Poutine contrarié, l’Ukraine continue à résister et compte désormais sur l’arrivée des F16

Alors que les Français se demandent encore qui va les gouverner, une certitude s’impose : ce ne sera pas le « Rassemblement » national. Et Vladimir Poutine, qui a beaucoup investi pour déstructurer notre société à travers ce parti « patriotique » en est fort marri. Il est vrai que la France qui se rebelle et se mobilise pour empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir ne peut que le contrarier. Cette nation « d’emmerdeurs patentés » ose s’opposer à son opération militaire spéciale de soumission de l’Ukraine et même jouer un rôle important dans la mobilisation de l’Union européenne pour soutenir la résistance ukrainienne.

Pour ceux qui en doutaient encore, dès le lendemain des législatives, le RN s’est empressé de rejoindre au Parlement européen le groupe formé par Viktor Orban pour contribuer autant que possible à neutraliser toute initiative ou sanction qui gênerait le maître du Kremlin. Viktor Orban, chef du gouvernement hongrois et président pour 6 mois du conseil européen, s’est même permis d’aller à Moscou discuter avec son ami Poutine sans avoir consulté aucun des pays membres de l’Union. Et puis, dans la même veine, il file chez Donald Trump, pour lui rapporter ?


Poutine est enlisé en Ukraine

Contrairement aux apparences et à ce qu’il voudrait laisser penser, le président russe Vladimir Poutine est littéralement enlisé en Ukraine. Son armée, qu’il oblige à attaquer plus que ses moyens ne lui permettent, subit des pertes colossales que seul un dictateur de son espèce peut « supporter » sans être remis en question. Son niveau de pertes étant largement supérieur à sa capacité de renouvellement, l’armée de Poutine ne peut pas soutenir un tel « effort de guerre » sans obtenir à terme une pause pour souffler, un accord de paix (bien temporaire) le temps de se refaire.

En face, du côté ukrainien, on prépare des unités de combat grâce aux livraisons militaires importantes des Etats-Unis et de l’Union européenne, tandis que les F16 s’apprêtent à « rentrer en service ». Les deux combinés apporteront un « nouveau souffle » à une armée ukrainienne qui a souffert pendant des mois de la diminution de l’aide américaine, mais qui a réussi dans une posture défensive à empêcher l’armée russe de percer, sur 1,100 km de front sans compter l’extension de ce celui-ci au Nord dans la région de Kharkiv.

Cette arrivée tant attendue des F16… mais sur quelles bases les déployer ?

L’entrée en service des avions F16  – on parle de « déploiement opérationnel » – pose de nombreuses questions qui ne sont pas sans rappeler celles qu’avait soulevées la livraison de chars lourds à l’Ukraine en 2023.

La première question, à ce stade, est celle des bases de déploiement, tandis que la Russie a détruit plusieurs chasseurs ukrainiens sur les aéroports militaires les plus éloignés du front grâce à ses missiles (probablement des missiles balistiques Iskander).

Les bases sont cruciales pour des avions sophistiqués comme les F16, car c’est là que se joue l’essentiel de leur maintenance (le ratio est de l’ordre de 20 heures de maintenance pour 1 heure de vol, par des techniciens de très bon niveau) et de leur préparation opérationnelle. Autrement dit, on ne peut pas les déménager tous les « quatre matins » d’une base vers une autre.

La question suivante est bien sûr leur protection : y consacrer des moyens importants comme une batterie de missiles Patriot oblige à démunir une métropole alors que l’Ukraine manque cruellement de systèmes de défense aérienne, nous y reviendrons.

Se pose enfin la question du rayon d’action, qui est de l’ordre de 600 km pour un F16 alors que le front est plutôt éloigné de 900 km de la frontière polonaise et 700 de la Roumanie. Plus ces avions seront positionnés à l’ouest de l’Ukraine et plus ils seront obligés d’emporter des « bidons » supplémentaires de kérosène (aucun ravitaillement en vol n’étant envisageable actuellement), soit autant de munitions emportées en moins.

Un soutien partiel à partir des bases voisines de l’OTAN ?

