Débarquement, Ukraine, Gaza, comment ces événements sont reliés


Le premier lien évident entre le débarquement en Normandie de 1944, dont on on commémore les 80 ans, la guerre en Ukraine et le conflit qui ravage Gaza au Proche-Orient est le rôle clef des États-Unis face à la persistance d’empires aussi monstrueux que menaçants.

A se demander si le nazisme a vraiment disparu tellement ses descendants – à l’origine des partis d’extrême-droite – défendent aujourd’hui la Russie de Poutine qui – dans un revers de l’histoire que seule la collusion des extrêmes permet – ose se prétendre « pourfendeur du nazisme » tout en lui empruntant ses méthodes et en vénérant l’URSS…

Lutter contre ces empires menaçants – ceux qui nous promettent l’enfer si nous ne nous soumettons pas à leur domination – est sans doute l’autre point commun entre ces événements. Commençons par les commémorations du débarquement en Normandie qui ont à peu près l’âge du président américain Joe Biden et dont l’importance historique est d’avoir ouvert la libération de l’ouest de l’Europe, tandis que l’URSS chassait les nazis à l’Est tout en imposant la soumission aux pays qu’elle avait « délivrés » du fléau précédent.

La guerre ne se gagne pas par procuration

Le débarquement a servi de référence lors de la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023. Et lorsque les pays alliés qui soutenaient l’Ukraine la conseillaient dans cette opération périlleuse, les Ukrainiens ont répondu à plusieurs reprises que leur situation était quelque peu différente, en posant et reposant cette cruelle question : si les soldats américains (et canadiens) n’avaient pas débarqué en Normandie, mais s’étaient contentés de livrer du matériel et des conseils aux Européens, est-ce que vous auriez pu percer le « mur de l’Atlantique » et mettre en déroute les armées nazies ? Sans leur implication directe, est-ce que vous ne seriez pas encore sur les plages de Normandie ?

Cette contre-offensive ukrainienne a d’ailleurs échoué et elle nous interroge sur notre manque de détermination : pouvons-nous sérieusement espérer gagner cette guerre en Ukraine par procuration ? S’impliquer plus directement est l’objet même des débats actuels et des déclarations politiques au cours de cette commémoration du débarquement, qui marque à la fois la libération par la force armée du nazisme et l’émergence d’une menace grandissante représentée aujourd’hui par Vladimir Poutine.

S’engager pour contrer cet empire menaçant – que nous avons feint de ne pas voir venir pendant des années – inquiète d’autant plus que nous nous sommes laissés illusionner par ce fol espoir que nous ne serions plus concernés par la guerre…

Cruelle désillusion de devoir y revenir, même si en réalité un pays comme la France n’a jamais cessé de faire la guerre – sous la table – l’Ukraine étant la 34° guerre dans laquelle l’armée française est impliquée depuis la fin de la guerre d’Algérie.

S’engager au risque de faire une guerre… que nous faisons déjà

S’engager contre les agressions de la Russie fait peur, d’autant que Poutine ne manque jamais une occasion de nous menacer, notamment d’une attaque nucléaire contre nos cités, une menace répétée plus de 90 fois depuis le début du conflit en Ukraine. En effet, le pouvoir de Poutine repose d’abord sur la peur qu’il inspire (et que ses relais se chargent de diffuser), mais la réalité, en termes militaires, est que son offensive destinée à soumettre l’Ukraine est un échec à ce stade.
La preuve en est qu’il a viré « manu militari » tout son état-major militaire (le ministre de la défense et une quarantaine de ses adjoints et conseillers) ce qui est rarissime en temps de guerre, sauf face à un échec patent : Poutine croyait disposer de la deuxième armée du monde mais celle-ci n’a pas réussi à conquérir l’Ukraine après deux années d’une guerre impitoyable et incroyablement coûteuse pour la Russie.

Le point crucial, sur lequel les relais de Poutine essaient de nous faire dériver, est qu’il n’a jamais été question d’agresser ou d’envahir la Russie, mais de virer ses soldats du sol ukrainien, et de fixer (enfin) des limites que la Russie de Poutine ne pourra pas franchir : cela s’appelle l’arrêter.

