
Pourquoi parle-t-on autant de nucléaire ces derniers temps ? Poutine annonce que son armée a testé de nouvelles armes nucléaires « invincibles », tandis que Donald Trump veut reprendre les essais nucléaires. La Biélorussie va déployer des missiles russes et la France communique sur la mise en service d’une nouvelle génération de missiles (des M51.3 pour être précis) sur ses sous-marins nucléaires. Cela fait beaucoup de nucléaire en une semaine. Ce n’est pas anodin, c’est destiné à faire peur ou à rassurer, donc cela doit être replacé dans le bon contexte pour être compris.
Exhibition d’armes nucléaires par Poutine parce que son armée est fragilisée
Dans les faits, les négociations pour trouver un accord de sortie de guerre en Ukraine se trouvent être dans une phase de tension. Le président russe, qui se voit en tsar alors qu’il est avant tout le chef mafieux d’une société mise à terre, a besoin d’arguments militaires pour peser dans la négociation puisque son armée est incapable de soumettre l’Ukraine, un pays « frère », cinq fois moins important que l’empire présomptueux de Poutine.
Par conséquent, le maître du Kremlin a besoin, une fois encore, d’exhiber son arsenal nucléaire, peut-être le dernier argument de puissance d’une Russie exsangue militairement, économiquement et socialement.
Lire aussi : Se préparer à un choc avec la Russie ?
Après avoir menacé plus de deux cents fois l’Europe d’attaque nucléaire pour la raison qu’elle contribue largement à la résistance ukrainienne, la Russie de Poutine met en scène de nouvelles armes censées effrayer tout adversaire et paralyser toute opinion publique, tels le « missile de croisière à propulsion nucléaire » ou le « drone sous-marin à capacité nucléaire ».
Ces armements nucléaires ne sont pas nouveaux, mais ils servent d’arguments politiques dans une négociation où Poutine paraît affaibli
Le missile de croisière à propulsion nucléaire est supposé bénéficier d’une autonomie (et donc d’une portée) quasi-illimitée, mais il est loin d’être invincible, pas plus que ne l’est le missile « hypersonique » Kinjal, annoncé aussi par Poutine en 2023, qui a pourtant été intercepté par des missiles américains Patriot au-dessus de l’Ukraine.
La Russie développe ce programme de missile à propulsion nucléaire depuis plusieurs décennies et a surtout essuyé de nombreux échecs, le mini-réacteur nucléaire de cet engin étant difficile à maîtriser et ayant déjà explosé.

Le principe du missile de croisière est assez classique : c’est un vecteur qui vole à une vitesse limitée (d’où l’expression » vol de croisière « ) contrairement aux missiles balistiques qui se déplacent à plusieurs fois la vitesse du son (et sont qualifiés d’hypersonique). Cette vitesse limitée permet aux missiles de croisière des trajectoires complexes pouvant aller jusqu’à suivre les mouvements de terrain, ce qui les rend difficilement détectables pour des radars au sol, mais pas pour des détecteurs aéroportés ou spatiaux.
La seule particularité du missile russe Bourevestnik est son autonomie, digne d’un drone
La particularité du missile de croisière russe « révélé » par Poutine est sa propulsion par un mini-réacteur nucléaire qui lui confère une autonomie très importante (au même titre que les sous-marins ou les porte-avions dits nucléaires). Ce mode de propulsion a été étudié et abandonné par tous les autres pays, à l’exception de son usage pour des missions d’exploration spatiale, parce que ce « moteur nucléaire » est très polluant en soi, tant et si bien que les experts appellent ce type d’engins des « Tchernobyl volants ».
Lire aussi : Le missile russe Bourevestnik, arme psychologique de Vladimir Poutine destinée à effrayer les Occidentaux, par Claire Gatinois et Chloé Hoorman (Le Monde)
Concernant les caractéristiques du missile de croisière russe, il entre dans la catégorie des missiles Tomahawk américains, dont la portée – largement suffisante – est limitée à 2 000 kms. Mais ce missile Bourevestnik est d’autant plus détectable qu’il vole longtemps et d’autant plus interceptable qu’il vole relativement doucement (en dessous de la vitesse du son).
