Saint-Cyr, et la salle se sépara en deux…

Réunion de ma promotion de Saint-Cyr le 25 mai 2024, organisée dans les salons du gouverneur militaire de Paris. La nuit est tombée, nous rentrons par la porte discrète qui se trouve à gauche de l’impressionnant bâtiment des Invalides et de son monumental portail d’honneur.

Beaucoup de mes camarades sont là, souvent avec leurs épouses, enfin pour ceux qui en ont encore une compagne après ces années de vie compliquée, de mutations et d’opérations.

Je viens de publier chez Flammarion « Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette » pour raconter (il semble que ce soit le premier témoignage en deux siècles) cette école hors du commun qui forme les officiers français à faire la guerre mais aussi à se taire.

Plusieurs de mes camarades m’avaient prévenu que je ne serai pas le bienvenu, mais j’ai fait mienne cette devise du Maréchal de Lattre de Tassigny, « Ne pas subir » : il serait bien incohérent de ma part de ne pas m’y rendre et de me rendre à la pression de cette culture du silence que j’aime enfreindre et critiquer.

J’avais bien compris le message lorsqu’un conseiller du chef d’état-major de l’armée de terre m’avait appelé dès la réception du livre pour me dire – mi-figue, mi-raisin – que « la culture du silence, ce serait quand même mieux de ne pas en parler… »

A mon arrivée, la soirée est déjà bien avancée et les petits fours largement entamés : mes camarades et moi avons cette détestable habitude de tout avaler en un minimum de temps, dommage collatéral du bahutage où le temps pour se substanter était compté.

Dreyfus ou Moïse ?

Après avoir été traité comme le capitaine Dreyfus de ma promotion pour avoir révélé l’affaire du Rwanda, quand l’Elysée nous avait envoyés soutenir leurs alliés qui étaient pourtant en train de commettre un génocide contre les Tutsi dans l’Afrique des Grands Lacs, me voila désormais dans le rôle de Moïse :

A mon arrivée, la salle se sépare en effet en deux, comme deux vagues qui se rangeraient de part et d’autre. Se regroupent d’un côté tous ceux qui ne m’adresseront pas la parole de la soirée et me gratifieront seulement de quelques regards noirs en guise de bienvenue. Leur facteur commun est de détester ce livre même s’ils ne l’ont pas lu.

De l’autre côté, ceux qui m’accueillent en plaisantant et me demandent une dédicace parce qu’ils ont préféré lire ce témoignage et se sont plutôt reconnus dans ce tableau critique et un peu nostalgique de nos plus jeunes années dans l’armée… tandis que tous vont devoir la quitter dans les mois qui s’écoulent désormais comme un sablier sur le point de se vider.

Se taire jusqu’au déni pour ne pas désobéir ou ne pas déplaire ?

Le Chef d’Etat-Major des Armées est dans le premier groupe, à peine s’il arrive à ne pas être discourtois comme pour bien me montrer la désapprobation de l’institution qu’il dirige et représente. J’aurais pourtant aimé discuter avec Thierry Burkhard ce soir, mais ce n’est manifestement pas lui qui est là.

De l’autre côté, c’est un ancien préfet qui fut instructeur, un de nos « voraces » dans notre langage imagé. Il clame à voix haute son enthousiasme – comme une forme de provocation – pour ce témoignage qui l’a ramené quarante années plus tôt, quand nous faisions l’apprentissage du métier des armes dans cette école si spéciale qu’est Saint-Cyr.

Mais au fond, ce n’est pas à moi de juger de ce texte, s’il est intéressant ou déplacé, j’aimerais simplement vous le signaler si vous vous intéressez « à la chose militaire » ou que vous souhaitez sensibiliser un proche ou un ami à ce sujet, en l’emmenant cheminer à Saint-Cyr, l’école de la Grande Muette, où sont formés les officiers de l’armée française à faire la guerre et à se taire.

Lire aussi : Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette


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20 commentaires sur “Saint-Cyr, et la salle se sépara en deux…

  1. Je suis de la génération de ceux qui savaient qu’un jour ils auraient à passer un temps sous les drapeaux, qui espéraient y échapper et étaient par conséquent à l’affût de toute bonne idée pour se faire réformer à moindre frais.

