Plus de fric, plus d’efforts, mais guère d’Europe dans le discours aux Armées du président Macron


Doublement du budget des armées françaises en dix ans, un effort important mais insuffisant

Dans son discours aux Armées du 13 juillet 2025, le président de la République, Emmanuel Macron, confirme un effort sans précédent dans le contexte actuel pour le « réarmement » de la France. Entre 2017 et 2027, le budget des Armées a doublé, passant de 32 à 64 milliards d’euros. L’effort de la France serait ainsi un peu supérieur à 2% du PIB, à comparer néanmoins avec les 3,4% consacrés par les Etats-Unis à leur défense.

Le Monde (13 juillet 2025)

Cet effort est donc important dans le contexte actuel d’économies budgétaires pour réduire le déficit (et donc l’endettement) de la France, mais il ne correspond pas non plus à un « effort de guerre » qui mobiliserait la société pour sa défense.

Certes, « l’ennemi » est identifié, le chef d’état-major des Armées s’étant chargé deux jours auparavant de clairement le nommer avec un artifice intéressant : c’est la Russie qui ferait de la France sa principale ennemie en Europe, même si dans la rhétorique belliciste de Vladimir Poutine, chaque pays européen qui soutient l’Ukraine est un ennemi de la Russie. Il ne semble pas que le maître du Kremlin, qui se prend pour un tsar, ait pris le soin de hiérarchiser ses ennemis, n’en déplaise  aux  » Français « .

Se présenter comme le principal ennemi de la Russie en Europe est un artifice inutile, la Russie étant devenue l’ennemie de quasiment toute l’Europe…

Reconnaître que la France est l’ennemie de la Russie de Poutine est probablement nécessaire pour mettre les points sur les i et contrer cette propagande diffusée par les extrémistes de tout poil, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon en passant par Thierry Marian, qui nous présentent Vladimir Poutine comme un leader charismatique et rassurant… Présenter la France comme la principale ennemie de la Russie en Europe est cependant un artifice inutile.

Notons, par exemple, que l’Allemagne et la Pologne sont probablement les deux pays qui font le plus d’efforts concrets pour se réarmer, tandis que les pays baltes et la Finlande se préparent quasiment à une agression de la Russie. Cette présentation de la situation par la France est vraisemblablement destinée à montrer le rôle clef qu’elle jouerait au niveau européen, ce dont les déclarations du président français me font douter : la France, la nation, le drapeau… mais où est l’Europe dans ce discours ?

Une Europe qui brille par son absence dans le discours du président Macron

De fait, le niveau pertinent d’une défense crédible, face à un empire menaçant comme la Russie de Poutine, est clairement celui de l’Europe, au même titre qu’en termes industriels, c’est la construction européenne d’Airbus qui a permis de concurrencer Boeing dans le domaine de l’aéronautique. L’échelle de puissance est européenne, en dessous ne sont que des puissances moyennes.

Alors, où est cette Europe dans le discours du président Macron ? Je m’attendais dans les déclarations du président de la République – qui étaient annoncées comme majeures – à un projet porteur, un projet d’avenir justement pour cette jeunesse qui veut s’engager, sans pour autant faire de son métier celui des armes.

Un projet de Garde européenne par exemple, une grande réserve pour tous les volontaires européens sur un modèle unique avec des équipements standardisés, constituerait une révolution dans notre approche de la défense. Cependant, avec des moyens limités et en l’absence d’ambition européenne partagée, l’effort de réarmement de la France est louable mais certainement pas à la hauteur de l’enjeu qui se dessine depuis trois ans et demi, depuis que la guerre nous menace effectivement.

Lire aussi : Pourquoi nous avons besoin d’une garde européenne (Chronique dans Le Parisien, mai 2025)


Toute l’ambiguïté de la politique française est d’afficher une volonté européenne en même temps qu’une absence de projets structurants

C’est toute l’ambiguïté de la politique française qui apparaît dans le discours de Macron de ce 13 juillet 2025, en affichant une volonté européenne en même temps qu’une absence de projets structurants, comme s’il ne fallait surtout pas passer à l’action : pas de programme d’armement européen, pas de programme de coopération renforcée, (sauf avec la Grande-Bretagne qui n’est plus membre de l’Union européenne), pas de projet de défense collective qui permettrait de montrer à Vladimir Poutine qu’il a du souci à se faire.

Pour résumer, les efforts budgétaires de chaque membre de l’Union européenne – la France en premier lieu – se dispersent dans la multiplicité des forces armées et des structures qu’ils financent. La première puissance du monde est aujourd’hui celle des États-Unis, parce qu’ils n’ont qu’une seule armée pour 50 Etats, quand l’Europe en compte 30 qui cultivent la différence bien plus que la cohérence… 30 armées de trop pour des finances qui ne sont pas extensibles : sur le papier l’addition des budgets militaires actuels des pays européens devraient leur procurer la deuxième armée du monde, ce dont nous sommes loin.

