La Grande Muette : la culture du silence dans l’Armée française

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Conférence débat à l’Université Jean Moulin (Lyon III) du 21 mars 2024

Animée par Sylvène Edouard, professeure des universités en histoire et doyenne de la Faculté des Humanités, Lettres et Sociétés.

Une conférence où je suis intervenu, en tant qu’ancien officier et écrivain français, auteur de « Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette » (Flammarion).

D’où vient cette culture particulière du silence dans l’armée, même si en pratique elle est présente dans de nombreux milieux ?

Pourquoi les anciens militaires anglais ou américains sont beaucoup plus présents dans les débats publics ?

Est-ce que le débat sur les conséquences de la guerre en Ukraine peut se tenir dans notre société quand les anciens militaires ne s’expriment (quasiment) pas ?


Comment rétablir un lien fort entre la société et une armée dont la première mission est de la protéger ?

Comment Saint-Cyr, la grande école de formation de l’armée de terre, forme les officiers à faire la guerre et à se taire ?

Il ne manquait que Stéphane Audoin-Rouzeau !

Lire aussi : Raconter la réalité, c’est trahir ?


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8 commentaires sur “La Grande Muette : la culture du silence dans l’Armée française

  1. Lecture passionnante, instructive – on est à l’école – et effrayante par sa brutalité et son inhumanité.

    Le bahutage est il nécessaire pour faire de ces hommes des militaires ?

    Bahutage = bizutage dans le civil, interdit en son temps par Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l’Enseignement scolaire.

    Les Français lambda ne voient dans St Cyr que de beaux et belles militaires en uniformes rutilants défilants fièrement sur les Champs Elysées le 14 juillet mais derrière tout cet apparat se cache une violence inacceptable de la part de gradés allant jusqu’à la mort d’un jeune aspirant Jallal.

    En 40 ans RIEN n’a changé.

    « Circulez, y a rien à voir. »

    Comment faire sortir la Grande Muette de son silence ?

    Par des hommes comme vous, Mr Ancel, qui osent parler à la TV et écrire sur leurs expériences. Ils sont hélas, peu nombreux et vous devez vous sentir bien seul dans cette narration.

    Merci de l’avoir fait.

    S Cazeneuve

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  2. Je débute la lecture de votre récit, que vous commencez par ce départ auquel assiste votre père.

    Engagée quelques années avant vous, je retrace peu à peu les décennies passées sous l’uniforme, un récit intime à l’intention de la génération de mes petites nièces, un récit qui débute également par la relation de mon départ sous les yeux de mon père colonel, saint-cyrien, ancien d’Algérie. Ou plutôt, par l’annonce de mon engagement qui déclenche colère, gifle et insulte : « Je n’ai pas élevé ma fille pour en faire une putain ! ».

    Car qui se souvient qu’à cette époque les engagées sont pour leurs homologues masculins des PPO, des « paillasses pour officiers » ? Que l’école interarmées du personnel militaire féminin envoie pour leurs bals des cavalières aux esseulés de Saint-Cyr, élèves sous-officiers vêtues de robes de soirée fournies par l’armée, entraînées à danser par leurs instructeurs quand elles devraient se cantonner aux enseignements militaires ? Une pratique renouvelée en école d’application, pratique à laquelle je suis parvenue à me soustraire au prix d’une mise au ban par l’encadrement.

    Je tente, par l’écriture, de comprendre comment la culture du « pas de vagues » a paralysé ma parole quand j’ai été victime, comment ce monde du silence s’est perpétué en sélectionnant de préférence des filles de militaires et de fonctionnaires. En effet, nombre de mes camarades de promotion étaient liées au monde militaire, un lien qui, de mon point de vue, a favorisé l’impunité de nos frères d’armes. Fille, petite-fille, arrière-petite-fille, nièce de militaires… comment aurais-je pu dénoncer à la police un officier sans jeter l’opprobre sur ma propre famille ?

    Le silence sur les violences subies, ma hiérarchie l’a obtenu en s’adressant à mon père, tout simplement, en lui intimant de me faire taire.

