Guerre en Ukraine, Pokrovsk va tomber, sans provoquer d’intérêt ?

Après des mois de combat, la ville de Pokrovsk en Ukraine est sur le point de tomber. Inutile de croire que cette situation peut être renversée à court terme, car les Russes ont concentré des moyens considérables pour s’emparer de cette ville qui constitue une place forte importante dans la défense de ce qui reste du Donbass ukrainien.

La bataille de Pokrovsk fait aussi apparaître plusieurs changements importants dans cette guerre russe contre l’Ukraine qui dure depuis bientôt quatre ans.

Le Monde


Pokrovsk, bataille perdue mais pas terminée…

Malgré les dénégations des uns ou des autres, la ville n’est plus défendable dès lors qu’elle est prise en étau dans une mâchoire qui se referme inexorablement sur elle, au Nord comme au Sud. Pas la peine d’avoir fait Saint-Cyr pour comprendre qu’il vaut mieux ne pas rester dans une gueule qui se referme…

ISW

Les Ukrainiens opposent une résistance acharnée à la pression russe qui se concentre sur Pokrovsk, et la bataille n’est pas encore terminée, probablement une affaire de semaines, si ce n’est de jours compte tenu de sa situation. ‪Les Ukrainiens résistent pour infliger des pertes et ralentir l’armée de Poutine, mais en réalité, la ville de Pokrovsk est perdue d’un point de vue militaire puisqu’elle n’est plus défendable à terme.

Changement de tactique de l’armée russe pour économiser ses moyens

Cette bataille de Pokrovsk illustre aussi plusieurs changements d’importance, notamment la volonté de l’état-major russe d’économiser ses moyens, signe s’il en fallait que la prise de cette ville ne constituera pas un tournant dans ce conflit. Après avoir vainement lancé des attaques frontales « à la soviétique », un peu comme pour la bataille de Bakhmut en 2023 qui avait vu Prigojine émerger des décombres avant qu’il ne soit englouti à son tour par cette guerre contre l’Ukraine, l’armée de Poutine a changé de tactique à Pokrovsk, dans un effort considérable d’adaptation et d’économie de ses moyens.

Lire aussi : Bataille de Bakhmut, le piège dans lequel les Ukrainiens ne sont pas tombés

Pour faire simple et au risque de caricaturer une situation complexe, l’armée russe a troqué son rouleau compresseur – qui se voyait infliger des pertes considérables – pour un étranglement de la logistique ukrainienne avec une saturation de drones sur ses arrières et l’infiltration de petits groupes de combattants au sein de la ville-citadelle. Ces équipes limitées sont difficiles à détecter et à intercepter, elles « polluent » la ville de Pokrovsk jusqu’au moment où celle-ci en deviendra à proprement parler intenable.

Situation Pokrovsk @PouletVolant3

De fait, l’armée russe s’adapte à une situation compliquée où Poutine lui impose d’avancer à tout prix et de lui ramener des gages aux fins de sa négociation, alors même que l’armée ukrainienne lui inflige des pertes sévères, même si la capacité de renouvellement du côté russe est bien supérieure aux possibilités de la résistance ukrainienne.

Pokrovsk sera un gain dans la négociation de Poutine avec Trump

Rappelons le contexte de négociation tendue entre un président américain, Donald Trump, qui veut lui aussi obtenir à tout prix la fin de la guerre à défaut d’une paix durable et le maître du Kremlin, Vladimir Poutine, nécessiteux d’une victoire pour justifier cette guerre contre un  » pays frère « , qu’il n’arrivera pas à gagner dans sa totalité.

Lire aussi : Après Gaza, Trump veut imposer la fin de la guerre en Ukraine, mais à quel prix ?

Au mois d’octobre, l’avancée globale de l’armée russe est de 240 km2 – pareil qu’au mois de septembre – ce qui représente une vitesse de 0,5 % du territoire ukrainien par année de combat. A cette vitesse là, il faudrait deux siècles à Poutine pour soumettre son petit voisin de 600 000 km2…

Pour la région de Donetsk, où se situe la ville de Pokrovsk, l’armée russe a envahi par la force 76 % du territoire.

Mais dans l’esprit de Poutine, il ne lui faudrait qu’un à deux ans de combat supplémentaire pour s’emparer du reste de la région de Donetsk, tandis qu’il dispose déjà de la quasi-totalité de celle de Luhansk, l’autre région constitutive du Donbass.