Quelle déception que cette génération de dirigeants que je croyais jeunes et inventifs ! En réalité, ils s’inscrivent dans un héritage dépassé de « souveraineté nationale » qui n’est plus de mise face à l’ampleur de la menace rappelée à bon escient, mais qui ne concerne pas que la France…



Pour approfondir,

Ukraine : ne jamais désespérer, ni pour autant rêver…


« Petites leçons sur la guerre. Comment défendre la paix sans avoir peur de se battre »


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15 commentaires sur “Plus de fric, plus d’efforts, mais guère d’Europe dans le discours aux Armées du président Macron

  1. Merci beaucoup Guillaume pour ce propos tout à fait excellent à mon sens : synthétique et sobre et l’essentiel est dit

    Pourquoi une telle cécité chez la plupart de nos dirigeants européens ?

    Et cette cécité chez un homme « intelligent » tel que le président Macron.. pour moi il s’agit d’un discours (fort long) pour se flatter et flatter l’auditoire (nous sommes grands et forts) alors que la France ne pèse que 0,9% de la population mondiale et 3% du PIB mondial et sur beaucoup de sujets (dont l’armée), 10% environ du poids des USA

    Flatter signifie une démarche de démagogie 

    En résumé, pour moi, il s’agit d’un discours hors sol et affligeant 

    merci encore pour cet « article » que je vais diffuser autour de moi

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  2. Plus de 200 milliards d’euros d’actifs de la Banque centrale de Russie sont placés dans des institutions financières de l’Union européenne. Le président Macron n’est pas favorable à leur utilisation au bénéfice de l’Ukraine, ils pourraient pourtant servir à payer les systèmes de défense antiaérienne Patriot.

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  3. Oserais-je plagier un certain politicien: « les français n’aiment pas qu’on leur mente, mais ils détestent encore plus qu’on leur dise la vérité ».

    Très difficile de tenir un discours cohérent qui tienne compte de cela et de quelques faits têtus:

    • aucun pays européen ne sera assez costaud pour se défendre seul contre la russie réarmée. Sans alliance, nous nous ferons bouffer un par un comme en 39-40. Seuls les ukrainiens ont montré qu’ils avaient le courage, l’inventivité et l’audace nécessaires. S’ils perdent, nous perdrons, et beaucoup plus vite.
    • l’union européenne ne sert plus à rien dès qu’il s’agit de défense. L’union européenne sert à faire du business. La seule armée européenne qui peut marcher, c’est celle des fonctionnaires qui mettent au point et font appliquer les paquets de sanctions.
    • Un traité de défense indépendant des institutions européennes est plus utile, sauf que…
    • …le principal membre de l’otan est passé à l’ennemi…
    • … et personne n’ose le dire tout haut pour ne pas perdre son job (et ne pas accélérer le processus)…
    • A part les ukrainiens, personne n’est prêt à se battre, c’est à dire à mourir, pour la liberté ou la démocratie. Une moitié du pays est terrifiée par les russes et a adopté la méthode coué (ne nous mêlons pas de ça et tout ira bien). L’autre moitié aspire à un régime autoritaire extrémiste ou veut à tout prix reprendre le business avec les russes (ou les deux). Ca ne laisse pas grand monde de réceptif.
    • C’est pas mieux ailleurs. Les latins (espagnols, portugais, italiens) ne veulent tout simplement pas se battre (je force le trait exprès). Tout le monde compte sur les ukrainiens, les baltes, les scandinaves et les polonais pour nous défendre. Personne ne veut mourir pour eux.
    • les ukrainiens inventent tous les jours de nouvelles armes. Celles dont nous aurons besoin n’ont probablement pas encore été inventées.

    Donc ça ne me gêne pas vraiment qu’on parle le moins possible de « l’Europe » et qu’on oublie cette chimère (au sens propre) d’armée européenne. Je serais plus rassuré par le remplacement de l’otan (qui n’existe plus que sur le papier, papier de la sorte avec laquelle on se torche le fion) par un traité de défense mutuelle france-allemagne-royaume uni-pologne pour commencer.

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  4. Bonjour, parfois une simple phrase suffit, je suis pas sure que cela soit issu de ce discours; mais la coalition des volontaires semble avoir établie un états majors (ou un ensemble d’états majors?) à Paris. Une pierre de plus à l’édifiçe qui en à déjà quelques unes ; ils y a déjà des coalitions spéçialisée pour l’Ukraine (munition, aviation, artillery…) de la à coordonnée les productions il n’y a qu’un pas ( sera-t-il franchi c’est mon sure…), On à identifier des faiblesses à combler ; anti-aérien, masse… par le retour d’expérience de l’observation de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, mais aussi de la guerre entre l’Iran et Israël, cette dernière nous a rappeller que même à des centaines de km on peut se taper dessus… Encore beaucoup à faire, mais petit à petit l’oiseau fait son nid… Bon on à bien identifier quand therme de propagande on est à la ramasse, mais ils semblent qu’on peine un peu à trouver les parades, mais à n’en pas douter on buche dessus!