Compte tenu de ces facteurs techniques et opérationnels, il est probable que certaines opérations de maintenance seront effectuées sur des bases de l’OTAN en Roumanie et en Pologne, en particulier celles qui nécessitent des infrastructures techniques sophistiquées et des opérateurs très qualifiés que l’Ukraine n’a pas le temps de former. Les aviateurs américains disent volontiers qu’il faut sept ans de formation et d’expérience pour maîtriser un système d’armes…

Mais faire décoller ces F16 directement des pays de l’OTAN pour une mission opérationnelle en Ukraine serait nettement plus sensible, les Russes disposant des moyens de tracer la route de ces avions et de montrer qu’ils viennent de pays qu’ils accuseraient aussitôt de rentrer en guerre contre elle.

En sens inverse, si les F16 décollent d’Ukraine avec des équipages ukrainiens, il serait particulièrement irrationnel de les empêcher de frapper en Russie des objectifs militaires. Le cas semble réglé pour la Crimée que les pays alliés de l’Ukraine (le groupe de Ramstein) considèrent comme un territoire ukrainien, mais cette question est toujours en discussion pour les bases russes, notamment celles d’où décollent les bombardiers qui terrorisent au quotidien la population ukrainienne (comme la frappe du 8 juillet sur un hôpital de Kiev).

Rescuers and volunteers clean up the rubble and search for victims after a Russian missile hit the country’s main children hospital Okhmadit in Kyiv, Ukraine, Monday, July 8, 2024. The daytime barrage targeted five Ukrainian cities with more than 40 missiles of different types hitting apartment buildings and public infrastructure, President Volodymyr Zelenskyy said on social media. (AP Photo/Anton Shtuka)

Rappelons-nous que le F16 n’est pas un avion « extraordinaire » mais une plateforme d’emport, et la question suivante est donc l’armement qu’il emportera pour ces missions. Ces munitions sont fournies principalement par les Américains et elles seront déterminantes pour l’efficacité de ces opérations aériennes qui commenceront vraisemblablement par la destruction des systèmes de défense antiaérienne russes.

Détruire en premier lieu les systèmes de missiles sol-air russes

En opération, ces intercepteurs et plus encore les avions qui voudront mener des frappes au sol devront se débarrasser des défenses sol-air russes, qui sont nombreuses et denses. Les F16 utiliseront pour ce faire les missiles HARM anti-radars déjà fournis par les Américains mais emportés jusqu’ici par de vieux Mig 29 qui ne pouvaient pas les utiliser de manière optimale.

Sans radar, les missiles de défense sol-air russes seront quasiment aveugles et l’aviation renouvelée de l’Ukraine pourra agir efficacement, de même que les missiles dont disposent les Ukrainiens comme les ATACMS. En effet, sur les sites les plus protégés, comme en Crimée et notamment le pont de Kertch, les Russes arrivent à intercepter une partie non négligeable des missiles qui les visent. Sans radars, ils seraient autrement exposés…

Lire aussi : Débarquement, Ukraine, Gaza, comment ces événements sont reliés

La Crimée constituerait alors un point de grande fragilité pour le pouvoir de Poutine. L’arrivée des F16 et la destruction des systèmes sol-air russes pourraient rendre invivable ce territoire volé et offrir en spectacle aux Russes un exode de la population si elle se sentait menacée, illustration de l’échec de Poutine dans son « opération militaire spéciale » pour laquelle il a sacrifié sans compter la vie des autres.

C’est probablement une des options qui s’offrent aux Ukrainiens, avec la possibilité de tenter une brèche sur la ligne de front pour déstabiliser le dispositif militaire russe.

La relation compliquée avec l’OTAN

Ces sujets ont probablement été débattus au sein de l’OTAN lors du sommet de Washington du 9 au 11 juillet dernier, auquel le président ukrainien a été invité. La partie émergée de l’iceberg est le statut accordé à l’Ukraine, pour lequel les pays membres se sont accordés pour dire que celle-ci avait vocation à rejoindre ce club de défense… une fois la guerre terminée.

Il faut se souvenir en effet que l’OTAN ne « peut » pas accueillir un nouveau membre qui serait en situation de guerre sans impliquer (à défaut d’obliger) ses 32 membres actuels à le défendre collectivement, ce qui les entraînerait de fait dans un conflit militaire contre la Russie. Le président américain Joe Biden est particulièrement réticent, en fin (et vieux) connaisseur de cette guerre froide où le risque d’une confrontation nucléaire interdisait tout engagement militaire direct contre l’URSS.