Lorsque le président américain accepte enfin que les armes livrées à l’Ukraine puissent être utilisées contre toute cible militaire en Russie qui attaque les Ukrainiens, cela s’appelle de la « légitime défense » et ne constitue pas une agression contre la Russie, d’autant moins que cette dernière bombarde quotidiennement l’Ukraine et pour l’essentiel contre des cibles civiles.

Des MIRAGE 2000 pour l’Ukraine

S’engager plus correspond aux annonces du président français, Emmanuel Macron, de former plus de soldats ukrainiens et de livrer de nouveaux matériels comme les Mirage 2000-5.

Bien sûr qu’envoyer officiellement des instructeurs sur place correspond à une étape supplémentaire dans l’engagement. Bien sûr que les soldats français et des pays alliés qui sont déjà présents sur le sol ukrainien prennent le risque d’être blessés ou tués dans un bombardement russe… comme tous les civils ukrainiens ou ressortissants étrangers qui vivent aujourd’hui sous la menace permanente des bombardements russes dans cette guerre que Poutine seul a déclenchée.

Reconnaître formellement d’envoyer des instructeurs sur place, qui y sont déjà pour certains d’entre eux, marque un engagement plus important qui permet de former en plus grand nombre et plus efficacement les soldats ukrainiens (notamment aux manœuvres combinant différentes armes qui furent un point de faiblesse pendant la contre-offensive de 2023). Cela libère aussi des ressources militaires ukrainiennes précieuses parce qu’expérimentées pour rejoindre le front. Enfin, une installation sur place crée un lien beaucoup plus fort avec une armée en guerre et permet de préparer un engagement supplémentaire s’il était décidé.

Une décision courageuse du président Macron

La livraison annoncée d’avions Mirage 2000-5 mérite de s’y arrêter quelques instants.

Les Mirage sont les avions emblématiques de l’armée française au point d’ailleurs de freiner l’émergence d’un avionneur militaire européen.

Les Mirage 2000-5 sont destinés essentiellement à l’interception des avions de combat, c’est un matériel très performant de la dernière génération avant l’arrivée du Rafale. Équipés de missiles MICA, ils pourraient empêcher les bombardiers russes d’approcher suffisamment de la ligne de front pour lancer leurs bombes planantes destructrices dont ces derniers disposent de stocks considérables (contrairement aux missiles).

Ces Mirage 2000-5 pourraient ainsi contribuer à repousser les bombardements russes, à condition bien sûr de pouvoir tirer sur des avions qui seront probablement encore dans l’espace aérien russe, s’apprêtant à bombarder le territoire ukrainien. Cela correspond aux décisions annoncées par la plupart des pays alliés, qui ne concernent pas que le bombardement des troupes russes à proximité de la frontière, mais bien aussi la capacité d’interception des bombardiers, par des missiles sol-air comme les Patriot ou par des « chasseurs » comme les F16 qui arrivent en juin et les Mirage 2000-5 qui les complèteront ensuite. L’armée française n’en dispose que d’une trentaine d’exemplaires, mais elle pourrait livrer aussi d’autres versions du Mirage 2000 dont la redoutable version 2000 D destinée au bombardement au sol.

Famille des avions Mirage 2000

Cette décision du président français est importante, parce qu’elle s’est faite contre l’avis de l’armée de l’air qui opposait deux arguments. La série disponible est limitée en nombre et oblige les Ukrainiens à organiser un dispositif spécifique de formation et de logistique. L’autre argument – moins entendable mais courant dans les armées – était de ne pas se démunir alors que certains de ces avions n’ont pas encore été remplacés par les Rafale. A mon avis, le président Macron a eu raison de prendre cette décision, dont le risque est limité mais dont les conséquences sont importantes pour les Ukrainiens, parce que gagner en Ukraine prime sur l’establishment militaire dont l’analyse politique n’est pas la première qualité.

Détruire en premier lieu les systèmes de missiles sol-air russes

En opération, ces intercepteurs et plus encore les avions qui voudront mener des frappes au sol devront se débarrasser des défenses sol-air russes, qui sont nombreuses et denses. Les F16 utiliseront pour ce faire les missiles HARM anti-radars déjà fournis par les Américains mais emportés jusqu’ici par de vieux Mig 29 qui ne pouvaient pas les utiliser de manière optimale.

