La ville de Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, a connu de 1992 à 1996 le plus long siège militaire de l’Histoire « moderne » : quatre années de souffrances infligées par les milices serbes dirigées par le général Ratko Mladic, aujourd’hui en prison.
Sarajevo assiégée, sa population martyrisée
Un « siège » signifie concrètement que la ville est enfermée, encerclée et bombardée. 300 obus étaient tirés quotidiennement sur la capitale, avec pour cible essentielle la population civile.
En plus des bombardements, les milices serbes avaient organisé un sniping des civils, c’est à dire qu’elles avaient confié à des tireurs d’élite (snipers en anglais) de viser les passants pour les tuer. Les snipers s’installaient dans des immeubles détruits de la ligne de front, à plusieurs centaines de mètres de leurs cibles, jusqu’à plus d’un kilomètre parfois, pour tirer sans préavis sur les habitants, avec pour priorité de viser les enfants, leurs mères ou les personnages âgées plus lentes dans leurs déplacements.
Le sniping était d’autant plus redoutable que la ville de Sarajevo est entourée de collines et de montagnes offrant de multiples possibilités de tirs, sans qu’aucune alerte ne puisse être donnée avant que le coup de feu fatal ne claque, à toute heure de la journée. Les snipers n’étaient probablement pas très nombreux, quelques dizaines actifs en même temps, car la maîtrise d’un tir à longue distance et le camouflage (pour ne pas se faire repérer) nécessitent un long entraînement et une certaine expérience.
Les milices serbes ont rapidement fait appel à des renforts pour les aider à terroriser la population de Sarajevo. Nous – soldats français déployés à Sarajevo – nous savions, pour en avoir neutralisé quelques uns et par le biais des propos des chefs serbes qui se plaisaient à entretenir de bonnes relations avec les militaires français, que des étrangers participaient à ce sniping. Nous avions observé quelques « volontaires internationaux » illuminés voulant aider les Serbes dans leur délire paranoïaque et surtout, des mercenaires recrutés parmi d’anciens tireurs d’élite des armées du pacte de Varsovie en pleine déliquescence.
Les Serbes avaient aussi recruté d’anciens tireurs olympiques qui acceptaient pour quelques milliers de dollars de venir exercer leur art sur ces cibles vivantes… C’était d’autant plus sordide que Sarajevo avait accueilli des Jeux Olympiques dont les infrastructures marquaient encore la ville et ses environs.
Une politique de terreur organisée par les milices serbes
La terreur était ainsi assurée pour les Sarajéviens, entre les obus qui « tombaient du ciel » et ces balles qui fendaient l’air et les visaient au quotidien. L’horreur de voir une mère de famille s’effondrer dans la rue et d’hésiter à lui porter secours, pour ne pas être soi-même la cible de ce sniper ayant besoin d’à peine quelques secondes pour recharger, sans aucun scrupule à l’idée d’attendre un peu pour tuer sur le même lieu une autre personne venue simplement aider…
La caractéristique de ce sniping était de quasiment ne viser aucune cible militaire, mais bien au contraire de ne s’en prendre qu’à la population civile la plus fragile. Une politique de terreur que rien ne pouvait atténuer, dans cette haine collective que des extrémistes avaient cultivée au sein d’une population serbe ayant pourtant vécu en toute sérénité en « Yougoslavie », avec ceux-là mêmes qui constituaient désormais leurs cibles.
Ces « touristes », étrangers au conflit, qui ont payé pour venir tuer
Après avoir traversé trois génocides (Cambodge, Rwanda, Srebrenica), je pensais avoir vu largement assez de l’horreur que l’inhumanité peut commettre ; de corps démembrés, de familles massacrées, de violence déchaînée. Tout cela, je ne l’ai jamais vraiment assimilé, mais plutôt accepté comme une réalité. Cependant, je n’avais pas imaginé que des « êtres humains » puissent payer pour participer à ces massacres. Cela relevait d’une forme de déni, un « impensé », un peu comme notre société qui a aujourd’hui tant de mal à accepter de devoir être prête à se battre pour défendre sa paix.
Des journalistes italiens ont révélé que plusieurs personnes avaient en effet déboursé des dizaines de milliers d’euros pour venir à Sarajevo afin de tuer ses habitants, avec pour seule motivation de laisser libre cours à leurs pulsions morbides. Trente ans après les faits, des journalistes ont pu enfin récupérer des témoignages, désormais aux mains de la justice italienne et qui, je l’espère, déboucheront sur des condamnations.
