Face à un déconfinement progressif et fragile, nous rentrons dans une société d’incertitudes

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Un contexte complexe et inédit qui nous « oblige » à nous adapter.

Je ne crois pas que nous ayons jamais eu à gérer une telle situation. De fait nous manquons de repères et de références, mais à l’inverse nous avons une liberté de concevoir à la hauteur de notre méconnaissance, voire de notre ignorance du phénomène que nous traversons actuellement.
Pour résumer quelques traits saillants de ces dernières semaines, commençons par l’imprévisibilité. Lorsque nous avons été (mal) alertés de ce virus « chinois », nous avons été nombreux à penser qu’il s’agissait d’un épisode grippale violent mais gérable. De plus nous avions l’expérience du H1N1 et de nos surréactions coûteuses et inutiles, pas question de nous y reprendre. Nous avons même cru pouvoir isoler la contamination avec des mesures de quarantaine pour les Français rapatriés de Wuhan.
Une forme de répit avant la tempête dans une communication faussement rassurante, « nous avons fait tout ce qu’il fallait » et il nous en fallait peu pour nous rassurer…

Quand la tempête s’est levé,

en particulier en Italie où nous avons assisté incrédules à une catastrophe sanitaire tandis que différents foyers proliféraient en France. Des mesures de confinement étaient annoncées et contredites aussitôt par le maintien des élections municipales. Tout cela n’allait pas remettre en cause notre vie bien réglée de société : voter pour changer, manifester pour l’empêcher, contester pour alimenter les prochaines élections.
Mais là, à une vitesse que nous n’imaginions pas, les évènements se sont emballés. La propagation du coronavirus nous a donné le tournis alors même que nous ne dépistions que partiellement ses effets. Les hospitalisations s’accéléraient, les services de réanimation se remplissaient, nous allions être débordés par ce virus tandis que les médias nous hypnotisaient par le décompte des morts et le récit en boucle de souffrances désespérantes.

Nous avons basculé sans l’avoir réellement prévu

L’épidémie est devenue une pandémie, nous avons basculé sans l’avoir réellement prévu dans un confinement dont nous ignorions tout. Nous retenons nos souffles et nos sorties, nous applaudissons à 20 heures les personnels de santé, quitte à oublier le tiers des actifs qui nous permettent de vivre en confinement. Nous écoutons le langage martial d’un président inexpérimenté qui se rêve en guerrier alors que nous voulons la paix. La peur s’empare de nous, il faut se confiner sinon nous allons mourir, faire mourir les autres, tuer tout le monde…
Nos anciens sont cloîtrés dans une ultime demeure et les médecins se succèdent pour nous convaincre de les laisser faire et de les soutenir.

Puis vient le temps de l’incertitude,

aucune stratégie claire n’a émergé, seules les interrogations semblent se multiplier. Pourquoi de telles différences dans les mesures et les bilans, pourquoi la France semble souffrir plus que l’Allemagne, mais moins que l’Italie du nord ? Pourquoi ne faut-il pas mettre de masques alors que c’était la norme pour le H1N1 ? Ou est-ce seulement parce que nous n’en disposons pas en nombre suffisant ?
Les activités non essentielles sont quasiment à l’arrêt, la moitié des actifs du privé sont en chômage partiel, la société retient sa respiration et compte les secondes, mais les bonnes nouvelles n’arrivent pas. Pas de pic dépassé, pas de diminution importante des cas, ne vient qu’un tassement lent et décevant, un chiffre de morts que le décompte tardif des « seniors décédés hors de l’hôpital » rend illisible.

Une crise sanitaire qui ne finit pas de se propager.

Et pourtant nous sommes toujours là, au terme de cinq semaines de confinement, une éternité pour certains, un instant trop court pour ceux qui pleurent leurs disparus.
Et puis, sans que ce soit clairement dit, un tournant semble franchi. Un président sans emphase nous annonce enfin un horizon pour sortir progressivement du confinement. Ce sera le 11 mai, comme une référence au 11 novembre, la « capitulation de l’Allemagne » et la fin de la première guerre mondiale dont nous venons de fêter le centenaire, et son passage définitif dans l’histoire à défaut de nos mémoires.

Inventer un dispositif souple et réversible de déconfinement

Se déconfiner ? Mais dites-nous comment faire sans heurter les esprits, mettre en grève tous les « défenseurs » du service public ou terroriser ceux à qui l’on a dit qu’en s’enfermant chez soi, ils pourraient se (nous) sauver.
Aucun pays voisin ne prend les mêmes options, tandis que nous espérons une grande concertation. Les points de vue semblent s’épuiser, et l’opinion se lasser de ces débats stériles dont rien ne sort. Ni la chloroquine du professeur Raoult, ni les maladroites démonstrations de force et de faiblesses des militaires, pas plus que les outrances des extrémistes ou des polémistes n’apportent de solution.
En réalité nous allons devoir vivre avec cette menace, nous allons devoir sortir de nos terriers pour rejoindre ceux qui nous ont permis d’y rester, nous allons devoir nous confronter au danger que nous avions espéré éviter.
Et c’est sans doute là qu’est le changement le plus radical de notre société. Une société qui s’était installée dans la certitude, forte d’une puissance fantasmée alors que les humains sont fragiles et ont du mal à l’accepter.