Sans radar, les missiles de défense sol-air russes seront quasiment aveugles et l’aviation renouvelée de l’Ukraine pourra agir efficacement, de même que les missiles dont disposent les Ukrainiens comme les ATACMS. En effet, sur les sites les plus protégés, comme en Crimée et notamment le pont de Kertch, les Russes arrivent à intercepter une partie non négligeable des missiles qui les visent. Sans radars, ils seraient autrement exposés…

La Crimée constituerait alors un point de grande fragilité pour le pouvoir de Poutine. L’arrivée des F16 et la destruction des systèmes sol- air russes pourraient rendre invivable ce territoire volé et offrir en spectacle aux Russes un exode de la population si elle se sentait menacée, illustration de l’échec de Poutine dans son « opération militaire spéciale ». C’est probablement une des options qui s’offrent aux Ukrainiens, avec la possibilité de tenter une brèche sur la ligne de front pour déstabiliser le dispositif militaire russe.

Poussée russe désespérée dans la région de Donetsk

En attendant la mise en service opérationnelle des F16 et probablement l’engagement des unités militaires ukrainiennes rééquipées par les alliés et qui sont gardées en réserve, l’armée russe de Poutine met toute la pression dont elle est capable dans la région de Donetsk, au cœur de la ligne de front qui fait 1,100 km, et non pas dans la région de Kharkiv au nord qui sert délibérément de diversion.

Mais cette armée russe dispose de moyens limités et en réduction parce qu’elle ne peut pas renouveler les pertes trop élevées causées par des offensives mal préparées et imposées par Poutine lui-même. La performance de l’armée russe en Ukraine est médiocre et elle se dégrade, tandis que l’armée ukrainienne est certes fatiguée mais probablement en train de préparer une capacité offensive, limitée mais dangereusement déstabilisante pour la Russie.

La guerre de Netanyahou contre Gaza affaiblit la capacité d’engagement des Américains en Ukraine

Le conflit au Proche-Orient, malgré les 2,000 km qui les séparent, a un impact direct sur la guerre en Ukraine. En effet, les Américains ne disposent pas de moyens militaires extensifs et la sécurité d’Israël est une priorité absolue dans l’allocation de leurs moyens. Tant que ce conflit se prolongera, leur engagement en Ukraine restera plus compliqué.

Le président américain, notamment pour des raisons électorales, cherche à obtenir un cessez-le-feu à Gaza. Depuis deux semaines maintenant, il propose et soutient une initiative issue directement du cercle de Benyamin Netanyahou, que l’administration américaine avait sommé de définir les conditions acceptables d’un accord. En annonçant ce plan comme une « proposition israélienne », Biden piège Netanyahou qui ne dispose plus d’aucun élément objectif pour refuser ce cessez-le-feu, alors que le Hamas semble vouloir l’accepter.

Gaza, la course au cessez-le-feu

Mais si Biden a tendu une forme de piège à Netanyahou, ce dernier n’a pas du tout l’intention de céder pour autant, en cessant son offensive dévastatrice contre Gaza. En effet, son plan mené depuis 8 mois maintenant n’a de sens que s’il l’achève : Netanyahou veut détruire la bande de Gaza et la rendre totalement invivable à la population palestinienne, tandis qu’en parallèle il achève aussi de mettre la main sur la Cisjordanie.

A Palestinian worker walks amid debris at a water desalination plant that was hit during a strike in Nuseirat in the central Gaza Strip on June 7, 2024, as the ongoing conflict between Israel and the Palestinian Hamas militant group continues. (Photo by Bashar TALEB / AFP)

Le président Biden voudrait, lui, obtenir cette sortie de crise au Proche-Orient pour aider sa campagne électorale aux Etats-Unis et pour concentrer une partie de son aide militaire sur une stratégie efficace en Ukraine quand de nombreux Américains se demandent si tout cet argent dépensé en Ukraine ne serait pas mieux utilisé ailleurs, en l’absence de résultats tangibles.

L’enjeu d’un cessez-le-feu est donc crucial, en premier lieu pour les Palestiniens dont près de 15% de la population est désormais victime de cette guerre (70,000 morts et 3,5 fois de blessés, soit 315,000 victimes /2,4 millions de Gazaouis). Cet accord permettrait de stopper une offensive disproportionnée et dévastatrice qui ne peut pas être acceptée même au regard de l’attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre (1,400 morts et disparus). Ce cessez-le-feu serait un atout considérable pour Biden dans l’élection présidentielle, pour montrer sa capacité à stabiliser la situation internationale et justifier un effort de guerre indispensable pour déstabiliser le pouvoir menaçant de Poutine.

