Témoignage d’un aviateur français sur l’opération « humanitaire » Turquoise

Avion de chasse Jaguar en Afrique

Le reportage de Laurent Larcher dans La Croix du 24 juin 2018 apporte de nombreux éclairages sur l’opération Turquoise, intervention militaire française pendant le génocide des Tutsi au Rwanda.

Le témoignage d’Oscar, aviateur engagé pendant l’opération Turquoise, est clair sur la totale ambiguïté de cette opération « strictement humanitaire » : son récit est complètement cohérent avec ce que je décris dans Rwanda, la fin du silence mais il est notable qu’Oscar veuille rester sous anonymat pour « ne pas s’attirer inutilement des ennuis »… il confirme aussi l’option envisagée d’action sur Kigali, mais surtout la nature anti-FPR de l’opération initiale et le pilotage par l’Elysée.

« Le 30 juin, les équipages sont convoqués à la nuit tombée. « Vous allez intervenir au petit matin pour “bloquer” les rebelles, car la tension monte sur le terrain […] Ils s’étaient envolés pour faire leur métier  : appuyer nos troupes au sol en frappant les rebelles. […] En 1994, engager la chasse dans une action de combat ne pouvait se faire que sous l’autorité du président de la République. »

La réponse de Hogard s’inscrit dans le déni en bloc, « Je peux vous assurer qu’il n’a jamais été question, le 30 juin et le 1er juillet, d’attaquer le FPR » et, confronté au témoignage d’Oscar, il persiste, « C’est du rêve. Rien de tout cela n’est exact. »
Lafourcade décide quant à lui de changer de version : après avoir nié ces faits pendant 4 ans, il déclare – à l’instar de l’amiral Lanxade deux semaines plus tôt – que cet engagement aérien a finalement bien existé, mais dans un but exclusivement défensif,
« Cet épisode était une action tactique du niveau du commandant de secteur pour assurer la sécurité de son dispositif. La mise en place de ce mode d’action sous la forme d’un coup d’arrêt a été organisée à son initiative. »
Donc Lafourcade n’y est pour rien, même s’il met à mal ses affirmations « qu’aucune opération n’échappait à son contrôle et que tous les ordres d’opération auraient été publiés » alors que ceux-ci ne l’ont manifestement jamais été…

Pour mémoire, sa position affichée jusqu’ici était plutôt inverse :
LAFOURCADE – 10 JUILLET 2014
« Contrairement aux affabulations de certains irresponsables et idéologues engagés, François Léotard, dans une interview à RFI le 3 juillet, précise que la feuille de route de Turquoise ordonnait d’éviter la confrontation avec le FPR et qu’aucune offensive sur Kigali n’avait été planifiée. Pour ce qui me concerne, que ce soit pendant la préparation de l’opération ou lors du déploiement de la Force, j’affirme qu’aucun raid sur Kigali ou action contre le FPR n’ont été planifiés et que je n’ai jamais reçu ni donné d’ordres ou de directives pour bloquer le FPR. Tous les documents opérationnels en font foi. »

OPÉRATION TURQUOISE, AFFABULATIONS. UNE MISE AU POINT DU GÉNÉRAL LAFOURCADE

Dans son interview au journal La Croix, Lafourcade évacue les « accrochages » avec le FPR qui « n’auraient fait aucun mort » tandis que des unités de Turquoise sont intervenues notamment contre une « tentative d’incursion » du FPR, faisant une quinzaine de morts du côté de ces derniers, opération controversée à laquelle participa le capitaine François Lecointre.
Lafourcade est extrêmement mal à l’aise quand Laurent Larcher lui fait remarquer qu’il n’a rien fait contre les organisateurs du génocide – les membres du Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR) – qui ont pu protéger leur fuite vers le Zaïre grâce la zone humanitaire sûre organisée par l’opération Turquoise.
Pourtant c’est exactement ce qu’il reprochait au général Dallaire, le commandant canadien des casques bleus. Mais Lafourcade n’hésite pas à se retrancher derrière l’absence de directives de l’ONU alors même que toute l’opération était pilotée par l’Elysée.

« C’était à l’ONU de nous le dire puisque nous agissions sous son mandat… et elle ne nous en a rien dit  ! »

Hogard m’avait pourtant affirmé sur place qu’il avait reçu des directives (françaises) très claires d’escorter les membres du GIR, sans les neutraliser, pour qu’ils aillent s’installer au Zaïre…

Une dernière mention sur les « regrets » de Lafourcade concernant le drame de Bisesero, pour lequel il affirme encore que « nous étions trop peu nombreux, au 27 juin, pour prendre le risque de nous déployer dans une zone où nous pouvions être accrochés par le FPR », alors que l’unité de combat du 2ºREI dans laquelle j’étais intégré n’a même pas été mise en alerte pour intervenir au profit des rescapés laissés à leurs bourreaux jusqu’au 30 juin.

Au-delà des contradictions et des revirements des « autorités militaires » qui sont payées pour assumer ce qui s’est passé, le questionnement essentiel devrait porter sur les décisions politiques prises à l’époque, car le rôle de la France pendant l’opération Turquoise et plus largement sur le génocide contre les Tutsi était de leur ressort exclusif.  Sauf à penser qu’un « commandant de secteur » avait la possibilité de déclencher la guerre contre les ennemis des génocidaires. Ce ne sont pas des « détails » comme Hubert Védrine a cherché à me le vendre, mais des responsabilités que ces décideurs politiques doivent assumer sans se réfugier derrière le bouclier offert par mes compagnons d’arme.

