En Ukraine, les drones sèment le doute

L’incursion d’une vingtaine de drones russes (25 selon certaines sources) sur le territoire polonais, dont un engin volant à plus de 300 km à l’intérieur de ce pays membre de l’OTAN, provoque des questionnements importants, mais commençons par les faits établis.

Une incursion pas une attaque, un acte délibéré de la Russie pas un accident

Ce qui n’est pas contestable à ce stade est le fait qu’il ne s’agissait pas d’une attaque contre la Pologne avec un objectif de bombardement, même si certains de ces drones transportaient des charges militaires (le toit d’une maison a été très abîmé, mais cela peut être dû aussi à l’explosion du carburant du moteur).


Cette incursion de drones n’est pas non plus une première, plutôt une dixième, mais c’est la première fois qu’une vague de drones rentre en Pologne alors qu’aucune manœuvre accidentelle ou brouillage du guidage ne peut être invoqué pour l’expliquer, pas sur une vingtaine de drones même si un doute peut subsister sur un piratage à distance.

Face aux drones, une capacité réduite de l’OTAN de détection et d’interception

Cette incursion de drones au-dessus la Pologne met en évidence une situation qui n’est pourtant pas nouvelle tandis que la guerre contre l’Ukraine dure depuis trois ans et demi : il s’agit bien sûr de la prolifération des drones, de la difficulté à les détecter avec précision (leur signature radar et thermique est très faible) et plus encore à les intercepter sans avoir à utiliser des moyens disproportionnés.


En Pologne, un système Patriot – le plus puissant intercepteur aérien – a ainsi été activé mais heureusement non utilisé… un missile Patriot coûte en effet en millions de dollars quand un drone est en dizaines de milliers, soit cent fois moins. Finalement plusieurs drones ont été interceptés par des chasseurs de l’OTAN (F16 polonais et F35 néerlandais) qui les ont abattus sans difficulté au canon ou avec une manœuvre de déstabilisation (le vol d’un drone est fragile, il supporte mal le passage à proximité du puissant réacteur des chasseurs).

Cette incursion de drones montre que l’OTAN doit se préparer bien mieux qu’elle ne l’a fait à détecter des intrusions et à les intercepter. La question ne concerne pas que la Pologne mais tous les pays frontières de l’empire russe de Poutine, de la Roumanie à la Finlande en passant par les pays baltes, sans compter les incursions via l’espace ukrainien qui est bombardé au quotidien. C’est ce que l’OTAN nomme son « flanc Est ».


La détection et l’interception des drones sont loin d’être une évidence, plus encore lorsqu’ils sont utilisés en masse ou en essaim. Les Ukrainiens ont pour cela déployé sur leur sol un vaste réseau de détecteurs acoustiques pour compléter les radars actuels, des dispositifs qui seront probablement dépassés dès que les moteurs des drones deviendront plus silencieux.

Leur interception de masse sur de très vastes étendues est aussi difficile, leur destruction par des chasseurs au canon est la plus simple aujourd’hui, du fait de la rapidité des avions (alors que les drones sont beaucoup plus lents) et de leur précision. C’est pour cette raison que l’OTAN renforce la présence de chasseurs des pays membres (dont la France avec 3 avions Rafale en Pologne même) sur l’ensemble de la frontière de l’Est.

Une autre possibilité, pas très compatible avec la première dans le même espace, est de déployer des drones intercepteurs chargés de rentrer en collision ou d’exploser à proximité des drones ciblés.

Une mobilisation nécessaire… mais avec une capacité d’adaptation inconnue jusqu’ici

L’Union européenne investit sur un projet (industriel) de « mur de drones » dans cet esprit. Mais la guerre russe contre l’Ukraine montre aussi combien ces technologies évoluent à une vitesse inédite dans le monde de l’armement, qui se compte actuellement en mois ou en semaines quand il faut des décennies pour construire un chasseur performant…

Plus que jamais les pays européens sont confrontés au défi de leur capacité à fédérer et à mobiliser des industriels aussi bien que des start-up pour suivre ce mouvement effréné. Se défendre de cette menace requiert une capacité d’adaptation inconnue jusqu’ici. L’initiative SkyShield qui propose un bouclier aérien pour l’Ukraine questionne aussi sur la capacité des pays européens à assurer leur propre défense contre des menaces aériennes, drones ou missiles.