Lire aussi : Sarajevo Safari », une enquête ouverte en Italie sur des « touristes de guerre » snipers lors de la guerre en Bosnie (Radio France)
Ces premiers éléments de l’enquête montrent que les milices serbes avaient initié cette offre de « safari » humain, à l’image de ce que proposerait une agence de voyages pour aller chasser la gazelle au Kenya, sauf qu’il s’agissait en l’espèce, d’un enfant à Sarajevo… Un réseau structuré bien évidemment, car il était impossible à un apprenti tueur de débarquer dans cette zone de guerre avec sa carabine sur l’épaule pour faire « son carton »… et repartir.
« rien d’autre que cette envie de tuer, une pulsion d’inhumanité »
Il fallait à ces psychopathes une organisation capable de les accueillir dans la Bosnie-Herzégovine en guerre, de les accompagner jusqu’à Sarajevo, de les emmener jusqu’à des positions de sniping sans être vus, pour exécuter leur tir en visant dans leur lunette un enfant qui traversait la rue et l’abattre, froidement. Sans le moindre prétexte, la moindre conviction politique ou la moindre quelconque somme d’argent. Non rien d’autre que cette envie de tuer, une pulsion d’inhumanité.
Des réseaux structurés dans toute une partie de l’Europe et qui existent peut-être encore
En face de cette organisation serbe, des réseaux devaient permettre à ces tueurs potentiels et fortunés d’être contactés. Des réseaux structurés d’autant qu’au début des années 1990 aucun » darknet » n’existait encore, aucun réseau crypté sur internet qui aurait permis de proposer un tel « service » aux amateurs potentiels.
Ces amateurs, j’en ai malheureusement croisé quelques-uns : des hommes toujours, fascinés par la violence et par les armes, qu’ils confondaient volontiers. Ils mettaient beaucoup d’énergie à se procurer des fusils de longue portée, interdits sur les marchés officiels d’armes de chasse. Une fois ces armes acquises, leurs « heureux propriétaires » voulaient ensuite les essayer, sur des cibles de carton d’abord, pour s’entraîner, avant de passer à des êtres humains. Ce sont des hommes fascinés par la violence, alimentée par les discours d’extrême-droite qui prônent la haine de l’autre et l’effacement de toute valeur morale par l’envie bestiale de faire mal.
Ces réseaux existent encore, probablement dans toute l’Europe. Et, à l’époque de Sarajevo, ces » safari-men » n’étaient pas seulement deux ou trois, ni bien sûr spécifiquement italiens. Il est vraisemblable que nous parlons de dizaines de tueurs ayant entre 30 et 60 ans, qui ont désormais entre 60 et 90 ans. Il faut les poursuivre, sans attendre 20 ans de plus comme pour les génocidaires du Rwanda, les poursuivre avant qu’ils ne puissent se réfugier derrière les affres de la vieillesse pour se protéger et oublier leurs crimes odieux.
En fait, c’est d’une enquête internationale dont nous avons besoin pour pister et débusquer ces « chasseurs » qui ont forcément laissé des traces et/ ou rencontré des « pairs » lors de leurs expéditions meurtrières. Il faut pouvoir en condamner suffisamment pour faire jurisprudence, pour créer un précédent, pour faire peur à leurs successeurs en leur montrant que la justice viendra un jour frapper à leur porte et qu’ils n’emporteront pas au paradis leur trophée d’inhumanité.
Pourquoi Sarajevo a été si mal protégée ?
C’est l’occasion aussi de s’interroger sur la faiblesse, le quasi-échec de la lutte contre les snipers et plus encore contre les bombardements qui frappaient Sarajevo, alors que l’ONU avait déployé une force impressionnante, la Force de Protection de l’ONU (FORPRONU), dirigée pour l’essentiel par des officiers français.
Une force paralysée en réalité par la politique initiée par l’Elysée, où François Mitterrand agonisant avait décidé que les Serbes devaient rester nos alliés historiques, dans une référence aussi désuète que déplacée à la Première Guerre Mondiale ! L’Elysée avait ordonné qu’en aucun cas, les militaires français ne devaient s’en prendre aux Serbes alors même qu’ils martyrisaient Sarajevo, sous leurs yeux.
