des violences et des destructions pour imposer sa volonté, tandis que dans la situation actuelle, nous essayons de nous protéger contre les effets d’un virus.
Certes les vocables guerriers sont couramment employés dans notre société et notamment dans le monde des entreprises – cibles, opération, pertes, bilan – mais en perdant le plus souvent leur sens originel. Il ne s’agit plus (ou presque) de tuer, détruire et imposer par la violence, mais de rallier avec des mots exagérés des concepts qui relèvent plutôt de la sphère du sport – compétition, performance, gagner – et qui ont l’avantage d’être positifs, à défaut d’être durables.
La compétition respecte des règles (plus ou moins) qui forment des repères, tandis que la guerre est d’abord l’occasion de les outrepasser et de les écraser.
Parler de guerre est certes un abus de langage commun, mais il est particulièrement inapproprié pour cette crise liée au coronavirus.
La guerre appelle en premier lieu à détruire. Sommes-nous prêts à incendier des bâtiments (comme cela se pratiquait pour lutter contre la peste) ? Sommes-nous déterminés à abattre des infrastructures comme nos précieux ponts, nos coûteuses voies ferrées ou encore nos routes pour « vaincre ce virus » ? Accepterions-nous de bombarder des quartiers contaminés ou de faire exploser des EHPAD parce qu’ils seraient pris par « l’ennemi » ?
Cela vous fait sans doute sourire tellement ces maux de guerre apparaissent ici grotesques, mais ils en sont pourtant les attributs essentiels, la violence volontaire et la destruction.
Parler de guerre appelle donc à détruire, tandis que nous voulons protéger. Cela n’a pas de sens, pire encore, cela fait contre-sens.
La guerre fait des victimes, mais ce sont des pertes infligées par une politique, et par les hommes qui la servent. Pouvons-nous imaginer que les victimes d’un cancer ou d’un accident cardio-vasculaire (deux des principales affections de notre société d’aujourd’hui) soient des « victimes de guerre » ? Allons-nous demain ériger des monuments pour inscrire « tués pour la guerre contre le coronavirus » ?
La pandémie tue, mais c’est le fait d’une maladie, pas d’une volonté délibérée. Se protéger contre la propagation d’un virus ne relève pas d’une opération de guerre, mais de la mobilisation volontaire de moyens considérables, c’est une action positive qui vise (pardon pour ce vocable militaire) encore une fois à préserver plutôt qu’à détruire.
La guerre a vocation à être gagnée et fait appel à la peur, la peur de perdre, de mourir, de désobéir… C’est un état ponctuel qui laisse entendre qu’en sacrifiant ce que nous avons de plus précieux, nous pourrions vaincre et nous libérer. Un raisonnement brutal que j’allais qualifier de bestial s’il n’était spécifiquement humain.
Faire la guerre au coronavirus consiste à faire peur pour justifier l’effort de guerre et espérer la victoire, but ultime de l’usage de la force et des armes. Mais dans cette situation inédite qui marque un tournant dans notre société, il nous faudrait plutôt rassurer et prévenir, en un mot : protéger.
Ce n’est pas une guerre, il n’y aura ni armistice, ni libération à fêter, mais des moyens à trouver pour nous adapter durablement, à cette épidémie comme aux suivantes.
La guerre impose enfin une gouvernance autoritaire, un chef de guerre à qui tout le monde doit obéir aveuglément, puisque nos vies pourraient en dépendre. Il nous manquerait plus alors qu’un casque (uniforme) pour nous écraser la tête autant que pour la protéger, encercler nos esprits et nous mettre au pas….
Je ne le souhaite pas, je suis même choqué qu’on puisse imaginer nous imposer un état de guerre sous prétexte d’une urgence sanitaire. Certes cette grave confusion est le fait de personnes qui ignorent à peu près tout de la réalité d’une guerre, mais je préférerais que nous nous abstenions d’utiliser ce concept inapproprié pour gérer ce qui est aujourd’hui une urgence sanitaire et déjà une crise socio-économique… pas une guerre.
Pour aller plus loin sur la référence à la guerre, je vous recommande la lecture de cet entretien avec Stéphane Audoin-Rouzeau, grand historien des conflits armés.
4 commentaires sur “La « guerre » est une notion dangereuse, son utilisation inappropriée pour le Covid19 est malheureuse.”