Mais quelle est l’intention de Poutine en lançant cette incursion contre la Pologne ?

Maintenant qu’il est établi que cette incursion était intentionnelle, reste à déterminer quelles raisons ont poussé le président russe Vladimir Poutine à agir ainsi. Rappelons d’abord le contexte actuel de négociation sur la sortie de guerre, une négociation complexe (mal)menée par le président américain Donald Trump et dans laquelle Poutine a intérêt à faire monter les enchères pour obtenir le maximum de concessions.

Dans ce cadre-là, l’incursion de drones russes ressemble moins à un avertissement pour que l’OTAN prenne conscience de ses faiblesses dans le domaine des drones, qu’à la volonté de Poutine de faire peur – une arme bien plus puissante que les drones –. En particulier, le dictateur russe veut inquiéter les pays européens de la coalition des volontaires qui ne sont pas « acculturés » à l’idée de devoir se battre, alors qu’ils viennent de montrer un bel engagement collectif pour fournir des « garanties de sécurité » à l’Ukraine dans le cas où un accord de sortie de guerre serait trouvé.

Lire aussi : après la réunion de la coalition des volontaires à Paris, il ne reste plus qu’à trouver un accord de paix avec la Russie…

Notons enfin que la Russie ne dispose plus actuellement des moyens militaires nécessaires pour déclencher une guerre contre un autre pays, a fortiori contre un groupe de pays comme l’OTAN, mais elle se fait plus menaçante que jamais. Dmitri Medvedev, l’ancien président de la Russie et actuel vice-président du conseil de sécurité russe, vient ainsi de déclarer que la Finlande constituait une menace contre l’empire russe, la réthorique de Poutine pour justifier son « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine…

Le Monde


Donald Trump au pied du mur

Après cette incursion russe de drones en Pologne et la démultiplication des bombardements contre l’Ukraine, c’est la réaction de Donald Trump qui est attendue tandis que celui-ci est censé appeler son ami Vladimir Poutine dans le cadre de ces négociations et de sa volonté (très personnelle) d’obtenir le prix Nobel de la paix.

Le Monde

Pas sûr que le président américain soit pressé de réagir, de même que dans une autre affaire de drones (et de missiles) quand un autre de ses amis, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, est allé provoquer le monde arabe en attaquant des négociateurs du Hamas au Qatar – que les États-Unis sont aussi censés protéger – et en volatilisant tout espoir de négociation de libération des otages israéliens et de sortie de la guerre à Gaza.

Lire aussi : Gaza, déportation en cours, pour s’y opposer il faut commencer par le dire

Cette affaire de drones sème le doute et n’aide pas Donald Trump à démontrer son art de la négociation qu’il a tant vanté, confronté qu’il est au pouvoir de nuisance de ses amis Netanyahou et Poutine… Quant aux Européens, ils comprennent chaque jour un peu plus que leur sécurité est d’abord leur affaire et « qu’il ne faut pas avoir peur de se battre pour défendre la paix », leur paix.




Pour approfondir,

L’intrusion russe dans l’espace aérien polonais met en lumière la faiblesse des moyens de l’OTAN pour lutter contre les drones, par Chloé Hoorman et Élise Vincent (Le Monde)


En Ukraine et à Gaza, Donald Trump apparaît comme un spectateur impuissant, dominé par les événements, par Piotr Smolar (Le Monde)



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13 commentaires sur “En Ukraine, les drones sèment le doute

  1. En attendant la construction des « drones » anti-drones, L’Allemagne possède encore dans ses arsenaux quelques Flakpanzer Gepard. Un blindé avec un châssis Léopard et une tourelle équipé de 2 canons de 35 mm Oerlikon avec deux radars de suivi et de tir.

