
Alors que nous sommes rentrés dans le 20° mois de cette guerre russe contre l’Ukraine, l’attention des opinions publiques comme des médias diminue. La grande offensive ukrainienne est en effet devenue une « longue offensive », aussi peu spectaculaire que meurtrière. Les opinions publiques se lassent tandis que les civils ukrainiens sont bombardés au quotidien par des forces russes qui ne font aucune distinction avec les cibles militaires. Poutine devient ainsi un des pires criminels de guerre de notre époque.
Un front intense et qui progresse lentement

Le front qui s’étend sur plus de 1,000 km est tendu mais progresse peu.
Les combats les plus importants se déroulent toujours dans la bataille du « triangle » Robotyne-Novoprokopivka-Verbove où les Ukrainiens progressent, mais lentement. Ils sécurisent et « nettoient » consciencieusement les territoires durement acquis pour éviter tout risque de se faire enfermer plus tard dans une nasse.
Situation comparée du front le 8 sept et le 06 oct 2023 (source ISW)


Lire aussi : Ukraine, la bataille du « triangle », porte de la digue russe
Les troupes de Poutine, qui se concentrent aussi sur cette bataille du triangle pour colmater la brèche, ont réussi à organiser des rotations (remplacements d’unités en première ligne pour leur donner un répit), mais elles sont partagées entre deux comportements lourds de conséquences.
Les commandants d’unité militaire russe les plus expérimentés veulent pouvoir manœuvrer quitte à abandonner du terrain lorsque cela est nécessaire pour lancer des contre-attaques efficaces. Mais ils sont alors durement sanctionnés par le haut commandement russe, au premier rang duquel le ministre de la défense, Choïgu, qui les fustige publiquement et les écarte violemment.
L’autre possibilité pour leur commandant consiste donc à sacrifier leur unité, renforcée de toutes jeunes recrues inexpérimentées, jusqu’au dernier afin d’être félicité pour leur dévouement, dans le seul intérêt que les forces ukrainiennes ralentissent dans leur progression. La compétence militaire de l’armée russe finit de disparaître en Ukraine…
Les forces ukrainiennes ont l’initiative dans cette bataille du triangle et exercent une pression fatale à terme pour les troupes de Poutine, mais pour ce faire elles ont besoin de temps, dans cette progression méthodique et laborieuse, comme le montre très bien Xavier Tytelman.
Une possibilité d’action « surprise » dans la région de Kherson

Cette concentration prolongée dans la bataille du triangle, qui mobilise l’essentiel des réserves russes disponibles, ouvre la possibilité d’une deuxième opération offensive par les Ukrainiens, sur la partie du front qui a été la moins engagée jusqu’ici : celle de Kherson plus au sud qui avait été inondée au début de l’offensive début juin par la destruction par la Russie du barrage de Kakhovka.
Lire aussi : 6 juin 2023, l’opération de libération de l’Ukraine a (enfin) commencé
Les Ukrainiens n’en disent pas un mot, mais c’est l’agence russe Tass qui nous en informe, comme si elle espérait éventer une opération d’autant plus redoutée par l’armée russe que cette dernière a démuni en grande partie ce front malgré sa proximité avec la Crimée, cette péninsule si convoitée par la Russie de Poutine.

Les Russes quant à eux misent clairement sur l’épuisement des forces ukrainiennes et bien évidemment sur la diminution de leur soutien…