    Un acte isolé, pourriez-vous objecter. Pas tant que cela. Je citerais deux autres exemples :

    Alors que je réponds à une prospection pour une mission à l‘étranger, alors que toute ma hiérarchie y est favorable, le chef de corps de l’unité dans laquelle je sers refuse de transmettre ma candidature au motif qu’il a demandé son accord à mon père, lequel ne l’a pas donné. J’ai 27 ans, je suis mariée, j’ai plus de huit ans d’ancienneté et il me faudrait l’accord de mon père colonel en retraite pour partir en mission ? Manifestement, oui. L’armée est « une grande famille »…

    Et le temps ne fait rien à l’affaire. Il y a quelques années, je rencontre une jeune femme sortie dans les premières de sa promotion, affectée dans une unité prestigieuse, mais rapidement confrontée à des violences sexuelles. Face à l’injonction de silence décrétée par sa hiérarchie, elle se confie à son père, sous-officier à la retraite, lequel contacte le chef de corps.

    Que croyez-vous qu’il advient ? Le père dévasté est convoqué et littéralement mis au garde-à-vous par le colonel, sommé d’accepter que cela se règle « en famille ». Cela s’est terminé au tribunal, après que la jeune femme a mis un terme à son contrat et à ses rêves.

    Moi, je me suis tue et je suis restée militaire jusqu’à l’âge de la retraite, particulièrement attentive aux personnels dont j’avais la responsabilité, et à mes camarades en qualité de PSO. Mais j’ai rompu tout contact avec mon père. Le silence a un prix et un poids, que j’ai estimé devoir être partagés.

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    1. Bonjour Joelle, je suis touché par ton témoignage, la difficulté et ton courage d’avoir affronté même ta famille pour respecter ta manière de voir et tes choix. Les femmes seront enfin respectées dans l’armée dès lors qu’elles feront respecter sans négocier leurs droits et leur choix. Trop de silence, trop peu de femmes aussi pour changer cela. Mais une nouvelle génération nous bouscule heureusement avec sa capacité à communiquer, à parler… la fin de la Grande muette ?

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      1. Il est à espérer – mais la mentalité conservatrice de certains élèves-officiers refusant d’adresser la parole à leurs sœurs d’armes est préoccupante – que les petites avancées de la vie quotidienne dans les armées se généralisent et se pérennisent. Il a fallu des décennies pour que les rôles de porte-coussin, de préposées à l’accueil, au vestiaire, au service du café, à la garderie des enfants lors des cérémonies… ne soient plus « réservés » aux personnels militaires féminins, le tout organisé par note de service, ces activités étant alors perçues comme naturellement « féminines » par les hommes… comme par les femmes.

        Car trop nombreuses sont les femmes qui estiment encore que les différences de traitement par les uns ou les autres de leurs chefs et collègues sont le prix à payer pour exercer un métier qu’elles-mêmes perçoivent comme masculin, comme si elles devaient sans cesse mériter une « place » qui leur revient pourtant de droit.

        L’Institution se félicite d’une proportion élevée de femmes en son sein, en oubliant qu’elles sont concentrées dans certains services, armes et emplois, ce qui implique que beaucoup sont isolées, ne peuvent guère s’affirmer en toute sérénité et encore moins bousculer l’ordre établi. En effet, comment faire avancer les choses pour toutes quand on est concentrée sur sa propre précarité ?

        Aimé par 2 personnes

  3. Une des conferences les plus interessantes pour moi depuis des annees

    Ayant participe, comme specialiste de l Afrique du Nord, avec des militaires britanniques et americains de haut niveau a des echanges sur la guerre civile des annees en Algerie

    et la « guerre contre la terreur » j ai un immence rrspect pour vos analyses

    FG

    North Africa correspondent Financial Times 1977-1994

    Contributor to the BBC World Service

    Visiting Fellow Kings College London

    Researcher, CIDOB, Barcelona

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  4. Vous avez ouvert une porte qui va servir, ne serait-ce que comme vecteur, et il faut vous remercier, une fois encore et jamais assez, car ce n’est pas au Dormeur du Val que nous pourrons poser des questions ou avec qui nous pourrons discuter, même si on aurait bien aimé s’asseoir dans l’herbe avec lui et le faire un beau jour de printemps.