Est-ce encore d’actualité (ce risque, pas le président Biden) dans cette guerre contre l’Ukraine ? Même si Poutine se sert de l’argument de la menace de l’OTAN pour justifier ses pires actions, l’Alliance atlantique a toujours montré une très grande prudence et elle a tout fait jusqu’ici pour éviter cette confrontation. Mais désormais, les pays de l’OTAN partagent le fait que Vladimir Poutine – à défaut de la Russie – doit être arrêté, pour empêcher tout empire actuel ou à venir (comme la Chine) de menacer ce bloc occidental.

« arrêter Poutine pour empêcher tout empire actuel ou à venir (comme la Chine) de nous menacer »

Sur le terrain, ce dont les Ukrainiens souffrent le plus aujourd’hui, ce sont les bombardements russes sur l’ensemble de leur territoire quand les pays alliés discutent encore de l’opportunité de leur permettre de riposter et de neutraliser cette menace permanente.

Certes, la défense anti-aérienne ukrainienne sera encore renforcée (par un quasi doublement des moyens Patriot et SAMP-T au détriment de l’équipement de pays membres), mais cette défense ne sera jamais suffisante pour constituer un parapluie efficace : le territoire ukrainien à protéger est beaucoup trop vaste (encore plus grand que la France) et la Russie dispose d’une gamme trop étendue de moyens de bombardements (missiles balistiques, missiles de croisière, drones…) pour être complètement contrée dans ses attaques quotidiennes.

De fait, tant que Poutine sera au pouvoir, aucune paix durable ne sera envisageable, contrairement à ce qu’essaient de nous faire avaler ses chers et admirables amis…

Couverture The Economist de décembre 2015…



Pour approfondir,

La « mission de paix » de Viktor Orban à Moscou suscite un tollé dans l’Union européenne (Philippe Jacqué et Marie Jégo dans Le Monde)


La Russie de Poutine a apporté son soutien au Rassemblement national (Benjamin Quénelle, Philippe Ricard et Ivanne Trippenbach dans Le Monde)


Gaza, Le nombre de morts est largement sous-estimé (Théophile Simon dans La Tribune de Genève)


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20 commentaires sur “Poutine contrarié, l’Ukraine continue à résister et compte désormais sur l’arrivée des F16

  1. Cher Guillaume,

    J’apprécie ta persévérance. Mais le vrai risque après l’élection de Trump en novembre est le retour de l’isolationnisme américain avec le pivotement vers le Pacifique qui déstabiliserait l’OTAN.

    Quan à Orban, c’est le retour des vieilles rancœurs. Je me souviens d’une discussion avec un hongrois qui parlait parfaitement français qui m’a expliqué que les Hongrois n’avaient toujours pas accepté le traité de Versailles et le découpage de l’empire austro-hongrois qui en a résulté plus de 80 ans après… Le nom de Clemenceau comme fauteur de trouble était mis en avant.

    Poutine saura saisir l’opportunité en déstabilisant les pays baltes ou la Finlande et la Suède.

    Amicalement,

    Philippe

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  2. Bonjour

    Mes questions sont peut-être un peu idiotes . 1-La capacité de riposte de l’OTAN à une attaque nucléaire par la Russie est-elle un secret d’État ? 2-La Russie peut- elle lancer une attaque nucléaire surprise ? Je peux difficilement imaginer que la Russie puisse  »bouger » son armement nucléaire sans que des signaux s’allument à l’Ouest? J’imagine que le scénario du pire,c’est à dire le lancement d’une attaque nucléaire par la Russie ( hypothèse sans cesse rabachée par Poutine) est forcément pris en compte par l’OTAN voire par des pays dotés du nucléaire tels que l’Angleterre et la France . Je présume aussi que les plans de défense ( destruction des missiles)et de riposte (s) existent. Mais,on en sait peu sur le sujet –

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    1. Bonsoir Georges,
      Les mouvements des têtes nucléaires sont très surveillées, mais les missiles russes utilisés contre l’Ukraine ont une capacité d’emport nucléaire et une frappe pourrait être menée par surprise.
      Peu probable qu’elle puisse être interceptée à temps. Le « temps » viendrait alors d’une riposte, nucléaire ou avec des armes classiques. Cette riposte serait coordonnée et décidée au niveau de l’OTAN

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  3. Bonjour Monsieur Ancel,

    Est-il vrai que les Américains peuvent clouer au sol leurs avions F16 depuis leur territoire ? J’ai entendu cette affirmation sur un plateau d’Arte. Si cela est vrai, en est-il de même pour les avions achetés antérieurement à la crise ukrainienne par des pays européens ? Si cela est vrai, en est-il de même pour nos propres avions ? ( ou pour tout autre matériel militaire)

    Merci de votre retour et bonne semaine.