Notons au passage dans cette déclaration limpide du président Poutine qu’il considère que l’Ukraine n’aurait « qu’une semaine à vivre » sans l’aide occidentale, son projet de libération consiste bien dans son esprit à massacrer l’Ukraine qui a osé lui résister… Je le souligne notamment pour ceux qui affirment encore que les Ukrainiens « gagneraient » à se rendre et négocier avec leur bourreau.
Soutien de l’Europe et réunion des ministres européens des affaires étrangères
« Depuis le début de la guerre totale qu’il a lancée, Vladimir Poutine escompte que l’Occident se fatiguera avant lui. Ce calcul l’a jusqu’ici desservi. Car plus il s’enferre en Ukraine, plus l’Ukraine s’arrime à l’Europe. »
Sylvie Kauffmann (Editorialiste au « Monde »)
En organisant une réunion des ministres européens des affaires étrangères à Kiev, Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, réalise un coup de maître : l’Union européenne s’invite en Ukraine et montre ainsi son réel attachement à cette nation courageuse et à son avenir. L’Ukraine s’arrime effectivement à l’Europe, même si son accession au sein de l’Union ne pourra se faire qu’au terme d’un long et fastidieux processus d’adaptation.
Observons au passage les positions claires et courageuses de la ministre française des affaires étrangères, Catherine Colonna, qui bien sûr était à Kiev pour cette réunion.
Mais si l’Union européenne dispose de moyens financiers considérables et de la capacité de soutenir dans la durée l’Ukraine en guerre, sa faiblesse chronique réside dans son absence de ressources militaires partagées : la puissance militaire de l’Union européenne est inversement proportionnelle à son importance sociale et économique, ce qui est aussi regrettable que dangereux.
Lire aussi : La guerre en Ukraine peut-elle sortir la défense européenne de l’ornière ?
La campagne présidentielle aux Etats-Unis brouille l’écoute (pardon pour ce mauvais jeu de mots)
Pour ce qui est du soutien militaire, seuls les Etats-Unis disposent des équipements, des stocks et des technologies nécessaires pour aider l’Ukraine contre l’armée russe. Mais la campagne présidentielle brouille la politique, pourtant claire jusqu’alors, de soutien du président Biden à l’Ukraine.

Les outrances de Donald Trump et de l’aile extrémiste des républicains dont il est le pire représentant modifient, au moins temporairement, le soutien qu’une large partie des élus américains apportaient jusqu’ici aux Ukrainiens. Pour reprendre le slogan de ces derniers, avec seulement 5% du budget américain de la défense, les Ukrainiens ont détruit une large partie de l’armée russe pourtant redoutée jusqu’à cette guerre.
Les controverses parlementaires à Washington ont mis facialement sur la touche la continuation des programmes d’aide militaire à l’Ukraine, un package prévu de 24 milliards $. En réalité, le programme américain actuel permet de continuer à soutenir les forces ukrainiennes pendant plusieurs mois tandis que le camp républicain se déchire autour du sujet.

Notons aussi que la Corée du Nord, comme on s’en doutait, a commencé à livrer à la Russie du matériel militaire, notamment des munitions d’artillerie à cet ami si bien choisi.

La guerre au quotidien pour les Ukrainiens
Que ces débats et ces tergiversations ne nous fassent pas oublier ce que subissent au quotidien les Ukrainiens dans cette « guerre de libération » menée par Poutine.
Il est vrai que Poutine s’est fixé une mission digne d’un empereur : « construire un nouveau monde », un monde régi par la violence et la sauvagerie. Il n’est pas sûr que ce soit celui auquel nous aspirons…

Quand l’info déraille
Certes, nous sommes rentrés dans le 20° mois de cette guerre russe contre l’Ukraine et l’attention des opinions publiques comme des médias diminue. Certains sont prêts à tout pour conserver leur audience, comme cette émission de LCI qui finit par raconter n’importe quoi à force de tourner en rond sur la guerre en Ukraine.

Évidemment les invités sur le plateau ont expliqué la réalité de la situation, mais à quoi servent ces titres alarmistes et ces mises en scène grossières : la Russie n’a en effet plus les moyens d’une « invasion à grande échelle » de l’Ukraine et cette dernière dispose de plusieurs mois de munitions…
D’autres médias vont plus loin encore, comme le Monde Diplomatique qui affirme rien de moins que « LCI roule pour l’Ukraine ».