    Cette génération est née dans la décennie qui a suivi la seconde guerre mondiale dans un environnement familial profondément marqué par ce conflit et pratiquant le culte des glorieux combattants qui ont jeté à terre le fascisme allemand et leurs sinistres collaborateurs pétainistes. Elle était en fait partagée entre un patriotisme fait de vénération et le repli presque prostré des deuils à faire qui préfigurait sans doute l’individualisme et les défiances des années à venir.

    Cette même génération était trop jeune pour être mobilisée dans la terrible guerre civile coloniale d’Algérie qui a vu tous les affrontements, toutes les violences et toutes les exactions. Un conflit qui est resté parfaitement illisible pour beaucoup avant de devenir le creuset de toutes les prises de conscience et des clivages à venir.

    Je suis de la génération de ceux qui, une fois adolescents, puis jeunes adultes se sont nourris dans l’air de leur temps d’un féroce antimilitarisme biberonné en partie aux prestations de l’adjudant Kronembourg, dont Cabu aimait rapporter les postures et les mots plutôt amusants dans Charlie Hebdo.

    Puis vint le jour, après bien des ruses et des sursis grappillés parfois de manière douteuse, où il fallut bien aller traîner ses guêtres dans une cour de caserne, participer à la levée des couleurs le matin, refuser les classes prolongées pour devenir brigadier afin d’assurer un premier encadrement de mes camarades appelés bien plus jeunes que moi. Il était alors hors de question de prêter main forte à la ganache militaire qui cherchait à nous dominer et peut-être même nous avilir.

    Ce service militaire obligatoire ne dura pour moi qu’un petit trimestre. J’ai été longtemps convaincu que j’avais été plus malin que l’institution militaire en minimisant la confidence d’un capitaine qui m’avait fait comprendre que, selon lui et le colonel chef de corps, je serais sans doute plus utile au poste dans le civil qui m’attendait qu’à conduire un camion du régiment du Train qui m’hébergeait alors.

    De cette courte période en uniforme, je garde quelques souvenirs très précis.

    Une conférence sur la philosophie de la dissuasion nucléaire et, en prime, un soir à la bibliothèque du régiment, une conversation plus poussée sur ce thème avec l’officier d’orientation de la caserne.

    Une autre conférence sur la place et l’importance d’un régiment du Train dans un ensemble plus vaste de la Défense Opérationnelle du Territoire pour nous faire comprendre que nous n’étions pas le centre du monde mais faisions partie d’un ensemble qui cherchait cohérence et efficacité.

    Dans ce casernement, je n’ai pas rencontré l’adjudant Kronembourg ; le seul adjudant rencontré était un peu fort en gueule, avec une conversation très réduite et toujours à prendre avec des pincettes. J’y ai connu ou entrevu quelques officiers et même des sous-officiers de belle eau et je n’en garde pas le souvenir désagréable auquel je m’attendais.

    Puis revint le temps de la vie professionnelle et citoyenne dans toute sa plénitude. Ancien adhérent et militant d’un parti de gauche qui ne s’était pas compromis pendant la guerre d’Algérie et était né de l’opposition à cette guerre, le moment était venu de faire quelques mises à jour sans pour autant renoncer à l’essentiel.

    Bien plus tard, le cinéma a contribué également à aider à faire la part des choses et à mettre du plomb dans l’aile au manichéisme. Cela demanderait de plus longs développements bien entendu, j’y reviendrais un jour.

    Je ne connaissais l’ancien officier Guillaume Ancel ni d’Eve ni d’Adam et nos chemins ne se sont jamais croisés ni dans une caserne, ni dans une rue de la ville. J’ai fait sa connaissance virtuelle le jour où j’ai entrepris de lire tout ce qui me tomberait sous la main concernant la tragédie qu’ont vécue les Rwandais alors que notre armée était sur place.

    Suspicieux et peu enclin à prendre pour argent comptant tout ce qui me serait conté, j’ai lu avec beaucoup d’attention et d’intérêt Rwanda, la fin d’un silence.Témoignage d’un officier français. Je vous invite sans hésitation à lire ce témoignage d’un ancien officier en mission pour vous aider à vous faire une opinion sur les graves événements et sans doute nos errements dans cette Afrique des grands lacs.

    J’ai apprécié quant à moi la liberté de parole de Guillaume Ancel, le ton employé et la prudence de l’ observateur qui ne prend pas les faits observés et les analyses qu’il en fait pour l’Histoire du conflit mais bien pour une contribution qui éclaire autant qu’il se peut.