En 1995, je dirigeais une équipe de guidage rapproché des frappes aériennes – un TACPi dans notre jargon – intégré dans un bataillon de la Légion étrangère (française) stationné sur l’aéroport de Sarajevo, verrou du siège de la ville. Comme je l’ai raconté dans « Vent glacial sur Sarajevo », nous étions venus pour protéger Sarajevo des canons et des mortiers serbes qui bombardaient quotidiennement la capitale et qui auraient dû être immédiatement détruits par la redoutable force aérienne mise à disposition par l’OTAN, plus de 400 avions de combat, contre lesquels les Serbes ne pouvaient pas se défendre.
Protéger Sarajevo sans s’en prendre aux assiégeants
Mais le résultat fut affligeant. Nous devions protéger Sarajevo avec cette armada aérienne avec l’interdiction de nous en prendre aux assiégeants puisqu’ils étaient serbes… ce fut donc une mission d’impuissance dont je ramenais 18 morts dans nos rangs et sans avoir été autorisé une seule fois à détruire ces canons serbes qui tiraient sous nos yeux.
Plus de cent fois nous avions localisé avec mon équipe un canon d’artillerie qui tirait sur Sarajevo, plus de cent fois nous nous en étions dangereusement rapprochés, plus de cent fois une patrouille d’avions de l’OTAN était venue le détruire sur notre « guidage avancé », et plus de cent fois le commandement (français) de l’ONU avait annulé la frappe aérienne, nous exposant aux tirs des Serbes et en livrant la population de Sarajevo à ces bombardements terrorisants.

Le sniping avait été « traité » de la même manière, avec des ripostes sous-dimensionnées qui avaient exposé nos quelques tireurs d’élite et les soldats français d’infanterie qui cherchaient bravement à protéger la population de pertes inutiles. Mais, nous ne devions pas nous en prendre à nos « amis » serbes…
Quand l’Elysée d’un François Mitterrand agonisant avait décidé de ne pas s’en prendre aux Serbes
A plusieurs reprises, mon équipe de guidage avait proposé de détruire les étages des immeubles abandonnés qui servaient de cache aux snipers serbes et étrangers, plutôt que de chercher vainement ces fantômes qui ne risquaient pas de s’exposer. Ces morceaux d’immeubles étaient assez faciles à détruire avec des frappes aériennes ciblées (pas comme celles menées à Gaza qui relèvent du massacre dans un camp de réfugiés).
Mais, de même que pour les canons d’artillerie, ces frappes contre les caches des snipers étaient toujours annulées, au dernier moment, comme pour laisser croire que nous avions l’intention d’agir, alors que la politique de la France était de laisser les Serbes faire ce qu’ils voulaient.
Lire aussi : Après le Rwanda, il est temps de faire la lumière sur la politique de la France en Bosnie et dans les Balkans (Blog Ne Pas Subir)
Peut-être qu’à cette époque, les services de renseignement français avaient détecté la présence de ces » safari-men » venus pour tuer dans Sarajevo, mais conformément à la politique de l’Elysée, il a dû sembler inopportun de neutraliser ces réseaux qui faisaient les bonnes affaires des Serbes : recevoir de l’argent et des tueurs.
Et dans ces réseaux, si quelques Italiens ont manifestement sévi, il est dès lors évident que des extrémistes français (fortunés) sont aussi allés à Sarajevo pour remporter leur trophée d’inhumanité. Quand allons-nous enfin les rattraper ?