Seuls l’ouverture réelle des archives et un travail sérieux d’historiens permettront de connaître la réalité.

3 commentaires sur “Témoignage d’un aviateur français sur l’opération « humanitaire » Turquoise

  1. Guillaume ANCEL représente l’honneur de la France dans cette misérable équipée où des poilticiens sans envergure ont entraîné la France aux côtés d’un régime extrémiste hutu génocidaire.

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  2. Très intéressante analyse des articles/interviews publiés ce lundi 25 juin 2018 dans La Croix.

    Pour information, voici deux autres déclarations de Jacques Hogard (respectivement datées du 18 avril 2014 et du 11 janvier 2016) affirmant, à l’instar de Jean-Claude Lafourcade, que l’opération de frappes aériennes du 1er juillet 1994 n’a jamais existé :

    https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/rwanda-vous-brodez-repond-jacques-hogard-a-guillaume-ancel-11496
    Pour mémoire, vous [Guillaume Ancel] avez quitté le Rwanda et l’opération Turquoise le 6 août. En ce qui me concerne, mis en place à Goma le 29 juin, puis le même jour à Kavumu auprès du PC du Det COS, j’ai installé le PC du Groupement Sud sur l’aéroport de Cyangugu au Rwanda le 1er juillet, prenant alors officiellement la 1ère Compagnie du 2ème REI sous mes ordres. Et j’ai définitivement quitté le pays le 21 août, avec cette même unité, au terme de l’opération Turquoise, après avoir remis le secteur de Cyangugu aux Ethiopiens de la MINUAR. Vous laissez donc entendre que je pourrai bien ne pas être au courant de vos activités au Rwanda, durant le court laps de temps (4 jours) où vous étiez détaché au sein de la 1/2ème REI à Nyarushishi, avant que je n’arrive moi-même à Cyangugu. Et vous laissez entendre que c’est durant cette période que pourrait se situer l’ « épisode de l’hélicoptère » et des « frappes aériennes » arrêtées subitement. Ce qui n’est tout simplement pas possible. Je rappelle qu’entre le 21 juin, date de lancement officiel de Turquoise et le 1er juillet, date de montée en puissance effective du Groupement Sud en préfecture de Cyangugu, seules les forces spéciales du COS étaient habilitées à mener des opérations au Rwanda, reconnaissant progressivement la future Zone Humanitaire Sûre dans le sud-ouest du pays. Si la 1ère Compagnie du 2ème REI a été déployée fin juin au Rwanda, en précurseur du Groupement Sud qui n’était pas encore opérationnel, c’est parce que cette unité déjà présente sur le théâtre, avait alors hérité de la mission statique de protection du camp de rescapés tutsis de Nyarushishi, de façon à en décharger le détachement du 1er RPIMa appelé à poursuivre sa mission de reconnaissance vers l’est.

    http://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/rwanda-1994-il-n-a-jamais-ete-question-d-un-raid-sur-kigali-09-04-2014-1811356_53.php
    [Question] : M. Ancel affirme pourtant qu’il s’est trouvé dans un hélicoptère décollant « pour aller déclencher les frappes aériennes sur le FPR »…
    [Réponse de Jacques Hogard :] Alors, là, on est en pleine fiction ! À cette époque, nous avions en effet reçu le renfort ponctuel d’un hélicoptère Puma en version Pirate équipée d’un canon de 20 mm en sabord. Peut-être le capitaine Ancel est-il monté à son bord dans le cadre d’une mission de reconnaissance ? Mais il est fort peu professionnel d’imaginer qu’on aurait eu l’idée de déclencher des « frappes aériennes » avec un tel engin, contre le FPR de Paul Kagame qui disposait de missiles sol-air. Il faut être sérieux ! Je suis sidéré qu’un ancien officier d’artillerie puisse dire sérieusement de telles choses. J’avais demandé cet hélicoptère en renfort afin d’effectuer des reconnaissances au-dessus de la forêt de Nyungwe dont nous pensions qu’elle pouvait être un terrain privilégié pour toutes sortes d’infiltrations. Il n’a jamais été question de déclencher des « frappes aériennes » contre le FPR, ne serait-ce que parce que, au groupement sud, nous n’en avons jamais rencontré ! En revanche, il faut rappeler que Kagame, de son côté, clamait depuis des mois que, s’il venait à rencontrer des unités françaises, ce serait pour leur tirer dessus. Nous avions pris donc fort logiquement des mesures de précaution et de protection, face au FPR qui disait vouloir « casser du Français » ! Mais quant à déclencher des frappes aériennes sur un ennemi invisible à partir d’un Puma Pirate canon de 20 ! Restons sérieux !

    Pour plus d’informations sur ce déni français, voyez également le site :
    http://francegenocidetutsi.org/

    Bien cordialement,
    Aymeric GIVORD

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  3. Quel que soit le malaise et les remises en question que cela suscite, un pays gagne toujours à connaître ce qui s’est réellement passé. Bravo à tous ceux qui sont dans cette démarche d’éclaircissement de notre histoire nationale, et bravo en particulier à Guillaume Ancel.

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