Ce missile de croisière russe, s’il est armé d’une charge classique, est nettement moins dangereux que le Kinjal utilisé couramment contre l’Ukraine. Dans sa version dotée d’une charge nucléaire, il devient un missile de croisière « comme un autre » et, dès lors, n’est plus une arme de guerre mais un dispositif de destruction de masse, un engin de suicide collectif qui ne s’inscrit pas dans le karma de Poutine, se rêvant éternel.

Autrement dit, ce missile russe, en-dehors d’être dangereux pour l’environnement, ce qui peut sembler superfétatoire compte tenu de son objectif premier, ne présente pas d’autre intérêt que d’attirer l’attention sur l’arsenal nucléaire russe déjà pléthorique…
Donald Trump réagit avec la même grammaire
Donald Trump, en pleine négociation, a réagi avec son habituel sens du tact et de la mesure, en annonçant la reprise des essais nucléaires aux Etats-Unis pour montrer à Poutine que ses arguments de discussion étaient dilatoires.
Le président américain n’a évidemment pas consulté ses experts en armement… car ces derniers n’auraient pas manqué de l’ informer qu’ils ne procédaient plus à des essais réels de charge nucléaire depuis 33 ans et que cela ne présentait que peu d’intérêt compte tenu des outils de simulation développés entre-temps. La France a poursuivi la même démarche en construisant un « simulateur » qui se base sur des micro-réactions nucléaires pour tester ses équipements.
Par ailleurs, la diffusion d’un nouveau film américain, » A House Of Dynamite « , décrivant une attaque nucléaire contre Chicago a fait vivement réagir le Pentagone (ie la Maison Blanche) sur le fait que l’armée américaine ne serait pas en mesure d’intercepter une telle attaque. Le sujet est assez angoissant, c’est d’ailleurs pour cela qu’il est exploité au cinéma comme par Poutine, dans la mesure où il n’existe aucun parapluie anti-missiles parfaitement étanche et que l’essentiel de la « doctrine » nucléaire repose sur le concept de dissuasion : toute attaque nucléaire impliquerait une riposte au moins équivalente, signant de facto un suicide collectif (et probablement définitif).
Une grammaire nucléaire qui n’a jamais permis d’en finir avec la guerre
Dans ce concours de grammaire nucléaire, chacun veut jouer sa partition en impressionnant les autres, sauf l’Europe qui ne dispose pas de capacité en propre mais d’un parapluie virtuel « délégué » par l’OTAN, donc concrètement, par les États-Unis. L’Europe pourrait être protégée aussi, dans une mesure tout aussi virtuelle, par le système de dissuasion nucléaire français, dont nul ne peut garantir comment il serait employé, surtout si les « intérêts vitaux » de la France n’étaient pas menacés. La question du parapluie de l’OTAN se pose à peu près à l’identique pour les Etats-Unis qui seuls disposent de la « clef » des armes nucléaires déployées en Europe.
Si vous avez le sentiment, à ce stade de la lecture, de n’avoir rien compris, c’est que vous percevez la complexité de cette grammaire nucléaire qui n’est pas faite pour la raison, mais pour nous garder (partiellement) de la folie destructrice des hommes. Quant à empêcher la guerre…
Des arguments politiques dans une négociation sur l’Ukraine où la tension arrive à son paroxysme
Dans ce contexte, ces démonstrations russes, ces réactions américaines et ces annonces françaises doivent être regardées comme des arguments politiques dans une négociation sur l’Ukraine où la tension arrive à son paroxysme.
Trump veut absolument et rapidement obtenir un accord, y compris en remettant sur la table la question de la livraison de missiles de croisière Tomahawk aux Ukrainiens, tandis que son ami Benyamin Netanyahou fait de son mieux pour torpiller le cessez-le-feu que le président américain a imposé pour Gaza.