Bilan octobre 2025 @PouletVolant3

La ville de Pokrovsk va tomber, même si la bataille n’est pas encore terminée, son sort est plié. Et la guerre russe contre l’Ukraine va continuer, aussi longtemps qu’un accord ne permettra pas de sortir de cette impasse militaire.

Mais sommes-nous encore intéressés par Pokrovsk et les conséquences de cette guerre en Ukraine ?

L’autre changement important observable dans la bataille de Pokrovsk est le peu d’intérêt qu’elle suscite dans l’opinion publique de la plupart des pays européens, à l’exception des voisins directs de la Russie et de l’Ukraine. La bataille de Bakhmut deux ans plus tôt avait pourtant créé un questionnement considérable… Force est de constater une forme de lassitude et de normalité dans laquelle cette guerre contre l’Ukraine s’est installée au cours de ces quatre longues années.

Nos sociétés, qui ont tremblé de peur au début de cette guerre – peur notamment d’avoir à faire la guerre –, se sont habituées à cette confrontation qui ne les touche qu’indirectement, même si Poutine menace les pays européens d’une attaque nucléaire ou les provoque régulièrement.

Lire aussi : La grammaire nucléaire ne dessert pas la guerre

En France, l’opinion publique est plus préoccupée aujourd’hui par la polémique sans fin sur la réforme des retraites ou le débat abyssal sur les finances de l’Etat que par l’évolution d’une guerre qui n’affecte pas directement son quotidien. Avec des extrémistes, RN et LFI, qui s’efforcent de marginaliser ce danger pourtant existentiel et qui entretiennent une relation plus qu’ambiguë avec Vladimir Poutine, la guerre russe contre l’Ukraine a perdu de son importance dans nos sociétés.

Dans ce contexte, la bataille de Pokrovsk retient peu l’attention, alors qu’elle joue un rôle évident dans la suite du conflit et dans la négociation qui se tient actuellement.

« ne pas abandonner notre sécurité aux extrémistes les moins patriotes et les plus soumis »

Le sort de Pokrovsk est plié, mais la guerre contre l’Ukraine est loin d’être terminée : nous sentons-nous encore assez concernés pour ne pas abandonner notre sécurité aux extrémistes les moins patriotes et les plus soumis ? La réponse n’est pas sur la ligne de front, mais dans nos esprits.

Carte des actes hostiles menés par la Russie en septembre et octobre contre les pays européens (ISW)



Pour approfondir,

Guerre en Ukraine : la bataille de Pokrovsk entre dans sa phase finale, par Emmanuel Grynszpan (Le Monde)



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14 commentaires sur “Guerre en Ukraine, Pokrovsk va tomber, sans provoquer d’intérêt ?

  1. Quel est l’intérêt de défendre un no man’s land complètement détruit, sinon d’y contrer des infiltrations ennemies, d’autant plus difficiles à terrain presque découvert, après toutes ces destructions ? Il me semble plus intéressant d’y laisser se concentrer des troupes aguerries et de frapper ailleurs, comme tout bon principe de guérilla du faible au fort l’enseigne. Certes Pokrovsk est bien plus vaste que les villages français complètement détruits et non reconstruits du nord à l’est de la France pendant la première guerre mondiale mais, sans prétendre à un blitzkrieg, la guerre de mouvement me semble bien plus efficace aussi bien à court qu’à moyen terme que cette guerre d’attrition dont on devine aisément le résultat, même si la défensive est moins coûteuse en pertes humaines que l’offensive, tant la Russie dispose de réserves aussi bien militaires qu’économiques, voire politiques. N’y a-t-il pas d’autres terrains plus favorables riverains de la Mer Noire et stratégiquement plus intéressants que ce Dombass frontalier avec la Russie dont on devine déjà le sort en cas de cessez le feu, d’armistice ou même de paix ?