Seule l’Europe a la taille nécessaire pour se défendre efficacement de ces empires menaçants

Les commémorations du débarquement en Normandie nous rappellent combien il est nécessaire de s’engager lorsque notre avenir est en jeu, comme ces générations du siècle dernier l’ont fait.

A nous aussi de faire preuve de clairvoyance, quand la propagande cherche à nous aveugler : la guerre est nécessaire quand il s’agit de défendre nos intérêts vitaux et notre sécurité, mais la guerre ne se gagne pas par procuration, ni d’ailleurs par des opérations criminelles comme le fait Netanyahou aujourd’hui à Gaza et en Cisjordanie.

Nous n’avons jamais eu autant besoin de lutter contre les extrémistes, quelle que soit la couleur ou la religion derrière laquelle ils cherchent à se camoufler. Et dans ce contexte, les élections européennes représentent un enjeu majeur pour l’avenir et la sécurité de l’Europe, parce que seule l’Europe a la taille nécessaire pour se défendre efficacement contre ces empires menaçants.




Pour approfondir,

Les enjeux européens de défense vus depuis Riga (Colonel Jean Marsia sur la RTBF)


Suivre la situation sur le front en Ukraine avec Macette @Escortert


Un Russo-Ukrainien placé en garde à vue pour un projet d’action violente en France (Soren Seelow dans Le Monde)

11 commentaires sur “Débarquement, Ukraine, Gaza, comment ces événements sont reliés

  1. Si nous voulions vraiment promouvoir nos avions nationaux, ce ne sont pas des vieux Mirages monomoteurs, monoplaces (hors version D) et mono-rôles qui conviendraient contre des avions bimoteurs et surtout bien plus agiles, y compris de même génération. A la limite, il vaudrait mieux les faire intervenir sans préalable avec nos aviateurs entrainés au titre de l’OTAN au dessus des pays voisins protégés, en Roumanie ou Pologne, voire Moldavie pour empêcher les incursions russes ou abattre leurs vecteurs. Quitte à former des aviateurs ukrainiens, au moins formons les sur nos meilleurs avions Rafales pour aussi entretenir nos lignes de production, puisque nos Mirages ne sont plus produits.

    Ce n’est pas un bon choix militaire ni industriel et sans doute pas politique non plus.

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  2. La France prend enfin des décisions intelligentes et audacieuses ! Guillaume, il n’y a point besoin d’une armée Européenne pour assurer la défense des nations européennes ! Une telle armée nécessiterait la formation d’une Fédération Européenne, or les peuples européens n’en veulent pas ! Une fédération dans le cadre du fonctionnement de l’UE reviendrait à toujours plus de perte de souveraineté et à un éloignement des prises de décisions politiques pour le peuple. L’UE a jusqu’à présent servi principalement les intérêt de l’Allemagne au détriment de la France qui elle s’est affaiblie dans cette union afin de satisfaire aux désidératas de sa partenaire. Il est tant que la France reprenne le leadership en Europe et la guerre en Ukraine est à ce niveau une occasion inespérée. Reprendre le leadership pour obliger l’UE à se réformer et à retrouver une tonalité moins technocratique et élitiste et plus démocratique… La France produit un des meilleurs tanks, meilleur que les Américains et Allemands, et elle va en produire en masse via un partenariat avec l’Inde. Le Leclerc est d’une technologie éprouvée, c’est lui qu’il faut privilégier pour apporter de la masse rapidement pour l’Europe de la défense, défense dont la France souhaite plus ardemment l’émergence que l’Allemagne une fois encore ! Nous avons la technologie, les compétences et le recul, pourquoi ne pas proposer aux Ukrainiens de les fabriquer conjointement avec nous ?! Par ailleurs nous allons avoir besoin d’un gros porteur, or les Ukrainiens ont un savoir faire en la matière, il est temps de créer des alliances stratégico-industrielles intra europe qui nous seront profitables dans le futur plutôt que de sans arrêt quémander un peu de respect auprès des Allemands qui par bien des façons ont la fâcheuse tendance à nous dédaigner, pour se tailler la part du lion !

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