« Poutine veut absolument obtenir de quoi faire croire à une victoire pour se maintenir au pouvoir »
Poutine veut absolument obtenir de quoi faire croire à une victoire, en obtenant le Donbass que son armée peine à conquérir, et justifier cette guerre totalement inutile pour se maintenir au pouvoir.
Zelensky veut absolument céder le moins possible de l’Ukraine à la Russie de Poutine, en sachant parfaitement qu’il n’y a pas d’issue militaire à ce conflit dans la mesure où son pays manque tout simplement de bras.
L’Europe prend conscience que sa sécurité devrait absolument devenir une priorité tout en refusant d’en faire le sujet politique qu’une approche fédéraliste pourrait régler, dispersant jusqu’ici des ressources pourtant largement suffisantes pour se défendre des empires menaçants.
« L’Europe prend conscience que sa sécurité devrait absolument devenir une priorité tout en refusant d’en faire le sujet politique qu’une approche fédéraliste pourrait régler »
La seule certitude de cette phase du conflit en Ukraine est l’inutilité de ces armes nucléaires sauf à se suicider collectivement… La grammaire nucléaire ne dessert pas la guerre, mais elle sert la peur, l’arme la plus dangereuse pour une société quand il s’agit de se battre pour défendre la paix.

Pour approfondir,
Nucléaire : face à Poutine, l’Europe doit apprendre à faire peur, par Stéphane Audrand (Grand Continent)
Dossier Diploweb sur le Nucléaire, par Pierre Verluise
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« Le président russe, qui se voit en tsar alors qu’il est avant tout le chef mafieux d’une société mise à terre »
Bravo, c’est fort bien résumé. Le pillage généralisé de l’économie russe avait pris place sous Yeltsin, Poutine arrivé au pouvoir l’a rapidement réorganisé à son profit personnel. Intimidation et brutalité sont ses armes favorites, il semble en tirer une jouissance perverse, cela depuis qu’il était un jeune officier du KGB. Ce qui est le plus consternant c’est qu’une grande partie des masses populaires russes applaudissent des deux mains : c’est pourtant cette population qui a été spoliée des richesses détournées, ce sont ses hommes qui ont été massacrés ou estropiés dans cette guerre absurde. Privé d’un large soutient populaire, le projet de Poutine aurait échoué depuis longtemps. Quels sont les biais affectifs / cognitifs qui conduisent une large population dans de tels égarements ?? Tant que les peuples resteront des quantités aussi manipulables, la guerre aura de beaux jours devant elle.
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Comme vous l’expliquez très bien là courses à l’espace est le seul domaine d’intêrets de la propultion nucléaire, ainsi ce n’est pas pour son armée mais plutôt pour atteindre une planête naine, voir une hypothètique planète neuf ou y, que vladimir Poutine devrait se vanter. Alors que même avec un moteur fonctionnel les défis pour atteindre des astres au delà des géantes gazeuses avec un tel moteur resterai considérable, en effet il faut déjà l’envoyer dans l’espace avec des moyens conventionnels (comme indiquer il est plutôt polluant) une fois dans l’espace ou cette pollutions serait noyer par les radadiations naturels notament celle du soleil, il faudrait le mettre en marche tout en garantissant que ce qu’il transporte ne soit pas menaçer par lui (une mission d’explorations en rade à cause de son moteur serait qu’en même domage…) bref beaucoup de défit, mais une aspiration bien plus bénéfique à l’humanité que celle de détruire son voisin!
Par contre pour le moment les turbulances économiques liées à sa politique risque d’occupé Donald Trump pour un certain temps, pas sur qu’il puisse négoçier dans c’est condition avec la Russie. Il va reçevoir cette semaine la position de la cours suprême sur ses droit de douanes, qui sera sans doute, qu’elle lui soit favorable ou non, lourde de conséquence, mais qui pourrait désamorçer le shutdown en donnant une vision macro-économiques plus clair pour le budjet Américain, même si la position extrément dure du président Américain et de son partie ne semble guère offrir d’opportunité au compromis… Salutation, Ludovic Melin.
