Sébastien, un ami blogueur, s’interroge sur la difficulté de « vivre après la guerre » dans nos sociétés qui espèrent se protéger de tout.
« Se faire tirer dessus, voir des camarades tomber, tirer sur d’autres personnes, être témoins d’événements difficiles. Et après tout ça, comment as-tu repris une vie « normale », je sais que tous les soldats ne souffrent pas du syndrome post traumatique, je ne sais pas si tu en as souffert, mais comment peut-on vivre après avoir vu ce que l’être humain peut faire de pire ?
Est-ce que cela a altéré tes relations avec tes proches, une difficulté d’adaptation à la vie civile, des cauchemars ou des souvenirs qui reviennent inlassablement, le sentiment que la société oublie ses vétérans revenus de théâtres de guerre récents (surtout en France où ils semblent totalement oubliés) , des « flash-backs », une colère ?
Je suis preneur de ton témoignage, ou plutôt de ton ressenti après avoir quitté des zones de guerres (Rwanda, Sarajevo et peut être d’autres pour ta part, Indochine aussi je crois ? Sachant qu’en lisant Hemingway, j’ai appris que les guerres civiles sont les pires de toutes les « genres » de guerre, tu a dû voir des horreurs…). »
J’ai d’abord conseillé à Sébastien de lire le remarquable « La guerre, et après… » de Pauline Maucort qui retrace avec subtilité des témoignages poignants d’anciens soldats, hommes ou femmes, rentrés récemment de différents théâtres d’opération.
Qu’est-ce que l’expérience de la guerre modifie ?
Et puis, je lui ai répondu ces quelques lignes, loin de répondre complètement à cette question difficile :
Je ne crois pas avoir été traumatisé par les situations compliquées auxquelles j’ai été confronté.
Cependant j’ai été marqué par l’incroyable « violence ordinaire » de ces conflits, et par les difficulté rencontrées pour les gérer et les traverser.
Je ne fais pas de cauchemars ou de flash-backs, mais j’ai développé une sensibilité particulière au traitement de ces évènements. Je déteste les films de guerre, plus encore lorsqu’ils essayent de rendre spectaculaire ce qui ne devrait pas l’être, ou qu’ils transforment en divertissement ce qui aurait plutôt vocation à nous interroger profondément et à nous inquiéter.
Je ne supporte pas non plus ces jeux basés sur la violence, qui rendent anodins des actes dont on ne mesure même plus les conséquences. Ça ne m’amuse pas, en fait cela me choque.
Le plus difficile, au retour de ces opérations militaires, était le décalage avec mon environnement, ces relations amicales ou familiales qui étaient à milles lieux d’imaginer la réalité de ces conflits, dont notre société essaye de se garder à tout prix.
J’ai été surpris lorsque j’ai commencé à publier de simples récits sur ces opérations, aux Belles Lettres, du nombre de proches venus me dire qu’ils découvraient, à travers ces livres, la réalité de ces expériences si particulières, qui consistent à « faire la guerre ».
Je croyais pourtant leur avoir raconté, mais de fait il était difficile de pouvoir en parler plus de quelques minutes avant que quelqu’un ne manifeste son impatience, ou l’envie d’aller sur des sujets plus agréables, forcément le plus éloignés possible de ces conflits que nous n’avons pas envie de connaître.
Colère, déni et amnésie
J’ai parfois éprouvé de la colère, quand j’avais le sentiment d’une forme de déni ou d’amnésie.
Par exemple, en rentrant du Rwanda, où j’étais intervenu pendant le génocide contre les Tutsi, une proche a voulu m’expliquer dans le détail qu’elle avait « vécu l’enfer » cet été là, parce qu’elle avait fait des travaux dans son bel appartement lyonnais…
Elle se croyait psychologue et j’ai d’abord pensé qu’elle était surtout stupide, avant de réaliser qu’elle était moins bête que confinée dans une vie soigneusement limitée à son confort personnel.
Ma femme m’a expliqué, des années plus tard, « qu’elle n’avait jamais retrouvé l’homme qu’elle avait vu partir dans ces opérations », tandis que j’étais persuadé d’avoir fait bonne figure toutes ces années, en prenant garde de ne montrer aucun signe particulier de changement. C’est probablement ma propre forme de déni…
Je comprends désormais que mes récits m’ont permis d’expliquer ces situations « inouïes » et de ne plus les confondre avec notre monde si bien préservé, et dont nous sous-estimons le niveau de prospérité et de sécurité.
Il est vrai que je suis devenu très sensible aux propos déplacés sur la guerre ou sur la violence.
Je suis particulièrement caustique lorsque j’entends ces informations édulcorées, mélange grossier de culture du silence et du besoin de nous rassurer jusqu’à nous infantiliser, au sujet des engagements actuels de l’armée française au Mali par exemple, ou bien en Centrafrique, en Syrie, en Libye… pour lesquels les questions de fond sont là aussi soigneusement évitées au profit du sempiternel « dormez tranquilles bonnes gens ».
Je me désole que mes camarades, qui sont restés dans l’armée, préfèrent ne rien écrire au risque de devenir amnésiques. Mais il est difficile de se mettre à écrire dans un milieu qui vous apprend d’abord à vous taire.
J’ai ri jaune quand l’actuel chef d’état-major, François Lecointre, un officier de ma génération, a pris ses fonctions en affirmant publiquement sa « volonté » que les officiers se remettent à écrire et à publier.
Évidemment, le premier qui l’a cru et qui a l’imprudence de le faire, le colonel Legrier en revenant d’Irak, s’est fait solidement allumé, pour ne pas avoir compris que le message était en réalité « de ne surtout rien changer et de la fermer ».
La guerre est un sujet tragique qu’il convient de ne pas utiliser sans conscience, comme a pu parfois nous le faire craindre un Jupiter juvénile, à une époque heureusement révolue du « nous sommes en guerre… », car nous ne le sommes pas et c’est bien mieux ainsi.
J’ai développé enfin une méfiance viscérale pour ces quelques extrémistes irresponsables, qui invitent à la peur des autres et à toutes formes de violence, alors que notre plus grande chance est la paix que nous pouvons apporter dans nos sociétés. Que nous soyons préservés de ces fanatiques, qui ne se trouvent pas seulement chez les « islamistes »…
Voilà, en quelques mots, comment ces expériences de guerre et leur écriture m’ont (un peu) changé.
Je peux dire que j’ai été très ému de me « retrouver » dans un de tes articles, merci Guillaume pour ta disponibilité et ta gentillesse ! Je poste aujourd’hui même un article sur l’ouvrage « Les Français à Sarajevo » de Frédéric Pons où je te mentionne. Le hasard fait bien les choses. J’ai recherché de mon côté d’autres livres sur les syndromes de stress-post traumatiques chez les soldats, j’attends d’avoir compléter mes recherches pour en parler avec Pauline. Bonne journée à toi !
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