    L’allemagne a livré une cinquantaine de ces engins à l’Ukraine. Mais il en reste en Jordanie et au Brésil…en attendant le fameux canon laser anti drones ( Dont visiblement les chinois maitrisent l’emploi : Cf le dernier défilé militaire)

    Aimé par 1 personne

    1. Tout à fait d’accord avec vous car notre doctrine de défense est devenu bien trop coûteuse avec le mauvais raisonnement économique que « qui peut le plus peut le moins » et je serais curieux de connaître le seul coût en kérosène d’une intervention de chasseurs, sans même parler de leurs obus. Sans revenir à la 12.7 il y a probablement d’autres façons pour abattre ces drones, y compris en défendant une partie de l’espace aérien ukrainien frontalier de la Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, voire Moldavie.

      Quant à la Biélorussie devenue puissance nucléaire malgré le TNPN de 1994, qu’attend on pour la soumettre aussi à un blocus ? Sans aller jusqu’à la rénucléarisation de l’Ukraine, il est absurde de croire qu’il ne faut pas répondre à cette escalade progressive mais si évidente. Nous venons par ailleurs de perdre l’occasion de détruire 3 Mig 31 dans l’espace aérien estonien…

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  2. Bonjour Guillaume Je me permets de revenir sur le Kompromat de Trump qui lui ne fait plus aucun. Doute, pour reprendre votre titre;)

    L’Université de Yale vient de publier un rapport sur la mise en place par Moscou d’un « réseau à grande échelle et « sans précédent » visant à intégrer les enfants ukrainiens déportés dans la machine de guerre russe ». On parle là de plus de 35000 enfants déportés.

    Je fais ensuite un virage vers le Congrès Américain, où Johnson, poutant jadis responsable de bloquer l’aide à l’Ukraine, tente de convaincre aujourd’hui Trump de valider les sanctions, pressé de toutes parts autant par les élus républicains que démocrates.Et Trump ne réagit toujours pas et trouve toujours une bonne excuse.

    Il n’a pourtant pas hésité à humilier Zelensky à la Maison Blanche. Il n’a pas hésité à sanctionner l’Ukraine à plusieurs reprises. Il a permis ainsi à Poutine de récupérer la région de Koursk.

    Une autre analyse démontre même que depuis l’arrivée de Trump, l’agression de la Russie s’est intensifiée.A 2 reprises, quand Trump a commencé à s’énerver contre la Russie, « curieusement » l’affaire Epstein refait surface….

    Ma question, Guillaume, pourquoi personne ose publiquement dénoncer tout haut ce que tout le monde sait, ou doit on dire plutôt « l’évidence »?Cela devrait tonner dans les médias: experts, chroniqueurs, démocrates… Pas UN mot. Personne n’ose dénoncer Trump.

    Pourtant, quand une personnalité le criera haut et fort, je pense que l’effet boule de neige pourrait réellement devenir embarrassant pour POTUS… J’aimerais avoir votre avis éclairé sur ce sujet svp.

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  3. …bien lu-etassimile -ton article …qui fait « mouche  » ,si je puis -au
    double sens du mot -…Ppour se defendre contre des essains de drones
    ,,il nous faut toute une gamme de canos automatiques-ainsi que qantite
    de munitions adaptees-jusqu au fusees sol-air dont le  » Mistral « est un
    petit cadet…quant a faire decoller la Chase (type Rafale ) ,cela dit
    etre resrve pour des missiles de croisiere ! a propos , je propose de
    modifier les Pilatus -21  (avions d entrainement suisse tres repandu
    )comme tueur de drones Shahed et autres …a en discuter avec un certain
    ambassadeur suisse ! in fine ,cest la volonte de ne pas subir qui compte
    :en Europe , l avons nous ? Allez , a bientot , Patrick.-

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  4. il est surprenant qu’aucun commentateur fait refrence à l’épisode d’il y a qq annees où un bombardement du territoire polonais ( avec morts civiles ) avait ete attribué aux reusses puiss quelques semaines apres aux ukrainiens …les ukrainiens utilisent des armes russes et vice versa ….