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  2. Votre affirmation définitve : »Pokrovsk va tomber , c’est plié  » me choque , venant d’un ancien militaire parlant d’amis. On pourrait la remplacer par un « vous êtes vraiment c.. de mourir pour rien » à l’adresse des concernés. L’histoire militaire est pleine de combats logiquement ingagnables qui se revèlent finalement l’avoir été. Les militaires ukrainiens ont toujours fait preuve de souplesse, d’imagination et d’adaptation. La meilleure preuve étant qu’ils résistent encore . Pourquoi ont-ils décidé de s’accrocher encore à ces deux villes maintenant détruites ? Que gagneraient-ils de sortir fissa de la poche ? S’estiment-ils, eux, désespéremment encerclés ou sont-ils assuré de pouvoir encore évacuer et que le risque est compensé par ce qu’ils font subir aux Russes. Reculer leur imposera-t-il de déplacer leur défense dans des conditions moins favorables ? Dans l’histoire militaire, un « chaudron » se referme en quelques jours, voir quelques semaines, pas en un an ! Zélenski aurait dit qu’ils se battent à un contre huit . C’est un déséquilibre énorme, pourtant les russes ne les submergent pas malgré leur persévérance à essayer. Sortir de la poche ne stabilisera pas le front, elle déplacera seulement le front, comme l’ont fait les chutes de Bakmout ou d’Aviska. Apparemment, si Zélensky n’hésite pas à visiter le front, (contrairement aux chefs russes), il semble laisser une grande liberté de décision à l’Etat major (est-ce vrai ?) et les militaires ont montré qu’ils suivent leurs objectifs selon leurs propres impératifs, sans se préoccuper des incertitudes diplomatiques, en autres des foucades de Trump ou des contorsions sémantiques de Poutine . Sur ces points, je souhaiterais votre avis

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    1. Bonjour,
      nulle condescendance dans mes propos, je ne m’adresse pas aux militaires ukrainiens qui font leur métier le mieux qu’ils peuvent, mais je décrypte une situation sans laisser de place à la guerre de l’information.
      La situation de Pokrovsk est effectivement pliée mais la résistance ukrainienne permet de ralentir l’avancée russe et d’infliger des dégâts considérables aux forces russes.
      Le point qui me semble important dans cet article est le manque d’intérêt porté au sujet après 4 ans de guerre, durée de la première guerre mondiale dont on fêtait la fin ce 11 novembre

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  3. Alors que la chute de cette ville Ukrainnienne parait imminante, sauf retournement surprise de situations, je me demandait si les Russes allaient dans l’euphorie de la victoire, venir fêter cette comquêtes si préçieux pour leur président, dans un grand pélerinages, traversant le désert de Sibérie, ce nourrissant d’air et de glace, à défaut d’amour et d’eau fraiche, et telle des lemmings converger en se point totalement insignifiant en terme de térritoire pour la Russie, et célébré avec la poignée de survivant parvenue jusque là, l’ambitions térritoriales de Vladimir Poutine!

    En tout cas à défaut de manifester devant les fenêtres du kremelin, la soçiété Russes subits de plus en plus le prix de la guerre qui au delà des pertes « au front » impacte désormés leur quotidiens. Arrivera-il un moment ou celle-çi rejetera cette situation et mettra fin à cette guerre qui n’apportera rien au Russes et ne se justifie que vis à vis de l’égo de leur président? En attendants les morts s’accumulent dans le sillage du lent grignotage du tériitoire Ukrainnien qui à eu le malheure d’attiser les convoitises d’un dirigeant qui ne s’intéresse guère à ceux qui l’on élue…

    Salutation, Ludovic Melin

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  4.  » POKROVSK VA TOMBER  » Humour ( même dans une situation militaire périlleuse) :  » Je ne m’appelle pas Madame Irma et je n’ai pas de boule de cristal pour prédire l’avenir …. » Ce n’est pas encore fait et les Ukrainiens défendent leur terre et leur civilisation tournée vers l’Europe ! 

    Autre note d’humour concernant les Français . Ce sont eux qui ont inventé le concept touristique du  » CLUB MED  » . Depuis plus de quarante ans, le pays veut absolument  y vivre et malheureusement à crédit ….Rassurez-vous ( et c’est l’historien et politologue belge que je suis qui parle ! ) :  la population francophone du centre et du sud de la Belgique désirent la même chose. Raison pour laquelle les institutions les gouvernant sont financièrement au bord de la faillite ! 