    C’est ce même ton qui est le sien quand il relate sa mission de Casque bleu au Cambodge et la mission d’officier-artilleur qui doit guider les frappes des avions de l’OTAN contre les batteries serbes qui assiègent Sarajevo en Yougoslavie.

    Ainsi donc, en mon nom, en notre nom, des hommes et des femmes qui ont fait le choix des armes sont engagés dans des conflits, non pas pour défendre au premier degré la mère patrie, mais pour défendre nos intérêts sur des théâtres d’opérations parfois aux antipodes. Qui sont-ils ? Qui sont-elles ? Quelles sont leurs motivations ? Quelles sont leurs attentes, leurs joies et leurs peines ?

    Le dernier livre de Guillaume Ancel Saint Cyr, à l’école de la Grande Muette.

    est sa réponse à ces questions. Ce quatrième livre est écrit sur le même ton et dans le même esprit que les précédents. Il est indiscutablement une contribution de plus à notre entendement de la « chose militaire ».

    Les hommes et les femmes qui choisissent le métier des armes comme d’autres choisissent de servir la République dans les corps judiciaire ou enseignant ne sont pas des agents de l’État totalement hors-champ dont il conviendrait de  se garder et ils sont comme les premiers des serviteurs de l’État qui ont des comptes à rendre et des droits à faire valoir. Des droits mais également des exigences qui sont justement de ne pas être relégués ou pire considérés comme des pestiférés dont il faudrait se méfier en permanence, ne les prenant en compte que dans la cour d’honneur de l’Hôtel des Invalides.

    Honorer nos soldats va de pair avec une connaissance précise des enjeux de leurs engagements, des moyens qui leurs sont accordés pour ce faire, de l’esprit dans lequel ils sont appelés à agir et cela autant que la nécessaire discrétion des opérations militaires le permet.

    Il me semble que les quatre livres de Guillaume Ancel s’inscrivent parfaitement dans cette exigence que nous sommes nous-mêmes en droit de formuler. Le dernier qui relate comment sont formés les officiers de l’Armée de terre à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr semble induire quelques crispations sur lesquelles les citoyens que nous sommes ne peuvent que s’interroger.

    • Saint Cyr, à l’école de la Grande Muette. ( Flammarion)
    • Un Casque bleu chez les Khmers rouges:Journal d’un soldat de la paix,Cambodge 1992 (Belles Lettres)
    • Rwanda, la fin du silence : témoignage d’un officier français.(Belles Lettres)
    • Vent glacial sur Sarajevo (Belles Lettres)

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  2. Bonjour Mr Ancel.

    Votre billet me fait sourire de contentement.

    N’avez-vous pas remarqué depuis un certain nombre d’années que vous ne rentrez dans un aucun moule façonné par la société?

    1 Vous avez quitté l’armée de votre propre initiative et ne portez plus l’uniforme.

    2 Vous ne faites pas partie des porteurs de costume-cravate ni du smoking-noeud papillon.

    3 Vous êtes dans la vie active et apparaissez régulièrement dans les médias pour parler des différentes guerres qui se poursuivent sur notre planète.

    4 Vous animez un blog très bien documenté et écrivez des livres sur vos expériences vécues.

    5 Vous vous moquez du « qu’en dira t on  » qui va jusqu’à divulguer les propos d’un conseiller de l’Elysée’ ce qui vous vaudra un procès en diffamation de ce personnage.

    Mais il reste tout de même le moule de la LIBERTE d’EXPRESSION que vous utilisez dans d’excellentes conditions.

    Quant à vous prendre pour Moïse STOP. Il y a déjà un Messie aux USA et il, est à espérer que l’Océan Atlantique ne s’ouvrira pas devant lui quand il rendra visite à l’Europe.

    Votre devise « ne pas subir » pourrait devenir « Ne pas suie et oser. »

    Bien cordialement.