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  5. Je ne pense pas que cela séme le doute, plutôt un rappel de la réalité. Comme dirait Michel Goia « nous serons un jour ou l’autre confronter aux drone », que cela soit en établissant une force de dissuasions en Ukraine ou dans d’autre circonstance ne change pas fondamentalement la problèmatique.

    Pour nous défendre il va falloir établir une ou des parades afin de nous en préserver! C’est sans doute une belle occasion que nous avons là de prendre le problème à bras le corps, et si en plus cela permets de mettre en place le projets skyshield ou un équivalent en Ukraine nous n’en serons que renforcer. Tout en avançant encore dans notre capaçité à faire face aux menaces, qu’elle soit Russes, téroriste ou autre… Salutation, Ludovic Melin.

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  6. Bonjour Guillaume, merci encore pour ton article éclairé.

    Mes excuses par avance pour ma question subjective, mais d’après vous qu’y a t’il de plus grave: l’incursion de ces drones en Pologne, ou la réaction trop faible de l’Otan, illustration d’un aveu de faiblesse?

    Personnellement cette opération Sentinelle me semble autant inutile que disproportionnée face à la menace réelle et répétée de Poutine.Faut il rappeler le brouillage GPS de l’avion de Van der Leyen?

    Ces éternelles et incessantes indignations d’usage de nos dirigeants face à toute attaque hybride à notre encontre ou directe sur l’Ukraine ne cessent de nous ridiculiser davantage, au point qu’ on en arriverait presque à leur supplier désormais de se taire.

    Et en plus de cet aveu de faiblesse, à mon sens l’autre info capitale est la dernière réaction de Trump: elle scelle définitivement tout doute sur ce que désormais tout le monde sait mais n’ose pas dire: POTUS est sous Kompromat russe.

    Pas besoin de preuves directes: Poutine l’a déjà sauvé 2 fois de la faillite, il n’a jamais intenté quoique ce soit à son encontre, il lui a fait gagner du temps-pire des territoires-, après chaque rencontre Poutine s’est montré plus virulent, dès que POTUS fronce un peu les sourcils, l’affaire Epstein revient à la surface. Et voilà qu’il trouve toujours une (bonne?) excuse pour ne pas appliquer les sanctions.

    Soyons honnêtes, même un aveugle, sourd et muet pourrait comprendre. Il n’y a guère que le General Yakovleff qui l’a un temps surnommé Trumpine.

    Soyons lucide aussi: pas un dirigeant n’osera dire tout haut ce que tout le monde sait tout bas.

    Dans un cas comme dans l’autre, ce qui est vraiment triste dans ces 2 infos, c’est qu’on en revient toujours à la même chose: aveu de faiblesse et manque de courage…

    Pour conclure, on dit que l’histoire se répète: auquel cas tous les spécialistes de la Russie ont raison d’affirmer que la Russie n’a toujours compris que la force. Hommage en passant à Nicolas Tenzer qui avait prédit cette guerre dans un article de Presse en…. 2017.

    Prions pour, ou pourvu que l’issue inéluctable finisse à nouveau par nous rendre plus forts… Permettez-moi cette fois d’en douter…

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  7. Je me demande, c’est peut-être irréaliste (?), si Poutine fixe l’attention des Européens sur la Pologne et la Roumanie… pour mieux libérer la possibilité d’attaquer plus au Nord, sous couvert de « Zapad » et notamment un pays balte à partir de la Biélorussie.

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      1. Cette incursion de drones russes en Pologne donne l’impression de ne pas se limiter à une surenchère avant d’éventuelles négociations, mais d’être également un test des capacités de défense de l’OTAN.

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      2. Est-ce qu’un dictateur froid et cruel, totalement indifférent à la vie de ses soldats, et qui dispose de réserves démographiques très importantes, n’hésiterait pas à en sacrifier quelques dizaines de milliers de plus, même mal armés et mal entraînés, par exemple en les lançant sur la Finlande ou les Pays Baltes, déjà revendiqués « possessions russes » ?

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