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Il ressort de cette analyse que si, d’une part, nous avons intérêt à maintenir notre arsenal nucléaire pour répondre à l’ « équilibre de la terreur », d’autre part nous avons également intérêt à régénérer nos moyens militaires non nucléaires qui sont affaiblis, et à édifier le plus vite possible une vraie défense européenne.
L’auteur l’a déjà souligné : le total théorique des moyens militaires des pays adhérant à l’OTAN est supérieur à la force militaire russe. L’un des problèmes est le manque de cohérence des armements européens.
L’autre problème est qu’en l’état actuel les mentalités européennes ne donnent pas l’impression au dictateur conquérant Poutine que les gens sont prêts à combattre pour défendre la démocratie et la légalité internationale. Ce que l’auteur désigne par sa formule « ne pas subir ».
Christian GUILLAUME (génération service militaire).
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« Zelensky veut absolument céder le moins possible de l’Ukraine à la Russie de Poutine, en sachant parfaitement qu’il n’y a pas d’issue militaire à ce conflit dans la mesure où son pays manque tout simplement de bras. »
Je ne suis pas d’accord avec vous. L’Ukraine ne manque pas de bras ! L’argument selon lequel l’Ukraine ne veut pas sacrifier ses forces vives pour ménager son avenir est recevable mais est irréaliste ! Seul le présent compte : sauver la nation ukrainienne…. Il suffirait au gouvernement ukrainien de rappeler les hommes et femmes partis à l’étranger pour étoffer ses troupes ! Pour moi, c’est une erreur stratégique du gouvernement actuel ! Ensuite, il y a une issue militaire au conflit : l’Ukraine développe sa puissance militaire avec ses moyens propres et l’aide de ses alliés . A terme , elle vaincra la Russie . Soyons optimistes et ne soyons pas, malgré nous, des » propagandistes russes » !
Cela dit, j’apprécie énormément vos commentaires !
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Selon vous « il suffirait de rappeler les Ukrainiens partis à l’étranger(…) pour étoffer les troupes« . Vous savez combien d’Ukrainiens sont partis ? Selon le site Statista ( 3 mars 2025) ils sont 7 MIILIONS a avoir quitté leur patrie.
L’Allemagne et la Russie en ont accueilli à peu près le même nombre, soit 1. 230 000 …Comment voulez vous que les Ukrainiens partis en Russie, retournent chez eux ?
Vous avez remarqué l’âge moyen des soldats Ukrainiens au front ? Ils ont la quarantaine ! Les jeunes Ukrainiens ont semble-t-il été échaudés par les pratiques des bureaux de recrutement Ukrainiens. En 2023, Zelensky a licencié TOUS (11) les responsables des bureaux de recrutement de l’armée, pour corruption !
La corruption est d’ailleurs préoccupante pour l’Ukraine: 34 députés sont sous le coup d’enrichissement personnel pour un montant de 90 millions d’Euros ( PM du 27/10/25). Mais visiblement ce n’est que le sommet de l’iceberg. Comment voulez vous que les jeunes se mobilisent et se fassent tuer pour des hommes politiques corrompus jusqu’à la moëlle.
La presse Ukrainienne se délecte du cas de : Evhen Shevchenko, élu sous l’étiquette « Serviteur du peuple », et accusé d’avoir blanchi près de neuf millions de hryvnias (environ 220 000 euros) sous couvert de contrats juridiques fictifs. L’argent aurait permis l’achat de deux véhicules haut de gamme, un BMW X5 et un Mercedes G63 AMG.
Enfin les jeunes Ukrainiens, sont comme tous les jeunes occidentaux. Ils aiment faire la fête, scroller leur téléphone portable, aller en boîte…Alors quand ils voient des types revenir du front avec un jambe ou un bras en moins…
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A la guerre comme à la guerre!
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