    Je termine par une anecdote: le bourgmestre ( le maire en France ! )  de la ville de Louvain est interrogé par un journaliste…. . » Cessez de croire que les hommes politiques sont des imbéciles, incapables d’apprécier la situation et de prendre les décisions qui s’imposent ! Le problème : s’ils prennent ces décisions, ils savent qu’ils ne seront pas réélus lors des prochaines échéances  »  MORALE : le citoyen a les hommes politiques qu’il mérite ! 

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  5. Guillaume , lisez la campagne de Russie de Napoleon 1er et la debacle d’Hitler en 1945 — et vous comprendrez plus qu’un long discour ce qui se passe a Podrovsk ..

    Il faut savoir lire et se souvenir des enseignements de l ‘Histoire avec une grand H …..

    Amities

    Sergio

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    1. ATTENTION : les événements historiques ne se répètent jamais de la même façon . Napoléon a conquis Moscou et les Polonais , en leur temps, aussi. En décembre 1941 , Moscou a été sauvée parce que Staline s’était approprié l’est de la Pologne en 1939  et , partant, augmenté la profondeur stratégique de l’URSS ( bêtise de Hitler ! ) Le Russe, depuis des siècles, n’a connu qu’une  courte période de démocratie ( 10 ans sous Eltsine ) : sans généraliser aucunement, il est inculte politiquement, manipulable et prêt à sacrifier sa pauvre  vie pour une poignée de roubles ! L’Ukrainien,lui, défend sa terre, sa vie, son pays et son avenir vers l’Occident. L’Europe ( sans les USA ) doit le soutenir.  Poutine a déjà perdu : il a ruiné sa réputation, son pays et l’image de celui-ci dans le monde. 

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      1. Qui me repond ? sans doute une humoriste ?

        car si les evenements historiques ne se repetent pas à l’identique –

        Plusieurs Grands litteraires nous apprenent que « si on oublie le passé on est condamné à les revivre » ..

        et comme Guillaume Ancel place sont blog sous une belle phrase de Jaures ..

        je pense qu’il sera d’accord avec moi –pour inviter tous ses lecteurs à relire les pages de Jaures sur la guerre à quelles annees de la boucherie de 1914 –

        Ces pages ont « motivé » son assassinat politique pour lequel son tueur n’a PAS été condamné par la justice francaise (ce tueur ne s’appelait t il pas Raoul Villain ?…tout un symbole .!!..) ……………………………………………………. Sergio

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  6. Je partage ton analyse, qui, chez nous semble en ce moment se soucier de Pokrovsk? Xavier Tytelman a sa chaîne Youtube pour heureusement apporter lui aussi son éclairage.Le plus triste c’est de voir qu’on attache plus d’intérêt à Gaza qu’à un conflit en Europe. Les pro islamistes sont très actifs en France et affaiblissent le sentiment anti russe nécessaire.Slava Ukraini! Haut les cœurs!Philippe 

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    1. Bonjour

      et les pro premier ministre israélien (génocidaire d’enfants, Mr Ancel l’a dit) est fortement soutenu par la droite soit disant républicaine et l’extrême droite. Non ? Cela ne vous fait rien cette ambiance générale que ce criminel fait le travail à notre place de nettoyer le monde des arabes

      la civilisation européenne est en danger de l’intérieur avant tout Messieurs

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  7. Analyse éclairante, merci. Il n’est pas surprenant que le désordre politique actuel de la France, soigneusement entretenu par le RN et LFI qui espèrent en tirer profit, et par ailleurs sont obliquement pro Poutine, prenne le pas dans les esprits sur la guerre d’agression du dictateur du Kremlin. La force du quotidien immédiat et de proximité est supérieure à la situation du voisin de l’Europe.
    Mais au moins le martyre du peuple ukrainien devrait figurer en numéro deux des préoccupations et générer une volonté de soutien assez évidente pour que le dictateur du Kremlin en tienne compte.
    L’ennui est que cette néfaste insuffisance de soutien de l’opinion au peuple ukrainien existe aussi, à des degrés variés, dans toute la partie de l’Europe qui n’est pas proche de la zone de guerre.
    Et le sieur Poutine est certainement très bien renseigné à ce sujet.

    L’auteur de ce blog l’a déjà antérieurement rappelé : la guerre ne s’évite ou se gagne pas exclusivement par l’armement, mais aussi par l’état des esprits.

    Aimé par 2 personnes

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