Certes, le Monde Diplo a souvent été à côté de la plaque, mais là, difficile de ne pas être stupéfait devant de telles accusations. Ce média à la dérive ferait mieux de s’inspirer du travail remarquable du journal Le Monde (tout court) qui publie au quotidien des articles de très grande qualité pour suivre la guerre contre l’Ukraine, et notamment un fil d’actu continue, un « live » formidable de pertinence et de fiabilité, que je ne peux que recommander.
Donc soyons sérieux, lisons Le Monde plutôt que la version « Diplo » qui relève manifestement… d’un autre monde.
Et surtout continuons à soutenir, au moins par notre intérêt, l’Ukraine qui n’a jamais cessé de se battre pour résister à cette invasion barbare. Comment pourrions-nous, dans de telles circonstances, « être fatigués » ?
Pour suivre la situation militaire sur le front en Ukraine avec Macette @Escortert
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Bonjour Guillaume et encore merci pour cet article toujours aussi excellent.
Outre l’Iran, comment ne pas voir l’ombre du Kremlin derrière le Hamas, qui manifestement s’est senti faire pousser des ailes dans cette opération sans précédent et innommable…
Déstabilisation, détournement, exacerbation des tensions… Encore un méfait qui profite à Poutine, alors qu’il reçoit les armes et munitions de son comparse nord coréen et construit une usine de drones main dans la main avec son homologue iranien.
Mais qu’attendons nous pour réagir plutôt que de continuer à subir, laissant aux pires dirigeants la liberté de continuer à embraser le monde – et ils vont continuer… Le temps passe et nous laissons les choses s’empirer, et elles vont encore empirer si l’Otan et l’Occident ne prennent pas enfin l’initiative…
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Merci encore Guillaume pour cet article, essentiel pour clarifier la situation, et pour rappeler la gravité de ce qui se joue pour l’Ukraine et pour nous tous.
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Merci, comme chaque semaine, pour cette analyse pédagogique, exhaustive et fouillée, agrémentée de citations et d’abondantes illustrations.
Poutine table sur la durée, l’épuisement de l’adversaire, la lassitude de l’opinion.
Face à son imperium, la force morale, l’énergie indomptable et l’ingéniosité de l’Ukraine. Insuffisamment soutenues par certains alliés timorés et/ou guidés par des intérêts court-termistes.
Pourtant, l’Europe bouge. Avec une certaine force d’inertie, certes, mais elle bouge tout-de-même.
L’Ukraine construit l’Europe à venir.
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Il y a effectivement de quoi être inquiet sur le doute, voir le désintérêt que certains essaient d’instiller dans les esprits.
Pour bien comprendre à quoi et à qui nous avons affaire, je recommande la lecture de deux livres:
°Le piège Nord Stream de Marion Van Renterghem Les Arènes
°La grande confrontation de Raphael Glucksmann Allary Editions
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Hitler n’a pas été vaincu facilement non plus, mais a été vaincu, malgré qu’il avait la première armée du monde.
Avant la guerre Poutine avait (au moins en théorie) la deuxième armée du monde. Entre-temps, on constate qu’il a la deuxième armée d’Ukraine. Et s’il fallait prendre au sérieux ses annexions, alors le front est « en Russie », donc Poutine a maintenant la deuxième armée de Russie.
La défaite de Poutine sera en réalité une victoire pas seulement pour l’Ukraine mais sera dans l’intérêt de la Russie, de la même façon que la défaite d’Hitler a été dans l’intérêt de l’Allemagne, même si probablement que la plupart des allemands s’en sont rendu compte plus tard.
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Merci pour ces précisions !
Il faudrait absolument que l’Europe prenne le relais pour soutenir adéquatement l’Ukraine en armement et munitions le temps que les choses se règlent aux États-Unis ! On ne peut absolument pas laisser tomber ce peuple aux mains de Poutine!!!
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L’idée est bonne. Mais, les européens, après la fin de la guerre froide, ont massivement amaigri leurs armées, abandonné les investissements en matériels neufs, négligé l’entretien des matériels existants, fait fondre les stocks de munitions.
Nous avons donné ce qui était à la limite de l’obsolescence, avec ce qui restait de pièces détachées et de munitions.
Nous n’avons pas voté de budgets permettant la reconstitution de l’armée, dans un format plus important. Nous continuons à arbitrer et annuler des programmes d’armements.
Donc, nous ne sommes plus en état de donner des matériels.
C’est à l’Ukraine d’aller voir les industriels de l’armement, pour acheter ce dont ils ont besoin, en matériels neufs et performants.
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Alors, souhaitons qu’ils tiennent suffisamment longtemps…le temps que le nouveau budget soit approuvé aux États-Unis ! Et que d’ici-là ils seront en mesure de s’armer par eux-mêmes !
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Merci pour ces éclaircissements toujours aussi précis. Totalement d’accord au sujet de cette dérive de certains médias qui alimentent un défaitisme suspect …
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