    S Cazeneuve

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    1. Sourire amusé…J’imagine que Guillaume Ancel ne s’est pas vraiment pris pour ce prophète mais que la métaphore des flots de la Mer rouge qui se fendent s’est imposée naturellement à lui. Apparemment les flots ont renoncé jusqu’à ce jour à se refermer pour l’engloutir. Mais a-t-il pour autant ouvert une voie royale dans laquelle d’autres soldats- qui ont quelque chose à nous dire-s’engouffreront ? Rien ne le laisse présager…

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  3. Eh oui! C’est pour tous un peu la même chose, selon la topologie de la foule… A Draguignan, on réunit les vieux avec les jeunes, les artilleurs et les fantassins (qui cohabitent depuis un peu plus de 10 ans). Il y a ceux qui n’ont que la bleue et la rouge « eau chaude et eau froide » comme dit mon gendre (actuellement DMD à Belfort) qui, avec mon fils (de la Bicentemaire) ancien géographe militaire – maintenant civil, ont la poitrail bien fourni -et puis les « jeunes en appli » encore « vierges »….

    C’est souvent ainsi… Il faut faire avec … Chic à Cyr, Chic à Sainte-Barbe, chic à Austerlitz ‘mon ancien régiment)

    Bien amicalement

    Jean Pierre Bariller

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  4. J’ai eu la chance de connaître Guillaume quand il faisait son stage d’application d’artillerie à Draguignan.

    C’était déjà un des seuls à vouloir échanger régulièrement, le soir après les cours, dans mon bureau… Pendant une heure ou deux, car j’avais ma famille qui m’attendait à la maison!

    C’est un homme intéressant, ouvert au dialogue. Je suis heureux d’avoir renoué avec lui il y a quelques mois. Après avoir connu des faits exaltants dans sa carrière (intéressants et souvent graves), notamment en opérations extérieures, nous avons beaucoup de choses à échanger…

    Jean Pierre Bariller – Général en retraite

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  5. Cela ne m étonne pas Guillaume Si tu sais les “experts” a Paris qui ne m inviteront jamais parvenue on analyse est iconoclaste! De ce point de vue Londres est infiniment plus “ouvert” que Paris

    Amities et c est toujours un plaisir de te lire Je joins un papier de consultation prive – plus interessant sur l Algerie que les controverses sur Boualem Sansal

    Francis

    Francis Ghiles Senior Researcher Barcelona Centre for International Affairs Member of the Frontier Energy Network

    fghiles@cidob.org T +33 6 28 40 43 11 skype: francis.ghiles https://www.cidob.org/en/experts/francis_ghiles

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  6. C’est un bonheur de te suivre au fil de tes chroniques, Cher Guillaume, car on pourrait dire en parlant de toi (même à Saint-Cyr !) : toujours droit dans ses bottes ! Il en faudrait plus, des comme toi, qui pourraient avoir pour devise : « Honneur et courage sans faille ». Oui, ce fut pour moi un honneur de t’avoir rencontré – voici trente ans déjà – sur la terre gorgée de sang du Rwanda. Je t’embrasse.

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  7. Bonjour Guillaume, je ne suis pas très en forme car je viens d’être opérée du genou, mais je lis tjrs tes blogs avec plaisir. Oui j’avais VAGUEMENT entendu parler de cette réunion de promo. Merci à toi pour ce que tu exprimes et amitiés. Annie May

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  8. Bonjour Guillaume,

    Comme tu le sais, j’ai lu ton livre qui doit être assez proche de la réalité de cette école d’officiers encore aujourd’hui. Ce qui m’a frappé, ce n’est pas la « loi du silence » mais l’apprentissage d’une certaine violence pour apprendre à tuer du mieux possible.

    La guerre est ignoble mais ce qui est pire c’est l’inconscience de simples soldats qui filmèrent en cinéastes amateurs la Shoah par balle durant l’avancée allemande vers l’est après le déclenchement de l’opération Barbarossa. C’est sur Arte.

    Dans ces images on atteint le fond des abysses : d’un côté des victimes réduites à l’état d’animaux, de l’autre des soldats n’ayant plus aucune dignité ni sens commun ni respect d’eux et encore mois des autres. Il aura fallut 80 ans pour que ces horreurs soient rendues publiques. Mais là encore, la loi du silence a dû s’imposer !

    Bien à toi et à bientôt.

    Philippe

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  9. On gagne toujours à dire la vérité, même quand elle déplaît. Personne ne se souvient du tribun Curée qui, acheté par Fouché, proposa le passage du Consulat à l’Empire. Tout le monde se souvient de Lazare Carnot, qui fut le seul tribun à dire son désaccord et à voter contre.

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