Lire aussi : VERBATIM sur « Vent glacial sur Sarajevo »
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Guillaume Ton article est intéressant. Il est scandaleux que des personnes arrivent à ces comportements et elles doivent être condamnées sans faiblesse. MAIS, tu es vraiment trop gauchiste, aveuglé par tes obsessions anti-droites. Il faut toujours que tu sortes un petit couplet sur l’extrême-droite, que personne ne qualifie jamais d’ailleurs tellement c’est un terme bateau qui ne veut plus rien dire. Ta phrase « Ce sont des hommes fascinés par la violence, alimentée par les discours d’extrême-droite qui prônent la haine de l’autre et l’effacement de toute valeur morale par l’envie bestiale de faire mal. » met à mal toute ta démonstration et ton article est discrédité à mes yeux par ce simple fait. C’est dommage car tu traites d’une question de fond.Tu aurais dit « Ce sont des hommes fascinés par la violence et par l’envie bestiale de faire mal. », j’adhérais à tes propos. Le Mal, au sens spirituel du terme que tu comprendras, n’est pas d’extrême-droite. Il est humain. Et je suis prêt à parier que certains de ces assassins sont de bons bourgeois qui votent bien au centre. Essaye de prendre un peu de hauteur par rapport à tes a priori, tes biais cognitifs pour parler riche. Je pense que tes analyses seraient plus pertinentes et moins sujettes à discussion. Amitiés François-Xavier
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Bonsoir François-Xavier,
Ce n’est pas « par gauchisme » que je décris « ces hommes fascinés par la violence, alimentée par les discours d’extrême-droite qui prônent la haine de l’autre et l’effacement de toute valeur morale par l’envie bestiale de faire mal », mais par observation. J’en ai rencontrés à plusieurs reprises, chez un de mes oncles et je le regrette…
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…mon Guillaume ,ton article « safaris a Sarajevo » est tellement bon
que je …t ordonne de le faire ajouter en post-face dans ton livre a
faire publier…le plus vite possible :jamais l inhumanite pourra se
cacher impuniment ! Patrick ,froid de colere face a ces monstres !
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Merci pour ce témoignage sur une abjection vécue.
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Bonjour Guillaume
Moi aussi je vais acheter ce livre. Bonnes fêtes de Noël et de fin d’année à bientôt.
René
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Merci pour cet envoi, que je partage. Mf
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Merci Guillaume pour ce poignant témoignage, il lève un voile sur le pire de ce que « Homo Sapiens » peut porter en lui même. Courir après ces brutes abjectes 30 après ? je m’interroge…
Concernant l’inaction dont tu as été le témoin contre les snipers serbes, s’agissait il déjà de la volonté de ménager la susceptibilité russe ? On voit ce qui s’est passé avec les russes plus tard, en 1999 quand l’Otan est enfin passé à l’action contre les positions serbes.
Merci encore pour ton blog et tes articles, toujours éclairants.
Gilles Boivin
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Merci, Guillaume.
Le sujet est diffusé mardi à 8h45.
Bon week-end,
Mersiha
Envoyé à partir de Outlook pour Androidhttps://aka.ms/AAb9ysg
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Bonjour Guillaume
Dans un article, jâavais lu que tu avais parlé de mercenaires qui auraient perpétré lâattentat du 6 avril 1994 contre Habyarimana.
Peux-tu être plus précis ? As-tu rencontré des témoins fiables à ce sujet ?
Depuis 7 ans, je travaille sur ce dossier et le fait que ce soient des mercenaires mâapparaît de plus en plus évident. Pour le compte de qui, câest un autre débat.
Bien à toi
Didier
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Bonjour Guillaume Pour ce qui est de la violence dans les conflits et de la cruauté humaine, je crois que vous êtes servi. C’est la dénonciation du gouvernement de FM qui n’arrive pas à passer dans les médias « progressistes »… Cette ignominie des safaris humains va ressortir d’abord en Italie, où ils ont des juges courageux et intègres. Bon week-end, Philippe Héry
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Bonjour Guillaume,
Merci. Je vais le lire.
Outre le fait d’être journaliste, je suis aussi autrice. Pourquoi tuer ? Ta réflexion sera utile pour l’écriture de mon prochain roman (en polonais).
Je t’invite à visiter mon site perso d’autrice (en français) : https://gw000151-eu.fortimail.com/fmlurlsvc/?fewReq=:B:JVs5Mjs3OSV1PjEtMyVqZz4zMjkzMiVwamRtYnd2cWY+Ymc0O2EwMjc1YGczYmI0NzdiZzIyOmFlN2c0Mjo0YTIyYTAxZTIwMSV3PjI0NTYzMzIwNDolcmpnPjZBNTU6Z1I1MzE3Nzs7LjZBNTU6Z1I7MzE3Nzs7JXFgc3c+YGxubmZtdyhmamwzanpreWpcenZieWQwazozbHdlNTRcQ2Bsbm5mbXctdGxxZ3NxZnBwLWBsbiVgPjMla2dvPjM=&url=https%3a%2f%2fagnieszka-kumor.com%2f
A bientôt, j’espère
Agnieszka Kumor
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