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    1. Bonjour,
      Les Américains ne peuvent pas le faire instantanément car ils n’ont pas de « commande » sur les F16 qui les neutraliseraient dans l’instant. Par contre ils peuvent priver le pays qui les utilisent des pièces détachées et des logiciels les plus sensibles et rendre progressivement ces avions obsolètes voir hors service.

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  4. En espérant que vous ne censurerez pas mon post, je ne vous attaque pas, je pose une question pour comprendre.
    Vous dîtes que Poutine est enlisé en Russie, comment expliquez vous que l’armée Russe prend villages après villages et souvent des positions stratégiques comme Chassov Yar.
    Merci

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  5. L’actualité décryptée avec intelligence, un regard militaire et humain, des liens toujours bien choisis. Et des tournures propres à un homme d’expérience dont on apprécie vraiment les retours, fussent-ils sous forme de livres, d’articles ou d’interviews.

    Merci Guillaume Ancel.

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  6. Comme d’habitude il y a les discours des hommes politiques et les faits. La France se glorifie en ayant fourni environ 5,135 milliards d’euros à l’Ukraine entre Février 2022 et le 1er mai 2024.

    Je me suis amusé à télécharger la liste détaillée de l’aide fournie par la France à cette même date. C’est disponible sur le site du Ministère des Armées.

    En ce qui concerne l’artillerie, la France a fourni DIX mortiers de 120mm, TRENTE fusils de précision (!) et 46.500 obus de 155 mm. ( La cadence de tir de l’artillerie Ukrainienne étant de minimum 5000 coups/jour cela représente la consommation d’une DIZAINE DE JOURS.

    Et QUARANTE missiles Scalp ( Storm Shadow en anglais) !

    Le reste du matériel livré a déjà souffert, ainsi sur les 30 Caesar livrés, 8 sont déjà hors de combat, sur les 38 AMX 10, quatre sont hors de combat et les 284 VAB ( avec 40 années au compteur) on vu 21 exemplaires hors de combat. ( sources Oryx)

    La France n’a toujours pas basculé en économie de guerre. Et avec les élus LFI et RN présents au – futur – gouvernement, la France verra sans aucun doute ses fournitures baisser de manière drastique !

    Je serais Zelenski, j’aurais beaucoup de mal à trouver le sommeil

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  7. S’il faut permettre une portée suffisante aux F16, il faut leur sanctuariser des bases aériennes au sud de l’Ukraine entre Mykolaiv et Odessa, voire même encore plus au sud du Dniestr, quitte à ce que leur protection à moyenne et longue portée soit réalisée de Bulgarie ou Moldavie.

    En évitant de trop s’approcher de la frontière russe reconnue, mais à portée de la Crimée et des oblast de Kherson et Zaporija à l’est du Dniepr, dont on pourrait ainsi pilonner infrastructures, bases et ce qui restent de ports éventuellement jusqu’à Marioupol, on pourrait ainsi occasionner des pertes significatives, pour ensuite prendre à partie les oblasts du Dombass (même si à terme il faudra peut-être en concéder une partie par traité de paix).

    D’autre part, qu’est-ce qui interdit à l’OTAN d’assurer la souveraineté aérienne et navale de l’Ukraine en mer noire puis en mer d’Azov, voire même de frapper les parties de territoire illégalement occupées de l’Ukraine, y compris des territoires alliés voisins roumain, voire turc, car l’OTAN s’est déjà engagé pour protéger des pays qui n’en faisaient pas partie comme la Bosnie, pour assurer la sécurité navale en Somalie ou aérienne comme en Libye?

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      1. Certes, mais l’OTAN n’a pas hésité à frapper en Syrie contre l’avis des russes, la Turquie n’a pas hésité à abattre un avion russe et je parie qu’en Afrique nous avons attaqué des troupes de Wagner…

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