Point de victoire ni de triomphe, pas de cérémonie ou de défilé, notre société a glissé : nous devons vivre différemment. Il est vrai que l’expérience de ces dernières semaines nous a aussi rappelé notre extraordinaire capacité d’adaptation. Ce qui nous semblait inimaginable – se confiner pendant des jours –, nous l’avons fait pendant des semaines. Alors profitons de celles qui sont devant nous pour nous préparer à vivre différemment. 

Naviguer sur des situations intermédiaires en « stades »

Nous pourrions commencer par inventer des situations intermédiaires entre la vie d’avant et une société globalement confinée qui nous mènerait tout droit à l’étouffement.
Nous pourrions organiser pour ce faire des « stades » qui caractérisent un niveau de mesures de sécurité et de précaution, bien établies et simples à appliquer. Ces stades présenteraient l’avantage de pouvoir évoluer par situation et par région, que nous percevons assez différentes entre Mulhouse et Toulouse.

Dans notre entreprise par exemple, nous envisageons de construire ces stades autour de la proportion de collaborateurs que nous pourrions rassembler sur nos lieux normaux de travail, cinq stades pour intégrer des tranches de 20%.
Cinq stades pour renforcer les mesures de précaution ou les desserrer au fur et à mesure de l’évolution de la situation de chaque implantation.
Cinq stades qui permettent aussi de gérer souplement les questions de confinement partiel, puisqu’ils correspondent aux cinq jours ouvrables de la semaine et peuvent indiquer ainsi un rythme de rotation des équipes, un jour sur 5, un jour sur 4, etc…
Cinq stades enfin pour s’adapter aux contraintes de chacun de nos collaborateurs, pour permettre aux managers de former les équipes qui pourront se rendre physiquement au travail en fonction de leur situation personnelle, et de les faire évoluer dans le temps. Nous avons en effet besoin de souplesse et de progressivité.

Dans les grandes agglomérations, un point critique réside dans l’utilisation des transports en commun et donc dans leur sécurisation. C’est à ce prix seulement (limitation de la densité et distribution obligatoire de masques notamment) que ces transports pourront être utilisés, sachant que le covoiturage pose davantage de problèmes de promiscuité. En effet l’habitacle réduit des voitures appelle à des mesures de protection encore plus contraignantes.

L’incertitude ne se gère pas, elle nécessite de s’y adapter.

En fait ce qui change désormais est que nous ne pouvons plus vivre « contre » le coronavirus, mais « avec » cette épidémie. Une épidémie qui peut durer et dont la seule certitude est que nous le connaissons fort mal.
En attendant la mise au point de traitements et peut-être ultérieurement de vaccins, il nous faut donc vivre avec ce virus tout en limitant les risques, mais sans pouvoir les éliminer.
Nous sommes rentrés dans une ère de profondes incertitudes à laquelle notre société n’est pas préparée. Vivre avec cette incertitude requiert en premier lieu d’accepter une part de risques, sans assurances, ni garanties. Nous devons renoncer à cette volonté de nous protéger de tout, au point de vouloir intenter des procès à toutes les décisions, avant même qu’elles ne soient prises.

Partager nos incertitudes

Dans cet environnement d’incertitudes, la peur n’est plus une arme, la réthorique de la guerre est définitivement déplacée et doit laisser place à celle de la réflexion et de l’adaptation. C’est le temps d’échanger largement de nos expériences et de les partager a minima au niveau européen, alors que la durée de cette période est à son image, incertaine.
Un autre levier d’adaptation réside dans la concertation, pas forcément pour faire émerger des consensus, mais pour partager ces incertitudes et éviter d’imposer des décisions qui seront de fait imparfaites.
Cette adaptation à l’incertitude appelle aussi une gestion particulière de la fatigue et du stress. Nous ne pouvons pas soutenir durablement la même charge de travail et de production, alors que l’incertitude génère une vigilance et une attention à la hauteur des fragilités qu’il nous faut désormais accepter, et pas seulement pour les plus vulnérables.

Cette nouvelle vie est-elle pour autant « désespérante » ? C’est peut-être aussi cela qu’il nous faut interroger, qu’espérons-nous maintenant que nos certitudes se révèlent plus que jamais dépassées…

PS: je suis preneur de vos commentaires et de vos réflexions dans la rubrique « répondre » un peu + bas ou sur mon mail indiqué en haut à droite, dans contact.

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