    Salutation, Ludovic Melin.

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  5. On peut critiquer Macron pour son « absence de vision européenne »...Mais est ce que les autres pays Européens en veuillent de cette « défense, armée…Européenne » ? ( On a tout juste une brigade BFA avec 5.000 bonhommes, je crois).

    Malheureusement je crois que la majorité des Européens n’en veulent pas !. Les Européens ( y compris la Suisse ) ont acheté le F 35, même s’ils savaient que cet avion est bourré de capteurs qui renseignent les américains minute par minute sur son emploi. Et ces mêmes américains sont capables de le « débrancher » à distance…. J’ose imaginer Trump en train de coloniser le Groënland avec en face des F 35 Danois…quelle pantalonnade !

    Macron a consenti à une « augmentation » du budget de l’armée de 3 milliards pour atteindre 64 milliards en 2027. Les allemands ont déjà annoncé leur budget, qui sera de 162 milliards en 2029..Cherchez l’erreur …Les Allemands ont – déjà – sorti le KF 51 Panther ( sur fonds propres en 2021) pendant que la France rafistole ses 200 Leclerc qui devront tenir jusqu’en 2040 !!! Le temps que l’on se mette d’accord sur le MGCS. Les Français et les allemands sont d’accord sur RIEN !

    En 2040, les chars Leclerc tiendront avec des sandows et on évoque une « armée Européenne » ? J’ai mal aux côtes ! Autant acheter tout de suite des Chars Coréens les K2 Black Panther ( La Pologne va en acheter 180, car ils sont DISPONIBLES !)

    De toutes façons la France n’a plus d’industrie de chars lourds…

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  6. Je suis toujours choqué dans les rhétoriques présidentielles (de tous les présidents) et de nombreux politiques français qui insistent toujours pour magnifier le rôle de la France en Europe. Cela ne peut que rebuter les autres Européens. C’est contre-productif et absurde, voire ridicule. Cet égocentrisme à la Trump (heureusement sans aller jusqu’aux excès de Trump) irrite en Europe. Cela entretient un esprit cocorico de propagande. Il faut arrêter avec ces enfantillages si on veut vraiment construire l’Europe.

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  7. Comme je vous l’ai déjà dit, une armée européenne est une absurdité, ça n’a déjà pas bien marché avec l’Auriche-Hongrie où l’armement était standard (seuls les uniformes et le nom de grades différaient), alors l’UE ! D’ailleurs, rappelons que l’armée russe est elle-même multinationale et que ça ne marche justement pas aussi bien que voulu justement en partie à cause de ça !

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    1. Le meilleur moyen de ne jamais parvenir à mettre sur pied une armée européenne est de proclamer, comme vous le faites, que c’est impossible.

      « Il y avait un naïf qui ne savait pas que c’était impossible, qui essaya et qui réussit »(Rudyard Kipling).

      La Garde européenne préconisée par l’auteur compétent de ce blog pourrait être une première étape. Les Polonais, les Tchèques, les Scandinaves, les Baltes, les Finlandais, seraient certainement preneurs. Question courage et efficacité, entre autres exemples la petite Finlande a tenu en échec pendant plusieurs mois l’énorme rouleau compresseur de l’Armée Rouge avant de succomber ; les Polonais ont montré ce dont ils sont capables lors de l’insurrection de Varsovie contre l’occupant nazi.

      Christian GUILLAUME (génération service armé).

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  8. c’est plus compliqué en europe de mettre en place une armée européenne, il y a des désaccords entre les 27 et même au sein de la france, que proposent le RN et LFI, Macron a toujours dit qu’il fallait avoir une défense européenne, que propose ORBAN rien, ce sont toujours les mêmes qui réagissent, France Allemagne, Angleterre, Pologne, l’Italie ne bouge pas beaucoup. Aux etats unis c’est plus facile, il n’y a qu’un président, et sa dette publique c’est à cause des autres, c’est un peu facile, le cout de leur travail est élevé donc c’est normal les entreprises partent. et leurs produits ne sont pas terribles c’est pourquoi les achats se font vers l’extérieur, automobile, luxe, .. C’est à l »europe de réagir, ils dérangent donc sont capables

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  9. Le président Macron, si je l’ai bien entendu, a émis une petite phrase sur la nécessité d’une dimension européenne de la Défense. Mais comme le signale avec justesse cet édito, le propos présidentiel (ainsi que son action dans son ensemble) ne contient rien de structurant.
    Sur un plateau TV, G. Ancel a souligné un fait ignoré de l’opinion publique française : le total des budgets Défense des Etats de l’UE est l’un des plus élevés de la planète ! En réalité, nous n’avons pas de difficulté budgétaire face à la Russie conquérante ! Mais il s’agit d’une addition hétéroclite de moyens différents qui restreint son efficacité.

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