    Dans la conférence que vous avez donnée à Lyon III le 21 Mars 2024, vous abordez avec une grande intelligence les non-dits, qui ne sont pas confondus avec avec le secret professionnel, ainsi que la vulnérabilité physique et mentale des individus tout au long de leur expérience dans l’armée : de la formation, à la retraite, en passant par les diverses missions en opération et/ou guerre. Votre légitimité à pouvoir « causer du silence » est indiscutable.

    Très peu de gens sont parvenus à décrypter ce rapport pour le moins interloquant entre la lecture que vous faites de ce presque crédo :  « obéir c’est comprendre » (sous-entendu les ordres) propre à l’armée. Vous le dites aussi utile parfois, tel qu’illustré avec le meurtre de sang froid lors de la négociation au Cambodge ; qu’il peut être source de souffrances souvent non exprimées d’autres fois, comme avec l’exemple de  ce monsieur incapable d’évoquer la guerre d’Algérie en conférence, pourtant le sujet de son œuvre, qui faisait les 100 pas après s’être donné du courage à sa manière avant de prendre une parole incapable de sortir. 

    Tandis que c’est aussi cet « obéir sans chercher à comprendre »(sous-entendu les objectifs) qui engageait la responsabilité individuelle dans le cadre des condamnations à Nuremberg.

    Voilà qui va remettre un peu d’huile dans les rouages de nos méninges.

    Merci de nous rappeler que cette « ligne rouge », souvent mise en avant par le pays qui s’étend des frontières de l’Europe jusqu’au Japon, est avant tout située en soi et à des degrés différents en fonction de chaque individu, puisque notre unicité, notre conception et nos histoires propres sont aussi ce qui nous rassemble. C’est ce qui constitue encore la force de nos démocraties, et on peut le dire sans trop s’avancer : ce que nous auraient envié feu les combattants d’une certaine milice de mercenaires commençant par un W, dont le chef a chuté en plein air, ne leur ayant pas franchement donné le choix avant d’aller se faire massacrer dans la fleur de l’âge. Qui ne pense pas à plus tard a tort de se taire. Et comme dirait mon pépé Vital, qui avait fait les deux guerres mondiales et ne pouvait plus y penser sans avoir les yeux plein de larmes : prenons-en de la graine!(au risque d’exploser le budget Kleenex)

    Pour limiter la casse, merci aussi de cette phrase qui pourrait être une prescription : « C’est compliqué de résister, il est important de résister ». Là c’est mon arrière grand-père, Félix, arrêté par les nazis dans un tramway de France -qui a dû passer un sale quart d’heure ; et mon grand oncle, Georges, déporté à Dantzig pour travaux forcés qui en est revenu muet malgré des bonjours de courtoisie à sa soeur, ma grand-mère, qui vous remercient Guillaume.

    Les hommes ne rendent parfois pas compte qu’ils sont nos remparts et que nous les aimons. Les femmes ne savent peut être pas qu’elles sont aussi des piliers. Les hommes et les femmes savent-ils qu’ils peuvent être ces rôles et se les partager, à la maison comme à la Défense de leur pays? Je pose la naïve question ici car à eux je ne peux plus en parler. Les Ukrainiens, oui, mais nous? Sommes-nous prêts? 

    Merci de nous ouvrir les yeux sur une définition de la guerre comme une somme de situations imprévisibles. Dire que l’on doit prévoir, pour un parent à ses enfants, comme pour un gouvernement à ses citoyens, c’est aussi les protéger. Dès lors que les deux parties sont impliquées et présentes, pourquoi l’interaction serait impossible compte tenu des circonstances?

    Pour vos anciens compagnons qui n’osent pas parler, seule la volonté fait la différence, attendu qu’il s’agit de leur histoire… et qu’ils la connaissent.

    Moi non plus je ne savais pas ce que j’allais dire avant la confrontation directe avec Duch, alias Kang Guek Eav. J’ai même cru jusqu’au dernier moment au néant, imaginant l’humiliation qui irait avec car je n’aurais pas eu deux chances, et le fil s’est déroulé de lui-même. Mais bon… moi je suis capable de me faire des piqûres à moi-même et c’est pas une sardine crue qui m’arrêterait!

    Amitiés.

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